Au moins 50 personnes ont été tuées dimanche dans des heurts entre partisans et opposants du président déchu, Mohammed Morsi.
On les disait à bout de souffle, décimés depuis le sanglant démantèlement de leur sit-in, le 14 août dernier. Après un éphémère retour au calme, ponctué par de timides rassemblements, les Frères musulmans ont repris ce week-end le chemin des manifestations, annonciatrices d’une nouvelle vague de tension dans le pays. Ce dimanche, la violence a refait surface au cours d’affrontements entre opposants et partisans du président déchu, Mohammed Morsi. Dans la soirée, un bilan faisait état d’au moins 50 morts. Vendredi, au moins quatre personnes avaient déjà péri lors de sanglants accrochages.
Le choix de la journée de dimanche était particulièrement symbolique. Ce 6 octobre correspond au 40e anniversaire de la «guerre d’octobre», quand l’armée égyptienne récupéra la péninsule du Sinaï occupée par Israël depuis la guerre des Six-Jours. Pour l’institution militaire, à l’origine du coup d’État anti-Morsi du 3 juillet, c’est l’occasion idéale de fédérer les foules autour d’elle. Tout au long de la journée, ses partisans ont rallié la place Tahrir, encadrée par des blindés, en arborant des portraits du général Abdel Fatah al-Sissi, le nouvel homme fort du pays. Ballons et drapeaux flottaient au-dessus des têtes tandis qu’une bonne dizaine d’avions de chasse survolaient le ciel de la capitale.
La Coalition anti-coup – composée de Frères musulmans et de partisans de la Confrérie – avait, elle aussi, fait le pari de converger vers cette place emblématique de la révolution de janvier 2011, dont les Égyptiens se disputent l’héritage. La veille, le ministère de l’Intérieur avait annoncé sa «détermination à faire face avec fermeté à toute violence et infraction à la loi de la part des partisans des Frères musulmans au cours de leurs manifestations». «Nous n’avons pas peur des menaces», insiste Fatima Alaa. Membre de la Confrérie, la jeune femme voilée de 23 ans a quitté à la mi-journée le quartier des Ingénieurs pour tenter de rejoindre Tahrir. Dans son cortège, des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, le poster de l’ex-président Morsi à bout de bras.
Il est environ 15 heures quand nous la retrouvons avec ses acolytes sous le pont de Dokki, qui mène vers le centre du Caire. Pour prouver sa détermination, elle ouvre son sac à dos, rempli de masques à gaz, de désinfectant et d’antidouleur. «Nous sommes ici au nom de la liberté. Nous dénonçons les arrestations massives, les morts de manifestants», insiste-t-elle. Depuis le 3 juillet, des centaines de pro-Morsi ont été tués. L’ex-raïs islamiste élu en juin 2012 est toujours placé en détention, tout comme 2000 autres membres des Frères musulmans. Soudain, des rafales de tirs retentissent dans le ciel. De l’autre côté du pont, les forces de l’ordre dispersent les protestataires. Très vite, un nuage de gaz lacrymogène déferle dans la foule. Par ricochet, les téléphones portables se mettent à colporter d’autres nouvelles, en provenance cette fois-ci de la corniche Qasr el-Nil, qui mène également vers Tahrir. Là-bas, tout comme aux alentours de la place Ramsès, les forces de l’ordre empêchent les pro-Morsi d’avancer.
«La place Tahrir appartient à tout le monde. C’est l’armée qui divise le peuple, pas les Frères», s’emporte Iman Nabil. Cette manifestante qui dit n’appartenir à aucun groupe politique, refuse de voir dans ces rassemblements une provocation de la Confrérie. Elle dit avoir rejoint la «Coalition anti-coup» depuis la mort de plusieurs de ses amis lors du massacre orchestré par l’armée, le 14 août. Quand nous la rappelons dans la soirée, la violence du jour n’a pas entamé sa détermination. Au contraire. «Les militaires se trompent en pensant étouffer les Frères. Plus les forces de l’ordre tueront, plus la mobilisation reprendra», prévient-elle.