«La liste noire!», «les documents complets!»: devant la maison saccagée de François Compaoré, les vendeurs à la criée prétendent dévoiler tous les secrets du frère du président burkinabè déchu, qui cristallise l’hostilité contre l’ancien régime.
Les Ouagalais sur leurs petites motos, le moyen de transport le plus populaire au Burkina Faso, sont hélés et presque arrachés de leurs selles par de jeunes hommes, liasses de photocopies en main, à proximité du bâtiment.
Depuis une semaine, la demeure de François Compaoré à Ouagadougou est devenue le symbole de la chute du régime de son frère Blaise, poussé à la démission par la rue après 27 années de règne.
«C’était un homme omniprésent, omnipotent, qui pesait sur l’administration, le monde des affaires, l’armée. C’était vraiment un petit président», explique Chrysogome Zougmaré, le président du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples.
Sa luxueuse maison en attestait. OEuvre des pillards, jour après jour, les vestiges de la munificence des lieux disparaissent.
La grande piscine située à l’étage, dans laquelle étaient venus barboter les enfants pauvres du quartier après la fuite du propriétaire, a été vidée. Gisent désormais au fond du bassin des tonnes de gravats… et une cabine de douche.
«J’ai appris qu’il y avait dedans trois lingots d’or, que deux ont été ramassés, mais qu’il en restait un. Je suis rentrée dans la piscine pour voir», explique Jessica Ouédraogo, 23 ans, qui se fait photographier par une amie dans le fond du bassin.
«Mais il n’y en avait pas. Certains sont venus avant moi», regrette-t-elle, promettant tout de même de poster les clichés pris sur sa page Facebook, pour que ses amis «togolais, gabonais, ivoiriens» puissent admirer la «victoire» du peuple.
Les coups redoublent derrière elle. Les pillards, qui ont déjà pris tout ce qu’il était imaginable de dérober, jusqu’aux prises de courant, s’attaquent désormais aux carrelages des salles de bain et aux encadrements des portes.
«C’est ce qu’ils nous ont volé pendant 27 ans que nous sommes venus récupérer», se justifie Georges, 23 ans, tout en tirant des fils électriques.
Des saignées sont faites dans les murs pour récupérer des câbles en cuivre. Des centaines de badauds, entre lesquels se glissent de petits commerçants, marchandises sur la tête, assistent à la scène.
À l’extérieur, deux hommes amassent les tommettes qui pavent l’extérieur de la maison, gênant quelque peu les vendeurs de documents, les héros de lieux. Grâce à eux, Ouagadougou fourmille d’archives extraites de la maison, assurent-ils.
«Confidentiel»
«Tout a été trouvé chez François. Nous faisons des copies que nous revendons pour que la population apprenne la vérité sur certaines affaires non élucidées», affirme Ali Sawadogo, qui dit vendre 500 francs CFA (envion 1,10 $) un «dossier complet».
Dans le précieux «dossier», des extraits bancaires d’un compte de François Compaoré approvisionné à hauteur de 88 millions de francs CFA (près de 200 000 $), l’extrait de naissance de son frère Blaise, ou encore des bulletins de paie de sa femme Salah.
Mais l’on peut surtout lire un procès-verbal de gendarmerie ou encore une note tamponnée «Confidentiel» des services de renseignement pour deux dossiers qui lui ont empoisonné l’existence, les affaires David Ouédraogo et Norbert Zongo.
François Compaoré fut un temps inculpé de «meurtre et recel de cadavre» dans le cadre de la mort en 1998 de David Ouédraogo, son chauffeur personnel, avant que les poursuites ne s’arrêtent.
Les avocats de la famille de Norbert Zongo accusent par ailleurs le frère de l’ex-président d’être impliqué dans l’assassinat de ce journaliste, dont la dépouille a été retrouvée calcinée dans sa voiture avec celle de trois compagnons, alors qu’il enquêtait sur le cas Ouédraogo.
Les manifestations qui suivirent le meurtre de Norbert Zongo secouèrent violemment l’État burkinabè.
Des bordereaux de paiement puisés dans la masse de document paraissent indiquer que François Compaoré a payé les frais d’avocat de l’adjudant Marcel Kafando, ex-chef de la garde rapprochée du président burkinabè, seul inculpé dans l’affaire Zongo avant de bénéficier d’un non-lieu.
Interrogé par l’AFP, l’avocat concerné, Abdoul Ouédraogo indique «ne pas avoir souvenance» d’un tel élément datant d’il y a 13 ans. «J’ai dû défendre 10 000 autres affaires depuis lors», assure-t-il.
«Le problème majeur de ces pièces est leur authenticité», observe Me Prosper Farama, l’un des avocats de la famille Zongo, pour qui certains documents paraissent «farfelus», alors que d’autres semblent «assez vraisemblables».
Des questions de «procédure» sont également soulevées. «Si ces découvertes avaient été faites par un officier de police judiciaire» plutôt que par des «badauds», «cela aurait été un vrai trésor», soupire-t-il.
De tels «faisceaux d’indices» devraient toutefois permettre de «demander la réouverture» des dossiers, plaide Me Farama.
La société civile a lancé un appel à la population pour qu’il rende les originaux des documents.
Source: lapresse.ca