L’offensive que le Mali et ses alliés mènent au Nord relève d’une guerre juste, au moins pour deux raisons: l’agression qu’elle veut repousser est réelle, grave et toutes les autres voies de recours ont échoué.
Mais force est de constater que, depuis que le Mali et ses alliés commencent à gagner les batailles les unes après les autres, la gestion politique se noie dans une cacophonie assourdissante, entre mensonges d’Etat et rétention d’informations, au nom d’un semblant de consensus qui fait mal à la raison.
La sortie des responsables d’organisations locales de défense des droits de l’homme (Cndh, Fidh, Amdh), le 1er février 2013, prétendant réfuter les faits présumés d’exactions des armées alliées (Mali, France) et des combattants jihadistes à Konna et Sévaré, rapportés par les organismes comme Amnesty International, le CICR ou HWR, sonnait risible et infantile. Et comme si cela ne suffisait pas, le Président de la transition enfonce le clou à Dakar, rejetant les faits dont «il n’est pas au courant» avant de renvoyer l’opinion aux rancœurs et amertumes nées de douze mois d’exactions des forces d’occupation. Ceci expliquerait donc cela!. C’est inacceptable de la part du Chef suprême des armées de ne pas être au courant d’un sujet sur lequel le service des informations de l’armée s’est déjà prononcé tout comme il est incompréhensible que le Premier magistrat, appelé à commenter des faits aussi graves, se contente de rappeler les violences que les populations ont subi de la part des forces d’occupation. La terre entière s’était déjà appropriée les faits rapportés, étayés par des images en boucle sur tous les médias.
Les arrestations opérées à Tombouctou sur les alliés des terroristes (et terroristes eux-mêmes) concernent du menu fretin: le cuisinier des jihadites, leur coach d’arts martiaux ou encore leur fournisseur de denrées alimentaires. Il n’y a pas matière à flatter les enquêteurs. Les exactions dénoncées plus haut sont réputées, le plus souvent, commises sur des touaregs et les arabes. Mais depuis la prise de Gao, il n’y pas qu’eux. Des autochtones subiraient la vindicte populaire pour terrorisme, sous haute vigilance militaire, suite à des dénonciations. La situation renvoie au paradoxe de la poule et de l’œuf. Qui est coupable, entre les militaires et les serviteurs de l’Etat qui ont fuit devant les troupes d’occupation, abandonnant leurs charges et les populations désemparées, où celles-ci dont certaines ont fait allégeance aux assaillants. Les interpellations qui se multiplient, notamment à Gao, constituent une pépinière de haine et de vengeance, entretenue de dénonciations calomnieuses et de paroles futiles insupportées. Le mot «terroriste» n’est pas approprié pour qualifier en même temps Belmoktar et certaines communautés d’obédience wahhabite au nord et même à Bamako. Pour mémoire, la rébellion touarègue s’est alimentée le long de l’histoire des répressions successives qui ont sanctionnées ses manifestations antérieures, l’auréolant progressivement de la sympathie d’une certaine communauté internationale.
Il aurait donc été plus adroit de la part des autorités de la transition d’adopter une posture politique plus modeste, plaidant, par exemple: «nous vous avons compris». Ce sont après tout les élites politiques et leur gestion licencieuse de ces vingt dernières années qui sont à la base de la déconfiture du pays. Depuis, quel responsable a-t-il été entendu? Aucun. Les concertations nationales, perçues comme «un procès de Nuremberg», ont été soigneusement entachées du sceau de l’abjection et classées sujet tabou. Elles sont pourtant plus honorables pour nous que le honteux conciliabule auquel le pays se prépare avec le Mnla. Le retour de l’administration et de l’armée est préparé avec brutalité et mépris, annonçant les mêmes hommes et les mêmes pratiques au mépris de la promesse morale de retoucher la gouvernance.
Malheureusement, les élus du Nord et responsables d’associations de défense des déplacés auxquels incombait le rappel de cette promesse, semblent convertis dans une activité franchement peu honorables. Il suffit de voir la douzaine d’élus du nord et membres du Coren, à Niamey, il y deux semaines, dans un show urbi et orbi, en mission pour «sensibiliser» et remettre, point d’orgue de la mission, une enveloppe symbolique de … 250 000 francs. C’est vraiment son contenu! C’est de la moquerie systématique et ridicule…envers les réfugiés et le reste du peuple malien.
Le programme de déploiement des casques bleus avant juillet 2013 confirme que la résolution 2085, dès son adoption, était indissociable de l’implication des soldats de l’ONU dans un «processus de paix» au Nord du Mali. Le Gouvernement aurait pu édifier l’opinion publique là-dessus. Au lieu de cela, le Ministre des Affaires Etrangères est revenu de New-York nous vendre la résolution, assortie de l’expression «Chapitre VII», comme la fin de toute belligérance. Il n’en était rien. Le vote de la résolution sous le Chapitre VII transférait le problème du nord à la gestion exclusive, contraignante et coercitive, si nécessaires, du conseil de sécurité des nations unies. Dès lors, il apparait que le commentaire diplomatique de la résolution était entaché d’un gap inexcusable, que les voix d’officiels qui s’élevaient ici et là pour soit disant récuser le déploiement des Casques bleus nous bluffaient.
Pour toutes ces raisons, le peuple malien aurait pu s’emmurer d’indignation dans le silence. Mais nous sommes agacés devant les faits. Nous sommes agacés parce que nous ne fêterons pas le 22 septembre 2013 à Kidal, comme cela avait été promis. Nous sommes humiliés en découvrant l’héritage légué à nous par vingt ans de mauvaise gestion politique : l’armée malienne est tenue à distance respectable de Kidal. C’est en cela que l’arrivée des casques bleus nous fait peur ….. Pour notre souveraineté.
Aaron Ahmed