Crise sécuritaire, processus de paix, Dialogue national insuclisif, aide au développement, coopération bilatérale, influence de l’UE en Afrique, le diplomate européen a livré son analyse sur toutes ces questions dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder,
L’Essor : Ces dernières semaines ont été marquées par plusieurs manifestations hostiles aux forces étrangères présentes au Mali. Quels commentaires vous inspirent ces manifestations ?
Bart Ouvry : Ces manifestations traduisent avant tout un désarroi de la population à l’égard d’une montée de la violence. Nous comptons trop de victimes du terrorisme, trop de personnes déplacées et des effets désastreux sur le fonctionnement des écoles, des services de santé et un développement économique ralenti. Je comprends ce désarroi et je partage ces sentiments. Cela nous amène parfois à des discours extrêmement critiques sur la présence étrangère. Je crois que ces discours nous trompent, l’ennemi des Maliens, ce sont les groupes terroristes qui veulent déstabiliser le Mali et au-delà toute la zone sahélienne. L’intérêt majeur de l’Europe est un Mali stable et prospère.
L’Essor : Quelles solutions propose aujourd’hui l’UE pour résoudre définitivement la crise qui secoue le Mali depuis 2012 ?
Bart Ouvry : La crise au Sahel est multidimensionnelle et je vois en ce moment trois grands chantiers, où à chaque fois, l’UE peut contribuer aux réponses. Au Nord du pays, l’Accord pour la paix et la réconciliation apporte un cadre pour des solutions politiques à des tensions qui remontent très loin dans l’histoire du pays. L’UE est un des garants de cet Accord et nous restons convaincus qu’il apporte les solutions pour un cadre sociétal apaisé. A ce titre, je me réjouis du retour des FAMa à Kidal et j’ai pu féliciter le Président de cet acquis majeur, lors de mon audience avec lui la semaine dernière. Un deuxième chantier est la crise au Centre, où les groupes terroristes augmentent leurs attaques et où on observe en même temps de la violence intra et intercommunautaire. Nous apportons notre appui à des initiatives de médiation et de réconciliation et nous le faisons particulièrement en appui aux efforts du gouvernement. Le dernier chantier est la gouvernance du pays, où le Dialogue national inclusif (DNI) est une avancée majeure. La décision du gouvernement d’organiser les législatives est un autre pas important. De manière constructive, nous avons systématiquement encouragé tous les partis politiques et la société civile à s’engager dans le DNI.
L’Essor : Le retour d’une paix durable passe nécessairement par les actions de développement dans les zones en proie à l’insécurité. Quelle est la nature de l’accompagnement de l’Union européenne à ce niveau ?
Bart Ouvry : Le développement ne peut se faire sans la sécurité et sans développement nous n’aurons pas la sécurité. C’est donc une tâche compliquée qui demande une approche intégrée. La condition du succès est avant tout une volonté politique claire de sortie de crise et un rétablissement du contrat social. Notre but est de fournir les compétences et les équipements nécessaires à cette tâche. Au Centre, nous avons construit à Konna un camp sécurisé qui doit contribuer à la gouvernance et au développement dans la région. Outre une infrastructure permettant aux gendarmes de résister à des attaques terroristes, nous avons aussi réhabilité le marché de bétail local et rénové le centre de santé. Nous observons que les populations s’installent autour du camp de Konna et apprécient le retour de la protection de l’Etat. Actuellement, nous construisons au Centre quatre autres de ces camps et nous voulons aller au-delà.
L’Essor : Le processus de paix était dans l’impasse depuis plusieurs mois, à cause de la suspension des travaux du Comité de suivi de l’Accord (Csa). Quel peut être l’apport de l’UE pour la relance des activités de ce comité ?
Bart Ouvry : Le succès du Dialogue national inclusif permet aujourd’hui la reprise des travaux et nous nous réjouissons de ce sursaut. Nous dialoguons avec toutes les parties autour de la table et les Nations unies ont déjà inscrit des individus qui se comportent de manière inacceptable autour de cette problématique et nous pouvons aller plus loin dans cette pression sur ceux qui ne prennent pas leurs responsabilités. L’UE préside le sous-comité qui se penche sur la mise en pratique du Fonds de développement durable et grâce à des taxes spécifiques le FDD contient déjà des dizaines de milliards de FCFA. Le retour de la sécurité devrait permettre la mise en œuvre d’initiatives pour offrir des emplois aux Maliens habitant dans le nord du pays.
L’Essor : Les Maliennes et les Maliens, dans leur diversité, viennent de se parler, à travers le Dialogue national inclusif. Quel pourrait être l’apport de l’Union européenne dans la mise en œuvre des conclusions de ces assises?
