L’analyse ci-dessous est destinée au grand public. Aussi, se passera-t-elle de certains détails qui paraîtraient mesquins, quoique importants pour la reine de toutes les lois de notre patrie. Chaque science, chaque matière, chaque produit conventionnel obéit à des procédures et des règles. L’élaboration d’une Constitution d’un Etat ne fait pas exception.
L’équipe qui a travaillé sur le Projet de nouvelle Constitution, contrairement à la règle en la matière, avait les mains liées par l’Avant-projet élaboré par la Commission technique. Cela explique pourquoi, malgré les multiples propositions d’amendement faites par des partis politiques, des organisations de la société civile et des personnalités indépendantes, il n’y a aucune différence notoire de fond entre ces deux textes.
Les modifications prises en compte par la Commission de finalisation sont relatives à l’amélioration de la forme du Projet. Nous y avons contribué. La qualité rédactionnelle en a été rehaussée. Toutefois, des erreurs mineures demeurent ainsi que des hésitations de style par endroits.
L’objectif de ce papier est d’éclairer le plus grand nombre de Maliens possible, sur ce qu’il y a de nouveau et de dangereux dans ce Projet de Constitution par rapport à l’ancienne Constitution de 1992, afin que si jamais, ils devaient aller au référendum, ils puissent faire un choix d’avenir en toute conscience.
Alors, nous n’y ferons pas de proposition d’amendement, car le Projet est bouclé ; néanmoins nous espérons que certaines erreurs de forme ne sont pas trop tard à rattraper.
Sur la forme : des erreurs qui persistent
Le Préambule est le titre que l’on donne généralement à l’introduction d’une Constitution. Il n’est pas indispensable. Mais lorsqu’on le met, on doit respecter les bonnes règles d’écriture en la matière. Le titre ne se termine pas généralement par un signe de ponctuation. Ainsi, en fut-il à raison de la Constitution de la Première République, de la Deuxième République et de la Troisième République.
Le Préambule de ce Projet de Constitution est suivi de deux points, ce qui le transforme en chapitre, qui n’a plus de titre. Et tout ce qui suit logiquement est une description du Préambule, une citation de ses éléments constitutifs, sauf que la dernière phrase sous ce chapitre se termine également par deux points. Alors tout le corps du texte devient du coup une partie du Préambule. Ce qui est une aberration. Ce qui, peut-être, les a trompés, c’est l’écriture de certaines Conventions internationales alors que dans ces cas-ci, il n’y a pas de mention de Préambule à l’introduction ; donc, le titre devient celui de la Constitution elle-même, qui englobe tout le corps du texte.
Au 19e alinéa du Préambule, “violence” ne devrait pas prendre un “s” ; c’est inutile ; “les formes” le rendent déjà dans l’expression “les formes de violence”. Il y a des virgules qui manquent dans plusieurs articles, notamment les articles 18, 70, 74. Pas des virgules décisives.
A l’article 71, on parle d’”alinéa premier du présent article”, alors qu’il n’y a même pas d’alinéa. Un alinéa en droit, faut-il le rappeler, est une division non numérotée d’un article. C’est grotesque.
A l’article 119, on a omis la préposition “par” entre “l’ordre fixé” et “le Gouvernement” ; ensuite, la répétition du mot “Gouvernement” dans la même phrase l’alourdit inutilement, car tout le monde sait que les projets de loi émanent du Gouvernement et les propositions de loi, du Parlement.
A l’article 120, on écrirait mieux “les membres du Parlement et du Gouvernement”. A l’article 189, la formulation de la suprématie de la nouvelle Constitution une fois adoptée est mal faite. Car, si “la législation en vigueur (y compris la Constitution de 1992, non suspendue) demeure valable dans la mesure où (dans la proportion où) elle n’est pas contraire à la présente Constitution”, cela signifie qu’on aura théoriquement deux Constitutions après le référendum : l’ancienne partiellement valide et la nouvelle totalement en vigueur. Qui souhaite ce greffage incongru ?
A l’article 191, comme ce fut le cas de la Constitution de la Première République (article 52), de la Deuxième République (article 74) et de la Troisième République (article 120), on dit que la “présente Constitution sera soumise au référendum” ; alors qu’on sait pertinemment qu’elle ne devienne Constitution qu’une fois votée oui au référendum. Donc, dans cet article, on devrait plutôt convenablement nommer ce texte de projet de Constitution, comme partout ailleurs, et ce par respect pour le peuple qui doit s’exprimer et des règles de droit constitutionnel.
