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Algérie : Haro sur Bouteflika !

À l’approche de l’élection présidentielle algérienne du 18 avril 2019, des manifestants  continuent de défiler dans les rues d’Alger et des principales villes du pays, afin d’exprimer leur refus d’un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. En effet,  depuis plusieurs jours, les Algériens expriment leur rejet du système Bouteflika. Au-delà, ils réclament une nouvelle Algérie démocratique.

En annonçant le 10 février sa candidature à la présidentielle du 18 avril, M. Bouteflika, au pouvoir depuis 1999 et handicapé par les séquelles d’un accident vasculaire cérébral (AVC) depuis 2013, a déclenché une contestation d’ampleur inédite en 20 ans et le visant directement. Du jamais vu ! La mobilisation  des algériens dans la rue  devient  supérieure au fil des mobilisations à Alger. La dernière manifestation, le vendredi  dernier, a réuni plusieurs milliers de personnes. Aucun chiffre indépendant concernant la mobilisation n’était disponible, mais des sources sécuritaires ont fait état de “plusieurs dizaines de milliers de personnes” dans la capitale. Ces sources ont également recensé des manifestations dans près des deux-tiers des wilayas (préfectures) du nord du pays, zone la plus peuplée, sans donner de chiffre de participation.

 Manifestation dans plusieurs villes

Brandissant des drapeaux algériens, une foule impressionnante composée d’hommes et de femmes de tous âges, selon la presse locale, scandait des « Pouvoir assassin ! » et « Pacifiques ! Pacifiques ! », près de la Place de la Grande-Poste, un bâtiment emblématique du centre de la capitale.

La foule, n’a cessé de grossir, à mesure qu’arrivaient des cortèges de divers quartiers de la capitale, Casbah, Bab el-Oued ou 1er-Mai, qui, le long du chemin, ont forcé plusieurs cordons de police, vite débordés.

“Pacifique!, pacifique!”, scandaient les manifestants que quelques tirs de lacrymogènes, n’ont pas réussi à décourager. “Le peuple veut la chute du régime” ; “Non au 5è mandat!” ; “On ne va pas s’arrêter!”.

Aux balcons du centre-ville, des habitants solidaires agitaient des drapeaux algériens, verts et blancs frappés du croissant et de l’étoile rouge.

Une partie des manifestants a, ensuite, pris le chemin du Palais du gouvernement proche du siège des bureaux du premier ministre, Ahmed Ouyahia, aux cris de “Ce peuple ne veut pas de Bouteflika!”. A coups de dizaines de grenades lacrymogènes, la police a dispersé le millier de manifestants regroupés devant l’entrée de l’enceinte.

Un autre groupe de milliers de personnes se dirigeant vers la présidence a été bloqué à environ un kilomètre de sa destination par la police, avant de se disperser face aux tirs de grenades lacrymogènes, ne laissant que quelques groupes désireux d’en découdre.

En province, des défilés d’ampleurs diverses ont été recensés à Oran et Constantine, deuxième et troisième villes du pays.  Mais aussi dans de nombreuses autres villes, notamment à Blida, Tizi-Ouzou, Béjaïa, Skikda, Annaba, Bouira, M’sila, Sétif, Biskra, Batna, Médéa, Tiaret et Sidi Bel Abbès.

A Oran, un manifestant a indiqué que la mobilisation était supérieure à celle de la semaine précédente. A Annaba, plusieurs milliers de personnes ont défilé dans le calme, selon un journaliste local. “Nous sommes là pour encadrer la manifestation et éviter tout éventuel débordement”, avait indiqué un officier de police.

Les forces de l’ordre ont, jusqu’ici, largement laissé faire, même à Alger où toute manifestation est interdite depuis 2001, mais le camp présidentiel a fait savoir cette semaine qu’il n’entendait pas reculer face à la rue.

 

Maintenir la pression

Dimanche 3 mars 2019, répondant à l’appel du Collectif d’opposition « Mouwatana », le petit groupe de protestataires, initialement une cinquantaine, n’a toutefois cessé de gonfler jusqu’à atteindre plusieurs centaines.  « Algérie libre et démocratique!», «Non au 5è mandat!», scandaient les manifestants. Plusieurs personnes ont été interpellées. Les protestataires ont tenu la rue plusieurs heures avant d’en partir dans l’après-midi. Après leur départ, des petits groupes de jeunes algériens ont longtemps continué à scander des slogans contre le 5è mandat du président Bouteflika, malgré de nouveaux jets de gaz lacrymogènes de la police. En France aussi, , des centaines de personnes ont également manifesté à Paris, aux cris de «Non au 5è mandat», arborant des drapeaux algériens et brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire «Pouvoir assassin» ou «Système, dégage ».