Bart Ouvry : Le véritable enjeu du dialogue était politique, rétablir un large consensus entre Maliens sur la gouvernance du pays. Un pas géant a été fait et j’ai particulièrement apprécié l’apport des femmes maliennes dans le Dialgoue. Mais le calendrier de mise en œuvre est tenu. C’est le gouvernement qui prend en main la mise en œuvre et les élections annoncées pour mars sont un enjeu capital. Je note une volonté ferme du gouvernement d’assurer sur fonds propres et dans les délais les élections. Notre apport serait avant tout de l’expertise, par exemple par la formation des acteurs de la société civile. Eux jouent un rôle crucial dans l’observation des élections et permettent l’adhésion des Maliens au processus électoral.
L’Essor : Parlons de la coopération entre l’UE et le Mali. Pouvez-vous nous parler de cette coopération vieille de plusieurs décennies et qui s’est densifiée au fil des années. Quels sont les principaux axes de cette coopération ?
Bart Ouvry : Effectivement, la coopération entre l’Union européenne et le Mali a plus de 60 ans. C’est donc une relation qui a un véritable passé et qui est solide. Nous nous concentrons sur les infrastructures routières -la route de Tombouctou, la route de Kidal, mais aussi de distribution d’eau à Bamako avec la station d’eau de Kabala. Autres secteurs prioritaires sont le développement rural, la sécurité alimentaire et l’agriculture, avec un appui massif et long terme à l’Office du Niger. Ensuite l’éducation, la justice, la réforme de l’Etat et la consolidation de l’Etat de droit. Nous le faisons dans un souci de formation de compétences et d’appuis aux réformes décidées par le gouvernement. Parfois les réformes sont lentes, par exemple la réforme de la gestion des ressources humaines à l’Armée se fait attendre et nous n’avons malheureusement pas pu débourser toute l’aide prévue. Mais le dialogue continue et je ne désespère pas de voir des progrès en 2020. Déjà en 2019, les résultats du gouvernement ont été meilleurs que pendant l’année précédente.
L’Essor : Peut-on dire que le Mali fait partie des pays africains qui bénéficient le plus de l’aide de l’UE? En chiffres, à combien s’élève l’aide de l’UE au Mali, surtout après le début de la crise en 2012 ?
Bart Ouvry : Absolument, le Mali est un des premiers bénéficiaires du Fonds européen de développement, le FED, avec 436 milliards de FCFA pour la période 2014-2020 et du Fonds fiduciaire d’urgence, le FFU, à hauteur de 141 milliards de FCFA depuis 2016. Il existe d’autres instruments plus spécialisés (environnement, droits de l’homme, secteur privé). Le Mali se place dans le trio de tête, derrière l’Ethiopie et le Niger, recevant le plus de financements du FED. Cela démontre l’importance stratégique du Sahel pour l’UE et notre souci de solidarité avec les Sahéliens à un moment particulièrement difficile dans leur histoire.
L’Essor : L’UE est-elle présente dans tous les pays africains et quel est son apport au continent ?
Bart Ouvry :L’UE est présente dans tous les pays africains. Bien sûr nous y sommes actifs comme le principal acteur en termes de coopération, mais au-delà des chiffres nous y sommes aussi présents comme acteur de sécurité et partenaire politique. L’Union africaine est un de nos principaux partenaires et nous partageons des valeurs essentielles. L’UA a développé un corps de textes fondamentaux au sujet des droits humains ou de la démocratie qui illustre une communauté de valeurs et d’objectifs. C’est dans cette communauté de valeurs que réside l’essentiel de notre relation, au-delà d’intérêts spécifiques ou d’argent. Nous partageons une histoire commune, parfois difficile, mais la géographie nous fait aussi des voisins proches. La volonté de la nouvelle Commission, et du Président du Conseil européen Charles Michel de renforcer nos relations est bien là. Bientôt le Président Michel rencontrera le Président Ibrahim Boubacar Keïta à Addis Abeba, déjà pour la deuxième fois en quelques mois.
L’Essor : Dans votre carrière de diplomate, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
Bart Ouvry :Sans aucun doute, c’est le rapport au temps des Africains qui m’a marqué. Nous Européens avons la tendance à nous imposer des contraintes fortes en termes de temps. Les Africains évitent cette contrainte temporelle et vont patiemment réunir les conditions pour résoudre une question, tenant compte des attentes des uns et des autres, dans un souci de consensus et cohésion. J’ai appris à juger moins. Certes notre approche occidentale a des avantages, particulièrement pour envoyer des satellites en orbite. Mais l’approche africaine a des mérites quand il s’agit d’obtenir l’appui des populations ou de garantir la durabilité d’un projet, d’une réforme, d’une loi. J’ai appris de par mon expérience en Afrique, que l’approche africaine est parfois préférable à nos schémas occidentaux. Africains comme Européens, nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres.
SBT/MD
(AMAP)