La bataille qui oppose le Régulateur des télécommunications, l’AMRTP, à Orange-Mali est inédite. Dans d’autres pays, elle serait proprement inconcevable car sous ces tropiques, le Régulateur est tout-puissant. L’opérateur téléphonique qui le combattrait ressemblerait à un commerçant qui se brouillerait avec le patron des douanes. La puissance universelle des régulateurs vient de ce qu’il s’agit d’arbitres indépendants, uniques et techniquement qualifiés qui assurent l’application des lois, le respect de leur cahier de charges par les opérateurs, le règlement des litiges entre opérateurs, la défense des intérêts nationaux et de ceux des consommateurs. Du coup, remettre en cause l’autorité du Régulateur, c’est tuer la régulation.
Pourtant, Orange-Mali semble décidée à défier le Régulateur malien. A bien examiner les arguments de la première et du second, trois constats sautent aux yeux:
– « Douba », qu’Orange-Mali présente comme un téléphone fixe, n’a de fixe que l’apparence : aisément transportable d’une localité à une autre, il est doté, comme les autres mobiles, d’une puce et, de surcroît, fonctionne, sans payer les tarifs correspondants, sur le réseau GSM réservé aux mobiles;
– Orange-Mali a débuté la commercialisation du produit avant de le faire approuver par le Régulateur, ce qui viole ouvertement la loi;
– Quand, le 20 mai 2013, l’AMRTP a reçu une demande d’approbation du produit, elle a adressé, dès le 24 mai 2013, à Orange-Mali une interdiction de commercialisation de « Douba », ce qui rend vain l’argument d’Orange-Mali tendant à faire croire que le Régulateur n’aurait pas réagi à son offre dans le délai légal d’un mois, ce qui équivaudrait à une approbnation automatiquement de l’offre;
– Malgré une interdiction formelle du Régulateur, Orange-Mali a poursuivi la vente de son produit, ce qui a obligé le Régulateur à sanctionner l’opérateur une première, puis une seconde fois;
– Les sanctions sont clairement prévues à l’article 25 de l’ordonnance du 28 septembre 2011 qui régit le secteur des télécommunications, lequel article décide que les sanctions financières peuvent se porter à 3% du chiffre d’affaires de l’opérateur et monter, en cas de récidive, à 5% du chiffre d’affaires.
Le montant des sanctions peut étonner à première vue mais il ne pèse rien à côté, par exemple, des 10 milliards de dollars (5.000 milliards de FCFA!) infligés à la Banque Nationale de Paris par les autorités de régulation américaines pour violation d’embargos américains.
Orange-Mali a le droit de saisir la justice – elle l’a déjà fait – mais il lui sera difficile de triompher tant son argumentaire paraît léger. Un désaveu du Régulateur par la justice n’avancerait d’ailleurs pas Orange à grand-chose dans la mesure où le Régulateur garde dans la manche une arme suprême: retirer à Orange sa licence, c’est-à-dire le droit d’exercer au Mali, si elle n’obtempère pas à ses injonctions.
En vérité, on peut tout reprocher au Régulateur malien sauf son indépendance. Par le passé, Orange-Mali en a largement profité. Quand, en 2009, la Sotelma-Malitel lance le « Wasa + », Orange en a obtenu l’interdiction par le Régulateur au motif que le produit, présenté comme un téléphone fixe, avait, comme aujourd’hui « Douba », tous les traits du mobile. Malitel se plie sans barguigner à la décision en retirant de la circulation tous les appareils incriminés. Détail intéressant: avant même que le Régulateur ne se prononce sur l’illégalité de « Wassa + », Orange se rend justice en déconnectant les numéros « Wassa ». Mais le Régulateur, ne voulant pas jeter de l’huile sur le feu, préfère ne pas sanctionner cette indélicatesse inimaginable dans des pays comme la France ou les Etats-Unis…
A une autre occasion, Orange-Mali obtient 9 milliards de FCFA grâce au Régulateur qui, après enquête, découvre que les tarifs d’interconnexion Malitel-Orange dégagent un excédent en faveur d’Orange.
En 2012, Sotelma-Malitel doit, une nouvelle fois, casquer: elle devait des arriérés de redevances de 6,9 milliards au Régulateur qui, malgré les pressions, lui fait cracher le morceau. C’est avec une partie de cette somme que l’AMRTP a construit son splendide siège de verre. Pour parvenir à ses fins, elle avait bloqué l’attribution de numéros de téléphoniques mobiles à Malitel.
Enfin, Orange n’a jamais subi d’objections quant à la mise sur le marché de produits réguliers comme le « Flybox », qui fournit de l’internet à haut débit…
Le fin mot de l’affaire, c’est qu’à travers la bataille engagée en justice au sujet de « Douba », Orange-Mali veut tester les capacités de résistance de l’Etat malien. En effet, au-delà de « Douba », une querelle beaucoup plus importante se profile à l’horizon: le Régulateur envisage de brancher sur les réseaux d’Orange et de Malitel des appareils spéciaux chargés de calculer le nombre des communications, leur durée et leur qualité. Si un tel système permettrait au Régulateur d’ordonner aux opérateurs de corriger les défaillances de réseaux, il lui permettrait surtout de connaître le vrai chiffre d’affaires des opérateurs. Or de cela, ni Orange ni Sotelma-Malitel ne veulent entendre parler: elles craignent de devoir payer beaucoup plus d’impôts à l’Etat et donc de perdre une partie de leurs faramineux profits. Imaginez que chacun des 10 millions de clients maliens d’Orange consomme seulement 100 FCFA de communication téléphonique par jour: cela procurerait, en un an, 360 milliards de FCFA de chiffre d’affaires à l’entreprise. Ce chiffre s’accroîtrait de 14 milliards si seulement 20% des clients d’Orange envoyaient un SMS par jour, à raison de 20 FCFA par SMS. Or Orange-Mali, en 2013, n’a déclaré que quelque 220 milliards de chiffre d’affaires ! Un chiffre qui censé inclure non seulement les revenus procurés par les appels téléphoniques, mais aussi ceux issus des SMS, du répondeur téléphonique, des communications Internet et des services d’Orange-Money !
On comprend maintenant les vrais enjeux du litige et les hauts cris d’Orange. En tout état de cause, l’Etat malien a tort d’attendre la fin du conflit Orange-AMRTP pour encaisser les 18 milliards de pénalités infligés à Orange, la saisine de la Cour Suprême n’ayant pas d’effet suspensif.
Tiékorobani
SOURCE: Procès Verbal