La fonde s’étend aux medias.  Dimanche, un vent de révolte a également soufflé sur la radio nationale algérienne : des journalistes ont dénoncé le silence imposé à l’antenne par leur hiérarchie sur les manifestations massives du vendredi, dont les médias audiovisuels publics n’ont pas fait état. Dans une lettre, ils ont notamment fustigé le «non-respect de la neutralité dans le traitement de l’information au sein» des rédactions de la radio et «le traitement exceptionnel» réservé au camp présidentiel au détriment de l’opposition.

Certains observateurs craignaient que les partisans du chef de l’Etat n’utilisent la manière forte pour s’éviter une campagne électorale avec le double handicap d’un candidat absent physiquement, Abdelaziz Bouteflika, n’apparaît plus qu’à de rares occasions et ne s’est pas adressé à la nation depuis son AVC et contesté dans la rue.

La solidarité a été au cœur de toutes les actions de rue qu’a connues l’Algérie ces derniers jours. Des familles sur leurs balcons qui jettent des bouteilles d’eau aux manifestants, des commerçants qui distribuent boissons et biscuits, des jeunes algériens qui protègent les enfants, les personnes âgées, les femmes et les jeunes filles lors des bousculades, des bouteilles de vinaigre passées de main en main pour atténuer les brûlures des gaz lacrymogènes… Des scènes vues et revues sur tout le parcours des manifestations.

La solidarité a été bien plus qu’alimentaire ou matérielle. Les citoyens se soutenaient moralement, des femmes offraient des roses aussi bien aux manifestants qu’aux policiers, souvent gênés mais toujours souriants et bienveillants devant de tels gestes.

 

Bouteflika maintient malgré tout  sa candidature

La candidature du président en poste  à été  déposée le 3 mars dernier, a annoncé son directeur de campagne, Abdelmalek Sellal. “Personne n’a le droit d’empêcher un citoyen algérien de se porter candidat. C’est un droit constitutionnel”. Le retour en Algérie du chef de l’Etat, hospitalisé depuis dimanche à Genève, officiellement “pour des examens médicaux périodiques”, n’a cependant toujours pas été annoncé.

Comme d’autres membres du camp présidentiel, Ahmed Ouyahia, a, quant à lui, agité le spectre de la sanglante “décennie noire” de guerre civile (1992-2002) en Algérie et du chaos syrien.

Les manifestants lui ont répondu en scandant massivement “Ouyahia, l’Algérie ce n’est pas la Syrie!». Plusieurs candidats ont annoncé leurs désaccords sur le maintien de la candidature de Bouteflika.  Abderrazak Makri, le leader du MSP (islamiste, tendance Frères musulmans), a annoncé qu’il boycotterait l’élection si Abdelaziz Bouteflika se présentait. Louisa Hanoune, leader du Parti des travailleurs, avait annoncé, le samedi dernier, qu’elle ne participerait pas. Quant à Ali Benflis, présenté comme le traditionnel challenger du chef de l’État, il a annoncé, le dimanche dernier, qu’il renonçait à se lancer dans la course. «Le peuple a pris la parole et je l’ai entendu. L’élection présidentielle, dans les circonstances actuelles, n’a ni sens ni raison d’être. Maintenue telle que conçue par les forces extraconstitutionnelles, elle ne serait que la source d’un surcroît de tensions et un terreau pour tous les dérapages», a-t-il déclaré.

Depuis quelques jours, plusieurs signes laissent indiquer des fissures dans le consensus tissé autour du cercle présidentiel. Au sein du Forum des chefs d’entreprise (FCE, syndicat patronal le plus influent), inconditionnel soutien d’Abdelaziz Bouteflika, trois entrepreneurs importants ont décidé de geler leur adhésion. Laïd Benamor, un des plus importants capitaines d’industrie du pays, a également démissionné de son poste de vice-président.

Pour première fois depuis le début du mouvement de contestation, la télévision nationale algérienne a ouvert vendredi son journal par des images des manifestations du jour, sans référence au mot d’ordre du refus d’un nouveau mandat du chef de l’Etat.

Mémé Sanogo

 Sur les traces de Bouteflika !

1937 : Naissance au Maroc

En 1937, la famille Bouteflika est en exil à Oujda, à l’Est du Maroc, à une poignée de kilomètres à peine de la frontière algérienne. C’est là, le 2 mars 1937, qu’Abdelaziz voit le jour dans la maison familiale. Ses parents, Ahmed et Mansouriah, sont alors loin de s’imaginer que 82 ans plus tard, leur fils décidera de briguer un 5ème mandat consécutif à la tête de l’Algérie, malgré son état de santé très préoccupant et dans un climat de contestation sans précédent dans le pays depuis que l’homme est arrivé au pouvoir.

 1956 : Premier engagement !