Nous vous faisons l’économie des manquements dans l’harmonie de certains articles, des hésitations entre des prépositions et des concepts. Un exemple pour illustrer ce propos : dans le 18e alinéa du Préambule, on s’engage à respecter les “droits humains”, tandis que dans l’article 84, on promeut le respect des “droits de l’Homme”. Il fallait choisir entre le concept anglo-saxon et le concept français. Quid du choix de l’expression des “Forces armées et de sécurité” vieillie, au lieu de l’expression moderne des “Forces de défense et de sécurité” consacrée par l’usage au quotidien ?
Sur le fond : des choix dangereux et des légèretés
Le projet de nouvelle Constitution rompt l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, en renforçant le premier et en affaiblissant le second. Il réduit le nombre des institutions de 8 à 7, et modifie le fonctionnement du Parlement au bénéfice de l’exécutif.
Cette redistribution des pouvoirs profite le plus au Président de la République qui voit ses pouvoirs grossir de droit.
Le Mali est au seuil d’un nouveau régime politique présidentialiste, où le Président devient un genre d’autocrate tout puissant. Ce régime est très dangereux pour les droits et libertés des citoyens. Il ne peut être bien manié que par un homme éclairé et juste. Et au pouvoir, les hommes se succèdent et ne se ressemblent pas.
Les nouveaux pouvoirs du Président de la République, par rapport à la Constitution de 1992 : il détermine la politique de la Nation (article 44) ; il met fin aux fonctions du Premier ministre, sans qu’il soit nécessaire que celui-ci présente la démission du gouvernement (article 57) ; il nomme les autres membres du gouvernement, sans qu’il soit nécessaire que le Premier ministre les lui propose (article 57) ; il s’adresse au Parlement réuni en Congrès sur l’état de la Nation, une fois, le premier trimestre de chaque année (article 61) ; il ordonne la mobilisation générale des citoyens lorsque la situation sécuritaire l’exige (article 69) ; il nomme les membres de la Cour des comptes, au choix desquels il participe (article 162).
Les pouvoirs implicites du Président de la République : il peut désigner (article x, non écrit) un quota parmi le 1/4 des membres à désigner au Sénat (article 97) ; car l’autorité de désignation de ce 1/4 est sciemment occultée ; il peut désigner (article x, non écrit) un quota parmi la moitié des membres du Conseil supérieur de la magistrature (article 137), constituée de non magistrats ; car l’autorité de désignation de cette moitié est sciemment occultée.
Pour se rendre compte de l’ampleur du cumul de pouvoirs dans les mains du Président de la République, il faut rappeler certains qu’il conservera de la future ancienne Constitution : il conserve son pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale, (article 69, alors que dans l’Avant-projet ce pouvoir était implicite tel que nous l’avions déclaré en son temps) ; il promulgue les lois (article 59) ; il peut soumettre au référendum, toute question d’intérêt national (article 60) ; il est le Chef suprême des Forces armées (article 63) ; il préside le Conseil supérieur de la magistrature (article 64) ; il exerce le droit de grâce (article 65) ; il nomme aux emplois supérieurs civils et militaires (article 67) ; il exerce des pouvoirs exceptionnels en cas de menace grave et immédiate sur l’Etat (article 70) ; tout pouvoir non expressément délégué à une autre institution peut être exercé par lui (article x, non écrit).
Les pouvoirs supprimés du Parlement : le Parlement ne peut plus censurer le gouvernement et provoquer de ce fait sa démission (article 79 de la Constitution de 1992) ; il ne peut plus bloquer un projet de loi à cause des rapports entre ses deux chambres (alors que ce pouvoir de blocage est possible dans l’article 79 de la Constitution de 1992, par le jeu d’une motion de censure).
Le “nouveau” pouvoir “boucan” et illusoire du Parlement : il peut destituer le Président de la République en cours de mandat pour haute trahison (article 72).
En réalité, ce pouvoir n’est nouveau que dans ses modalités de mise en œuvre. Dans la Constitution de 1992 en vigueur, article 96, la Haute Cour de Justice (HCJ) émane de l’Assemblée nationale, donc du Parlement.
