« Les musulmans on va les tuer! Les Séléka on va les tuer! »: sur la grande artère menant à la sortie nord de Bangui, une bande de jeunes, machettes, couteaux et serpes à la main, vocifèrent en bord de route.
Les membres du groupe sont couvert de la tête aux pieds de gris-gris en tous genres: amulettes de cuir sur des biceps saillants, balles pendues par une ficelle autour du cou ou sur le front, ceintures de raphia autour de la taille…
Leur haine se transforme en excitation à l’approche des journalistes. L’un d’entre eux brandit une vieille kalachnikov à l’acier patiné. Ils se revendiquent « anti-balaka », des milices chrétiennes d’auto-défense en lutte contre l’ex-rébellion Séléka qui a pris le pouvoir en mars.
Et sur cette portion de la route, ils sont chez eux. Cependant ils disparaissent vite à l’approche des patrouilles françaises de l’opération Sangaris.
A peine un kilomètre plus loin, ce sont des militaires burundais, bien équipés et disciplinés qui tiennent le tronçon. Lentement, le regard fixe, étouffant de chaleur sous leurs casques lourds, ils patrouillent à pied et progressent en colonne. « Faites attention, plus loin, c’est les Tchadiens », avertit un riverain.
Lundi, un grave accrochage a opposé soldats tchadiens et burundais de la force africaine (Misca).
Les deux contingents sont censés oeuvrer de concert dans la force de l’Union africaine mandatée par l’ONU pour rétablir la sécurité en Centrafrique, au coté des 1.600 soldats français.
Selon le chef du contingent burundais, ses hommes ont été la cible d’une attaque des soldats tchadiens, avec tirs d’armes automatiques et jet de grenade. Le quartier porte encore les stigmates de l’affrontement: impacts de balles sur les façades, douilles de munitions de 12,7 mm sur le sol poussiéreux.
« Quand les Tchadiens ont attaqué, les Burundais se sont couchés au bord de la route » avant de riposter. « Je le sais, j’étais couché avec eux », raconte un habitant.
Tchadiens, Burundais, Séléka, anti-balaka, Français… tous font partie du paysage quotidien à Bangui, avec chacun leurs méthodes, leurs amis, leurs ennemis. Lundi, des chrétiens manifestaient en soutien aux Français et contre les Tchadiens, qui ont répondu en ouvrant le feu sur la foule. Le lendemain, c’était au tour des musulmans de défiler dans la rue, accusant la France de « partialité », et de soutenir les anti-balaka…
Chacun a son « informateur »
Dans cet imbroglio, il est bien difficile pour les Banguissois de s’y retrouver, alors que chaque jour apporte son lot d’évènements dramatiques que personne n’arrive à démêler, entre rumeurs, fantasmes et réalités.
Et pour évoluer dans la ville, mieux vaut savoir dans quel quartier on s’aventure. Alors que les musulmans craignent les quartiers « tenus » par la milice, de nombreux chrétiens se terrent à chaque sortie ou incursion des Séléka majoritairement musulmans.
Chaque jour, échanges de tirs et incidents d’origine indéterminée éclatent à intervalles réguliers dans certains quartiers chauds, alimentant la confusion et le sentiment d’insécurité généralisée.
Les rumeurs sont innombrables, chacun y va de son pronostic ou de son « informateur », généralement un habitant paniqué par les coups de feu aux alentours, mais barricadé chez lui avec ses proches et qui en fait n’a guère idée de ce qui passe dans la rue.
« Les Séléka sont en train d’attaquer l’aéroport! », s’exclame un expatrié pendu au téléphone a la table d’un restaurant. Et sur place pourtant, rien. Dans le quartier voisin de Damala, des tirs appuyés résonnent, faisant fuir de nombreux civils dont le pas pressé soulève la poussière du quartier. C’est un affrontement entre « Tchadiens » et anti-balaka, assurent des jeunes débraillés et surexcités. « Il ne s’est rien passé avec eux », confie peu après l’un d’eux.
Mais des coups de feu continuent dans le secteur, et sans doute encore une fois on ne saura jamais le pourquoi du comment. Vingt minutes plus tard, tout est calme, et tout le monde semble déjà avoir oublié l’évènement.
Là comme ailleurs, seuls les impacts et les cadavres, à la vue desquels tout le monde s’est habitué, témoignent des évènements. Comme ce matin dans le quartier de Fouh, où gît au beau milieu de la route le corps d’un homme au crâne défoncé. Il a été tué par les anti-balaka, disent certains. « Pas du tout, il a été heurté par un camion », raconte Dieu-Déni, un grand-père qui vit à proximité. « J’étais là, il est mort dans son camion qui s’est renversé hier », contredit un troisième larron.