En mai 1956, Abdelaziz Bouteflika à 19 ans. C’est le début de son engagement. Il décide de lutter contre la présence coloniale française en rejoignant le Front de Libération Nationale (FLN) et il s’engageant dans les rangs de l’armée de libération nationale (A.L.N). Il luttera depuis la frontière marocaine au sein d’un groupe désormais connu sous le nom de “clan d’Oujda”.

 1958 : Rapprochement avec Boumedienne

Quelques mois plus tard, au sein du “clan d’Oujda”, le jeune Abdelaziz se rapproche d’un des hommes forts de ce clan: Houari Boumedienne, futur président de l’Algérie indépendante. Abdelaziz Bouteflika devient même le secrétaire particulier de Houari Boumedienne.

 1962/1963 : Début d’une carrière politique

Juste après l’indépendance proclamée en 1962, Abdelaziz Bouteflika est élu député de Tlemcen, la région d’origine de sa famille. C’est le véritable début de sa carrière politique. Parallèlement, Ahmed Ben Bella devient le premier président de l’Algérie indépendante et on retrouve Abdelaziz Bouteflika au sein de son gouvernement. A 25 ans, il est nommé ministre de la Jeunesse, des Sports et du Tourisme.  Au début de l’année 1963, la carrière politique d’Abdelaziz Bouteflika connaît un tournant quand il est désigné ministre des Affaires étrangères ad interim. Après le congrès du Front de Libération Nationale d’avril 1964, il est nommé membre du Comité central et du bureau politique du FLN.

 1978/1987 : Et traversée du désert ! 

Houari Boumedienne décède en décembre 1978. Abdelaziz Bouteflika reste ministre des Affaires étrangères jusqu’au mois de mars 1979. Il est alors remplacé par Mohamed Seddik Benyahia. Commence alors une période pendant laquelle les anciens proches de Boumedienne deviennent la cible de ceux qui briguent le pouvoir. Bouteflika est exclu du comité central du FLN en 1981, suite à des soupçons de mauvaise gestion du ministère des Affaires étrangères. Abdelaziz Bouteflika est contraint de fuir. L’exil va durer 6 ans.

 1999 : Le pouvoir et un référendum sur l’amnistie

Pour les élections présidentielles de 1999, Abdelaziz Bouteflika est le candidat du FLN. La veille du scrutin, six candidats se retirent pour protester contre la candidature de Bouteflika jugée comme téléguidé par les militaires. L’homme est élu avec 73,79 % des voix et prend le pouvoir le 15 avril 1999. Il tente rapidement de mettre fin à la guerre civile qui fait rage. Une de ses première mesure porte le nom de “concorde nationale”, un projet de loi qui propose l’amnistie des islamistes “qui n’ont pas commis de crimes de sang et de viols”, et qui acceptent de se soumettre à l’autorité de l’Etat algérien. Ce projet de loi est soumis à référendum. Le texte est approuvé à une écrasante majorité.

 

2008 : Fin de la limitation du nombre de mandats du président

En 2008, les députés algériens votent à mains levées en faveur d’une révision de la constitution. Désormais, les nombre de mandats présidentiel ne sont plus limités à deux. La porte d’un troisième mandat s’ouvre pour Abdelaziz Bouteflika. En 2009, il est réélu avec 90,24 % des voix.

 2013/2014 : Victime d’un AVC et brigue un 4ème mandat 

En 2013, le président algérien est victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC). Depuis lors, l’homme est très affaibli et son état de santé se détériore, à tel point que certains Algériens n’imaginent pas qu’Abdelaziz Bouteflika briguera un 4ème mandat. Mais quelques mois plus tard, le président impose un important remaniement ministériel qui réduit notamment l’influence des services secrets. Il se présente aux élections présidentielles suivantes, puisque la Constitution ne l’interdit plus. Il est élu avec 81,49 % des voix. Il prête serment en fauteuil roulant le 28 avril 2014.

 3 mars 2019 : L’Algérie est dans la rue…

Le 10 février 2019, Abdelaziz Bouteflika annonce sa volonté de se présenter aux élections présidentielles du 18 avril. En clair: l’homme veut briguer un 5ème mandat. Résultat, quelques jours plus tard des dizaines de milliers d’Algériens descendent dans la rue, dans plusieurs villes du pays et notamment à Alger, la capitale, où les manifestations sont pourtant interdites. Abdelaziz Bouteflika lui quitte l’Algérie pour Génève, en Suisse, où il doit subir des examens médicaux. Les manifestations se succèdent en Algérie mais le 3 mars 2019, le dossier de candidature d’Abdelaziz Bouteflika est déposé au Conseil constitutionnel par son directeur de campagne. Abdelaziz Bouteflika écrit une lettre aux Algériens dans laquelle il s’engage, s’il est élu, à ne pas aller au bout de son mandat et à organiser des élections présidentielles à laquelle il ne se présentera pas.

Source: L’Aube

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