Le nouveau président a désormais toutes les cartes en main pour redonner espoir à un peuple meurtri par presque une décennie de guerre.
La cérémonie d’investiture à la tête de notre pays de cet officier de 38 ans s’est tenue au centre international de Bamako (CICB) lundi à partir de 10heures. « Je jure devant Dieu et le peuple malien de préserver en toute fidélité le régime républicain (..), de préserver les acquis démocratiques, de garantir l’unité nationale, l’indépendance de la patrie et l’intégrité du territoire national » a dit-il déclaré. Aux partenaires qui doutent encore, ses propos sont sans équivoque : « Je voudrais rassurer les organisations sous régionales et la communauté internationale en général que le Mali va honorer l’ensemble de ses engagements pour et dans l’intérêt supérieur de la nation »Le chef de la junte a affirmé sa volonté d’organiser « des élections crédibles, justes, transparentes, aux échéances prévues »
Train de vie réduit
Les militaires surfent sur les échos favorables que rencontrent de plus en plus au sein d’une opinion publique à une réduction du train de vie de l’Etat. Une vieille revendication au centre des préoccupations du peuple malien qui a dénoncé la gabegie du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta. Le nouveau président de la transition l’a d’ailleurs vérifié lundi avec une salve d’applaudissements lorsqu’il a annoncé allouer les deux tiers du fonds de souveraineté de la présidence, soit 1,8 milliard de FCFA aux « aides socio sanitaires ».
Dans son grand oral, le colonel Assimi Goïta a parlé de sa « responsabilité historique » à « sécuriser « le pays », à « préserver son intégrité territoriale » et à « créer les conditions d’un développement socio-économique » dans « la cohésion et la solidarité ».
Admirateur de Sankara
Assimi Goïta est né en 1983. Fils d’un officier des Forces armées maliennes, il est formé dans les académies militaires du Mali et fréquente notamment le Prytanée militaire de Kati et l’Ecole militaire interarmes de Koulikoro(EMIA). Il a dirigé les forces spéciales maliennes dans le centre du pays avec le grade de colonel. Il est, avec Ismaël Wagué, Malick Diaw et Sadio Camara, l’un des organisateurs du coup d’état de 2020 contre le président Ibrahim Boubacar Keïta. Le 19 août, il est désigné président du Comité national pour le salut du peuple (CNSP).
La communauté internationale refuse qu’il prenne la tête de la transition. Assimi se contente d’occuper le fauteuil de vice-président de la transition le 21 septembre 2020 et prêté serment le 25 septembre 2020, mais tient réellement le pouvoir. Admirateur de l’ancien président burkinabè, Thomas Sankara, il a rencontré l’ex-numéro un ghanéen Jerry John Rawlings.
Le chef de la junte s’est employé à rassurer les ex-rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) signataire de l’accord de paix en 2015. Les réticences formulées au début sont rangées au placard. Ses émissaires ont finalement accepté d’accompagner la seconde phase de la transition. D’ailleurs, plusieurs de ses dirigeants ont répondu présents à l’investiture.
Le discours du nouveau président est globalement bien accueilli des populations qui espèrent à ce qu’il ne soit point un nouveau catalogue d’intentions.
Ciel assombri
Le colonel a prêté serment alors que le ciel des relations avec la France s’est brusquement assombri. Paris a haussé le ton à la suite du récent coup de force qui a porté au pouvoir le colonel Assimi Goïta. La France a décidé de suspendre « à titre conservatoire et temporaire » sa coopération militaire bilatérale, a confirmé au Monde, jeudi 3 juin, le ministre des Armées.
La décision française entraîne ipso facto l’arrêt des activités de formations dont bénéficient les forces armées maliennes et de sécurité. »Ces décisions seront réévaluées dans les jours à venir au regard des réponses qui seront fournies par les autorités maliennes » a expliqué Florence Parly.
Depuis 2014, quelque 5.000 hommes de l’opération française « Barkhane » sont déployé au Sahel pour combattre les groupes djihadistes qui sèment la mort et la désolation à leur passage.
La Banque mondiale a annoncé avoir « temporairement mis en pause les décaissements de ses opérations au Mali pendant qu’elle suit l’évolution de près de la situation ». Cette déclaration, de l’avis d’un porte-parole, a été prise « conformément à la politique de la Banque applicable à des situations similaires » à celle survenue au Mali.
La communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) a suspendu notre pays de ses instances, et réclamé la nomination d’un Pm civil et le maintien des électionsaudébut de 2022, le conseil de sécurité de l’Onu a émis une condamnation »ferme », mais pas de sanctions.
« Obligation d’agir »
Les militaires disposent de tous les leviers du pouvoir pour transformer en réussite la période transitoire, gage d’élections apaisées et de réformes. L’homme fort a annoncé avoir démis de leurs fonctions le président Bah N’Daw et le Premier ministre Moctar Ouane, arrêtés et accusés de « sabotage » de la transition.
Suivant leurs rapports non écrits, les deux devaient s’abstenir de marcher sur ses plates-bandes : la défense et la sécurité. Ce pacte non écrit l’accordait en réalité une grande influence dans les choix des hommes devant occuper les charges de ministres de la Défense et de la Sécurité. Bah N’Daw et MoctarOuane, qui sont passés outre, l’ont appris à leurs dépens.
Goïta qui n’est point rallié à leur façon de faire signifiait ainsi qu’il est et restait l’homme fort, qu’il a l’autorité suffisante pour imposer son point de vue aux deux. Le résultat a été une coupure entre eux et le conflit. Le tombeur du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta a reproché au président de former un nouveau gouvernement sans le consulter bien qu’il soit chargé de la défense et de la sécurité. « Une telle démarche témoigne d’une volonté manifeste du président de la transition et du Premier ministre d’aller vers une violation de la charte de transition (…) ou d’une intention avérée de sabotage de la transition ».
Assimi Goïta a assuré hier s’être vu « dans l’obligation d’agir » et de « placer hors de leurs prérogatives le président et le Premier ministre ainsi que toutes les personnes impliquées dans la situation ».
Rôle taillé sur mesure
« Le processus de transition suivra son cours normal et les élections prévues se tiendront courant 2022 »a déclaré le colonel Assimi Goïta dans une déclaration lue à la télévision publique par un collaborateur en uniforme.
Le colonel Goïta avait conduit le 18 août 2020 le putsch contre le président élu Ibrahim Boubacar Keïta après des mois de contestation populaire. La junte avait ensuite installé des autorités de transition, dont Bah N’Daw, militaire à la retraite, et Moctar Ouane, diplomate. Ils s’étaient engagés, sous pressions internationales, à rendre le pouvoir à des civils élus au bout de 18 mois, et non pas trois ans comme ils l’estimaient nécessaire. Ils conservaient cependant la main sur les leviers du pouvoir, avec le colonel Goïta dans le rôle taillé sur mesure de vice-président en charge de la sécurité.
Lundi, les militaires ont mis la main sur le président, le Premier ministre, le nouveau ministre de la Défense et de hauts collaborateurs, quelques heures à peine après la présentation d’un nouveau gouvernement à la suite de la démission du précédent, confronté à une contestation grandissante. Ils les ont fait conduire de force au camp de Kati, haut lieu de l’appareil de Défense à quelques kilomètres de Bamako, où l’ancien président Keïta avait dû annoncer sa démission. Ils sont “sains et saufs. Ils ont passé la nuit dans de bonnes conditions. Le président a vu son médecin”, a indiqué un haut responsable militaire s’exprimant sous le couvert de l’anonymat en raison de la volatilité de la situation.
Georges François Traoré
Source: L’Informateur