Bien qu’on ait supprimé la HCJ, le Parlement demeure l’institution politique chargée de mettre en accusation et de juger le Président de la République pour haute trahison. Rien de nouveau au fond.
La procédure en la matière dans le Projet de nouvelle Constitution est aussi complexe et politique que dans celle de la Constitution de 1992 ; elle contient six étapes : le vote de la motion de destitution par l’une des deux chambres (majorité des 2/3), la saisine de la commission compétente d’investigation (qui peut mettre fin à la procédure, après son investigation), le vote de l’acte d’accusation par la chambre à l’initiative de la motion (majorité simple), le vote de l’acte d’accusation par l’autre chambre (même majorité), la réunion du Congrès pour discuter de la destitution du Président, le vote de la destitution par le Congrès (majorité des 3/4).
Il serait raisonnable de penser qu’une telle procédure de destitution ne pourrait jamais aboutir sous un régime politique dominé par les partis politiques.
Des leurres de fond : à l’article 31, des choses ont été corrigées mais des ambiguïtés demeurent.
En effet, déclarer que les “langues nationales sont des langues officielles”, sans qu’elles ne puissent constituer des langues de travail, c’est faire croire à un enfant qui cherche de l’or que le cuivre qu’on lui tend en est un. Cela aura certainement des conséquences.
Le français demeure la langue de travail, et conserve de ce fait sa prééminence sur les langues nationales dites officielles. L’officiel sans usage officiel, c’est la poudre de perlimpinpin. A l’article 54, la formulation est un peu équivoque : “Le Président élu entre en fonction à l’expiration du mandat du Président en exercice”. Il s’agit de quel Président en exercice ? Celui qui est définitivement empêché ? Si oui, peut-on dire qu’il est toujours en exercice de mandat ? Celui qui assure l’intérim ? Si oui, peut-on dire qu’il détient un mandat (électoral) ?
Tout porte à croire qu’il s’agit du président par intérim, qui devra désormais terminer le mandat du Président définitivement empêché. A l’article 106, la transhumance politique est interdite sous peine de déchéance de mandat.
Néanmoins, cela ne laisse aucunement le choix à un homme politique qui a sincèrement perdu foi en son parti, devenu une caisse de résonance d’un intérêt privé, à reprendre ses libertés. Le présent article le condamnerait à subir le diktat de ce parti corrompu. Cela ne serait pas juste.
Des innovations utiles
Dans le préambule, il est introduit le principe de la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite, et celui de l’exemplarité dans la gouvernance de l’Etat. Ils auraient pu aller loin, comme d’autres l’ont fait, en instituant l’organe central de lutte contre l’enrichissement illicite dont l’existence ne dépendrait plus du bon vouloir d’un Président.
Au Titre I (article 3), l’affirmation du droit de l’enfant à sa protection contre l’enrôlement dans les groupes extrémistes violents.
La définition du mariage conformément à notre culture (article 9), étant donné qu’elle est différente sous d’autres cieux.
Le devoir de l’Etat de protéger le mariage et la famille, reconnus comme fondement naturel de la vie en société (article 9). Un chapitre à part (II) consacré aux devoirs.
La mobilisation des citoyens âgés d’au moins 18 ans aux côtés des Forces de défense et de sécurité (article 24) (absent de l’Avant-projet).
Au Titre II (article 30), l’affirmation de la forme unitaire de l’Etat ; cela exclut toute possibilité de fédéralisme sous l’empire de cette Constitution une fois votée. La reconnaissance du statut de langue officielle à toutes les langues nationales au Mali (article 31), même si cela reste une reconnaissante superficielle. La possibilité pour l’Etat d’adopter par loi, une autre langue de travail que le français (article 31). La définition de la laïcité conformément à notre acception endogène (article 32). La réduction des institutions de la République à 7 (article 36). La reconnaissance du rôle de veille citoyenne de la société civile (article 40).
Au titre III (article 48), l’augmentation du délai de campagne d’une semaine entre les deux tours de la présidentielle ; L’augmentation du délai d’organisation d’une nouvelle élection par le Président de la République intérimaire, qui passe de 45 jours à 90 jours au moins et 120 jours au plus (article 53).
L’introduction dans le serment présidentiel, de la reconnaissance du droit pour le peuple à retirer sa confiance au Président s’il viole son serment (article 55) ; cela pourrait se faire par l’activation de la désobéissance civile reconnue ou la procédure de destitution, du moins théoriquement.
