Le capitaine Amadou Haya Sanogo
Amadou Toumani Touré n’habitait déjà plus la fonction. Même quand la guerre a éclaté au Nord-Mali, ce n’était pas vraiment sa préoccupation essentielle, pressé qu’il était, à quelques mois de la présidentielle, de refiler la patate chaude à son successeur pour s’adonner tout entier à l’art d’être grand-père et à d’autres plaisirs simples d’une personnalité déchargée de la responsabilité suprême.
Autant dire que, quand le 22 mars 2012, lorsqu’il est contraint de dévaler les hauteurs de Koulouba pour échapper aux militaires qui menaçaient de prendre le palais présidentiel, ce fut quelque part une délivrance pour lui, même s’il était loin d’imaginer qu’il partirait dans ces circonstances.
24 heures plus tôt, quand les militaires de la garnison de Kati, emmenés par un officier subalterne jusque–là “inconnu au régiment” ; si on ose le dire ; descendent sur Bamako, c’était moins pour s’emparer de la «colline du pouvoir» que pour réclamer des moyens conséquents afin de délivrer le septentrion malien des narco-salafistes qui l’avaient mis sous coupe réglée. Mais l’occasion faisant aussi le putschiste, le capitaine Amadou Haya Sanogo termina la manœuvre pour s’asseoir sur le fauteuil laissé vacant par ATT. A la partition du pays s’ajoutait ainsi une crise institutionnelle dont le pays se serait bien passé.
A l’issue d’un intermède de quelques semaines, le capitaine d’opérette, sous la pression, pliait bagages pour laisser place à la solution constitutionnelle défendue par la communauté ouest-africaine et internationale mais un an après son départ il a rarement été aussi présent, plombant davantage de son insistance une scène sociopolitique sur laquelle il était entré par effraction.
Début janvier, avant que les troupes françaises n’entrent en action, on suspectait même le trublion de Kati de vouloir refaire un putsch avec la complicité des …djihadistes.
Le plus cocasse dans cette affaire, c’est que le boutefeu qui piaffait d’impatience de monter au front et qui avait quitté son camp exprès un matin de mars 2012 pour venir réclamer la logistique en vue de casser du djihadiste tourne depuis le dos au champ de bataille où les soldats français et tchadiens, venus acheter la bagarre, se font massacrer pendant que les militaires de salon se disputent à Bamako les strapontins les plus gras de la république.
Nul besoin d’être grand clerc pour savoir à qui s’adressait Idriss Déby Itno, quand, sans doute passablement excédé par l’apathie suicidaire de ce qui reste de l’armée malienne, il lançait au sommet de la CEDEAO tenu le 27 février dernier à Abidjan : «Soldats maliens, votre place est au front pour accomplir votre tâche de protection des populations». Imprécations reprises, mutatis mutandis par un militaire malien dans une “Lettre ouverte” au président Dioncounda Traoré, publiée par notre confrère Le républicain et qui vaut à son directeur de publication, Boukary Daou, d’être embastillé depuis le 6 mars 2013.
Mais celui qui peut se sentir morveux et qui pouvait être tenté de se moucher bruyamment sur un journal s’en lave les mains, prétendant n’être mêlé ni de près ni de loin à cette malheureuse affaire. Difficile bien sûr de le croire mais on aurait même été soulagé qu’il en fût l’instigateur, car si c’est le président intérimaire qui a agi comme un grand en prenant sur lui la responsabilité d’arrêter le journaliste, ce serait plus grave qu’on ne le pense. Car ce serait la preuve qu’il est tellement incapable de se défaire de l’emprise de son bourreau présumé qu’il en vient même à devancer ses désirs.
On n’oublie pas en effet que le capitaine Sanogo est sérieusement suspecté d’être la main invisible qui a téléguidé la meute hurlante qui s’en était violemment prise, le 21 mai 2012, à Dioncounda Traoré, le laissant même pour mort. Ce jour–là, la république était vraiment tombée plus bas que bas et revenu de son évacuation médicale en France, l’intermittent de Koulouba semble désormais savoir ce qu’il a à faire pour ne pas déplaire à celui qui avait fini par avoir la peau du Premier ministre Cheikh Modibo Diarra en faisant redescendre sur terre l’astrophysicien qui était manifestement sur une autre planète.
Ainsi est notre homme qui est depuis douze mois, quoi qu’on fasse, au centre du jeu d’influence, au cœur des petites et grandes intrigues sur les bords du Djoliba. Juste pour en avoir eu le cran à un moment où il suffisait de se baisser pour ramasser un pouvoir chancelant. La vérité est que ce Dadis–des-sables n’a plus vraiment très envie de retourner à sa vie d’avant, celle de petit commandant de compagnie. Certains chefs mettent de longues années, souvent avec la bienveillance intéressée de leur entourage, à avoir les vertiges du trône, pour lui, il n’aura fallu que quelques petites semaines. La guerre, c’est désormais pour les autres.
Bombardé président du comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité, il verra tomber chaque mois dans son compte bancaire la rondelette somme de quatre millions de francs CFA. Pourquoi, dans ces conditions, courir le risque d’aller se faire zigouiller de l’autre côté ? Mais si ce n’est pas une prime au coup d’Etat, ça y ressemble fort et le risque est grand que ce genre de prébendes suscite des vocations alors que le travail est loin d’être terminé au Nord ; que l’intégrité du territoire n’est pas entièrement rétablie et que les villes reconquises ne sont pas totalement pacifiées. La preuve, pas plus tard que mercredi nuit, un kamikaze s’est fait sauter de nouveau à Tombouctou, faisant 2 morts dont un soldat malien. Mais ça, le capitaine qui continue de parader à Bamako et de tenir en laisse Dioncounda n’en a cure.
Ousséni Ilboudo
lobservateur.bf