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Affaire Karim Wade : Macky se tire un missile dans le pied

« Quand les éléphants se battent se sont les fourmis qui en meurent » dit un proverbe anonyme. Le jugement du fils de l’ancien Président sénégalais ne peut s’achever sans éclabousser le Gouvernement actuel. Les institutions sont elles « aptes » à répondre à cette demande sociopolitique ? Le Président Macky Sall est-il bien placé pour s’attaquer au Gouvernement Wade ?

abdoulaye wade ancien president senegalais

L’ouverture du procès historique de Karim Wade, fils et ex-ministre de l’ancien président Abdoulaye WADE, est, en effet, indéniablement une mise en accusation des douze années de gestion de l’Etat sénégalais par le régime du PDS. Poursuivi par la Cour de répression de l’enrichissement illicite pour un détournement portant sur 178 millions d’euros, Karim Wade est le premier d’une liste de dignitaires de l’ancien régime dressée dès les premières heures de l’arrivée au pouvoir de l’actuel Président de la République Macky Sall et de sa coalition Benno Bokk Yaakaar. Précédant un « scandaleux audit » de la Gestion publique de l’Etat sénégalais sous régime WADE, ce procès semble être un paradoxe autant pour le peuple sénégalais que la scène internationale, qui prend tantôt l’aspect d’une procédure accusatoire jalonnée de tâtonnements, tantôt d’une juridiction décriée matérialisée par un manque de confiance envers un régime sans boussole dont les réalisations augurent plus un règlement de compte.

Le premier paradoxe m’a sauté aux yeux en voyant la fébrilité qui a saisi le pouvoir devant les incertitudes judiciaires et politiques d’une mise en accusation qui menace les fondements de la démocratie sénégalaise. En faisant de Karim Wade le symbole d’une «traque des biens mal acquis» et d’une effective « chasse aux sorcières » spectaculaire dans la sous-région, dans ses fondements comme dans ses modalités, le président Macky Sall engage, évidemment, une partie délicate, marquée par l’improvisation et la précipitation, dont l’issue validera ou non sa vision du Sénégal de demain.

L’autre étrangeté marquante de cette imprudence est l’instrument judiciaire activé par le pouvoir en place et déjà corrompu dans ses règles de fonctionnement. En remettant en selle la cour de répression de l’enrichissement illicite, juridiction d’exception d’une autre époque verrouillée par une conception artisanale et dépassée de la justice, le Président Macky Sall a créé les conditions d’une déroute de la légitime demande sociale et politique. La nomination décrétée par le pouvoir des membres de cette cour, le renversement de la charge de la preuve et l’impossibilité de faire appel sont une aubaine. D’abord pour les défenseurs de Karim Wade qui n’hésiteront pas à attaquer toute décision défavorable auprès des juridictions régionales et internationales. Mais aussi pour l’ancien président et son parti qui continuent de soutenir la théorie d’un complot politicien et vont s’engouffrer dans les brèches judiciaires et politiques que ce procès mettra inévitablement à jour.

La déroute du parti au pouvoir lors des récentes élections locales, la dissolution du dernier gouvernement à peine dix mois après son entrée en fonction, la fragilisation d’une coalition Benno Bokk Yaakar menacée par les ambitions du parti présidentiel, le retour en grâce de leaders de l’opposition confortés par le succès aux municipales, les reconfigurations politiques en cours, la présence perturbante mais légitime de l’ancien Président et de sa femme au procès sont autant de zones d’incertitudes que ce procès ne peut qu’exacerber. Pourtant, dans son programme présidentiel, en 2012, le Président sénégalais prônait la transparence. Il a lancé la traque des biens mal acquis et comptait demander des comptes aux anciens membres du gouvernement Wade. Je pense qu’il a été élu sur cette base. Cela signifie que les Sénégalais ont cautionné ce programme. Maintenant, on a constaté qu’il y a eu des poursuites sélectives, parcellaires. Aujourd’hui, seul Karim Wade et quelques autres personnes sont mises en cause dans cette affaire d’enrichissement illicite, ce qui semble minime par rapport à l’ampleur de ce qui avait été annoncé aux Sénégalais. Dans cette affaire, Macky Sall joue gros. Ce procès va agrandir encore plus la fracture sociale en érigeant Karim WADE en martyr et en dressant Macky SALL en bourreau sanguinaire.