La définition du fait qualifié de haute trahison (article 73), à prendre en compte dans le code pénal et le code de procédure pénale.
La limitation des membres du gouvernement à travers une future loi organique (article 75, le nombre était limité à 29, quelle que soit leur dénomination, dans l’Avant-projet).
La responsabilité pénale des ministres peut être engagée durant leur fonction devant les juridictions pénales de droit commun (article 82).
Le devoir de l’Etat de veiller à la capacitation des Forces de défense et de sécurité à travers des lois de programmation (article 93).
Au Titre IV (article 96), les Maliens établis à l’extérieur sont représentés à l’Assemblée nationale. L’interdiction de la transhumance politique, en cours de mandat, sous peine de déchéance de son mandat (article 106), même si cela devait être mieux encadré.
La possibilité, pour les membres du Parlement, du Conseil économique, social, environnemental et culturel, de destituer leurs présidents (respectivement article 113 et article 172).
Au Titre V (article 129), la reconnaissance des modes traditionnels de règlement des différends ; la loi devrait en faire un véritable système parallèle capable d’assouvir la soif de justice des citoyens ; il faudrait aller au bout de cette logique.
L’obligation d’une sanction administrative pour les juges qui manqueraient les délais impartis par la loi, pour la rédaction de leurs jugements (article 131).
La possibilité pour les citoyens de saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature (article 136). La création de la Cour des comptes (article 156).
Au Titre VIII (article 179), la reconnaissance des légitimités traditionnelles et de leur mission de renforcement de la cohésion nationale et dans la gestion des conflits.
Des innovations problématiques
Au Titre III (article 46), la limite d’âge du candidat à la présidence de la République est fixée à 75 ans : vu la possibilité pour un Président de faire deux mandats, on peut se retrouver facilement à soigner permanemment un Président octogénaire, très affaibli physiquement.
L’interdiction des binationaux de se porter candidat à l’élection présidentielle (article 46) : c’est une discrimination inéquitable envers une catégorie de Maliens. L’interdiction, pour être juste, devait peser sur le candidat élu Président et avant son investiture, autrement dit, lui donner la possibilité de renoncer à la nationalité étrangère avant sa prestation de serment.
Le Président de la Cour des comptes informe l’opinion nationale de l’accomplissement de la formalité de déclaration des biens du Président de la République et de leurs mises à jour (article 56), ainsi que celles des membres du Gouvernement (article 79) ; adieu la publicité de ces déclarations écrites des biens. Ce manque de transparence est un mauvais signal pour la lutte contre la corruption.
Le Président de la République demeure le président du Conseil supérieur de la magistrature (article 64) : cela entame l’indépendance de cette instance qui gère la carrière des magistrats.
Le Premier ministre présente devant le Parlement le plan d’action du Gouvernement (article 80), qui est suivi de débats assortis de recommandations mais sans vote.
Au Titre IV (article 97), l’absence du mode de désignation du 1/4 des membres du Sénat : voir page 5, deuxième phrase ;
Au Titre V (article 137), l’absence du mode de désignation des non magistrats qui composeront le Conseil supérieur de la magistrature, et qui en représenteront la moitié des membres : il est fort possible que le Président déjà puissant ne s’en attribue la désignation d’au moins 1/3.
La persistance du mode de désignation foncièrement politique des juges de la Cour constitutionnelle (article 145), juges du référendum et de l’élection présidentielle : sous un régime dirigé par les partis politiques, le Président de la République peut facilement obtenir le choix de 5 des 9 juges ; on n’a point tirer les leçons de la crise post-électorale de 2020 qui a enflammé le pays ; le mode préconisé soutient une perception de partialité des juges électoraux, donc de nature à saper la confiance des candidats et des électeurs en les résultats.
En définitive, il est presqu’évident que ce Projet de Constitution est taillé sur mesure. Et il faut relever que dans le Préambule, on a renoncé à toute référence explicite aux idéaux de la révolte populaire des 10, 11 et 12 juillet 2020 qui a engendré cette Transition. Pendant qu’au même moment, on a juré de renforcer les acquis démocratiques de la révolution du 26 mars 1991. Il ne devrait pas y avoir de compétition de mémoire entre générations de Maliens, mais plutôt du respect mutuel pour les sacrifices accomplis.
Dr. Mahamadou Konaté
Juriste
Source : Mali Tribune