Aujourd’hui, vous avez deux camps au Sénégal : ceux qui estiment que cette procédure est normale, et ceux qui pensent qu’on veut liquider un adversaire politique pour les élections de 2017. Politiquement, c’est lourd de conséquences. Si Karim Wade sort blanchi, et donc grandi, de ce procès, on imagine le gain politique qu’il pourra en tirer. Et s’il est condamné, on ne sait pas quelle sera la réaction des partisans de Wade et du Parti Démocratique Sénégalais (PDS). La société sénégalaise reste donc divisée sur ce procès. D’un côté, les partisans de Karim Wade, souvent sympathisants du PDS et de l’ancien Président sénégalais ; de l’autre, ceux qui ont voté pour la transparence que prônait Macky Sall dans son programme présidentiel. Cependant, tous les sénégalais conviennent qu’il y a des choses extrêmement graves qui se sont déroulées durant la gouvernance de Wade. Mais d’un autre côté, les Sénégalais n’aiment pas l’injustice. Avec ce procès, Karim Wade pourrait passer de coupable à victime dans l’esprit des citoyens sénégalais.

Néanmoins, un détail reste de taille : la population considère de part et d’autre que le fils de l’ancien Président est loin de faire l’unanimité. On lui reproche d’être distant, hautain, de mal maîtriser le wolof (langue locale) et d’avoir trop longtemps vécu en Europe. Ainsi est-il souvent considéré comme un « toubab » (blanc), et non comme un Sénégalais. Alors que le procès suit son cours, un rapport sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes du Sénégal sur la période 2008-2013, a été publié par l’Inspection Générale d’Etat (IGE) du Sénégal. Un texte de 147 pages qui épinglent les irrégularités et la mal-gouvernance du gouvernement de l’époque, dont Abdoulaye Wade était le Président. La question se pose dès lors : ET MACKY SALL DANS TOUT CA ?

Pour rappel, Conseiller spécial du Président de la République Me Abdoulaye Wade, chargé de l’Énergie et des Mines, d’avril 2000 à mai 2001, puis de mai 2001 à novembre 2002, Macky est Ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Hydraulique. Il remplace le Professeur Abdoulaye Bathily qui deviendra Vice-Président de l’Assemblée Nationale. De novembre 2002 à août 2003, Macky est ministre d’Etat, Ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Hydraulique dans le gouvernement dirigé par Mame Madior Boye. D’août 2003 à avril 2004, il est Ministre d’etat, Ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, Porte-parole du Gouvernement d’Idrissa Seck. Il sera remplacé à ce poste par Ousmane Ngom. Parallèlement, il est nommé Vice-président du comité directeur du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) en avril 2004.

Macky Sall sera nommé Premier Ministre le 21 avril 2004. Il occupe ce poste jusqu’au 19 juin 2007, détenant le record de longévité des Premiers Ministres de Wade. Peu connu, il s’impose lors de son premier discours de Politique Générale face aux ténors de l’opposition. Puis, il met en œuvre les projets présidentiels mis en sommeil par Idrissa Seck : autoroute, corniche de Dakar, nouvel aéroport. Il conduit la campagne pour la réélection d’Abdoulaye Wade en 2007, mais voit ses relations se tendre avec le Président réélu. Il n’est pas reconduit à la primature, remplacé par Cheikh Hadjibou Soumaré. Il se rabat sur l’Assemblée Nationale, où, seul candidat, il est élu le 20 juin 2007 à la Présidence, par 143 voix sur 146 votants. Mais tout de suite, la rupture est consommée quand il cherche à convoquer Karim Wade, fils du Président de la République, à l’Assemblée Nationale pour audition sur les travaux de l’ANOCI (Agence Nationale de l’Organisation de la Conférence Islamique). Face à son refus de démissionner de ses fonctions, son poste de numéro 2 du PDS est supprimé, le mandat du Président de l’Assemblée Nationale réduit de cinq à un an, et il est accusé de blanchiment d’argent, dossier pour lequel il obtient un non-lieu.

Blessé dans son orgueil, le Macky s’émancipe au lieu de se soumettre à Wade. Le 9 novembre 2008, au cours d’une déclaration en wolof et en français, il annonce quitter le PDS et abandonner tous les postes qu’il occupe grâce à ce parti. Introverti et peu charismatique, ce qui lui vaut le surnom de « Niangal Sall » (« Sall le sévère », en wolof), on lui reconnaît intégrité et compétence. Polyglotte (wolof, sérère, pulaar, français et anglais), il incarne également un renouvellement de génération dans la politique sénégalaise, même si l’étendue de ses ressources soulève des interrogations.

A la lumière de toutes ces informations, comment Macky Sall peut il auditer, contrôler et juger le gouvernement de WADE puisqu’il a été à lui seul le Gouvernement de WADE ? L’autre question que je vous invite à vous poser c’est comment un fils de fonctionnaire devenu gardien et d’une vendeuse d’arachides a pu s’offrir un parc automobile de 35 véhicules, un appartement de 109 millions de FCFA soit 220 000 dollars (dont il sera entier propriétaire en 2017) et des biens immobiliers d’une valeur de plus de 200 millions de FCFA ?

Alors peut-être ce procès n’est-il que le premier d’une longue série qui risque de discréditer encore plus Macky Sall …

Abdoulaye Alassane TRAORE

Doctorant en Sociologie

SOURCE: Inf@sept  du   3 nov 2014.
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