Le Gouvernement de la République du Mali et la Commission conjointe HCUA (Haut conseil unifié de l’Azawad) – MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), auraient dû parapher, le mardi 11 juin 2013 à Ouagadougou, un accord conclu sous l’égide d’une Commission de médiation placée sous l’autorité du Médiateur de la CEDEAO, le Président Blaise Compaoré. L’inclusion des FPR et du MAA dans les pourparlers, de même que la teneur du texte initialement proposé, ont conduit à repousser cette date. Chronique d’une négociation ardue, au cours de laquelle on a vraiment «marché sur des œufs».
Le vendredi 7 juin dernier, c’est avec beaucoup de retard que l’avion des Nations Unies qui transportait la délégation malienne et une dizaine de journalistes, conduite par Tiébilé Dramé, émissaire du Président par intérim Dioncounda Traoré, se pose sur l’aéroport de Ouagadougou. A son bord aussi, l’Ambassadeur de France au Mali et le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU au Mali. Il est environ 18 heures 15 et déjà commencent les tractations diplomatiques.
En effet, pour permettre des discussions véritablement «inclusives», le Mali a convié deux délégations d’autres groupes armés «non terroristes» que le MNLA, celle des Mouvements et associations membres des Forces patriotiques de résistance (FPR, regroupant, schématiquement, les représentants des sédentaires du Nord du Mali) et celle du MAA (Mouvement arabe de l’Azawad). Malheureusement, les représentants du MAA sont encore bloqués à Nouakchott et n’arriveront que le lendemain.
Tiébilé Dramé demande donc de toute urgence à rencontrer le Médiateur Compaoré, non sans avoir expliqué pourquoi à sa délégation. Pendant qu’il se rend à la Présidence, après quelques moments de flou, les FPR se rendent à leur hôtel et la presse à la Salle polyvalente de la Présidence du Faso, où se trouvent la délégation HCUA – MNLA, le Médiateur associé de la CEDEAO, le Nigeria, les représentants spéciaux de l’UA, de l’ONU et de la CEDEAO au Mali, celui de l’UE, le corps diplomatique et les représentants des pays «accompagnateurs» de la médiation, la France, le Tchad, la Suisse, les USA, l’Algérie et la Mauritanie. Il est alors près de 20 heures.
Au vu de la nouvelle donne, rendez-vous est pris pour le lendemain, le samedi 9 juin 2013. A 10 heures, le Président Blaise Compaoré reçoit tour à tour la délégation malienne et celle du HCUA MNLA, avant de venir à la Salle polyvalente lancer officiellement les pourparlers. Le cadrage est clair. Il s’agira de «trouver une solution durable à la grave crise qui secoue en ce moment le pays frère qu’est le Mali». Le contexte ne l’est pas moins, outre la Résolution 2100 du Conseil de Sécurité de l’ONU et celles adoptées par la CEDEAO et l’UA, une précédente rencontre, le 4 décembre 2012 à Ouagadougou, avait posé les bases du dialogue, dans la «détermination à respecter l’unité nationale, l’intégrité territoriale, la forme républicaine de l’Etat et la laïcité de la République du Mali».
Le dialogue de Ouaga, poursuivra Blaise Compaoré, s’imposait pour deux raisons majeures: «l’impérieuse nécessité de tenir l’élection présidentielle, dont la date est fixée au 28 juillet 2013 et qui déterminera l’avenir politique et institutionnel du Mali» et l’urgence «de consolider l’unité nationale et la cohésion sociale, mises à rude épreuve par la crise, afin que le Nord du Mali ne soit plus le sanctuaire des groupes extrémistes à vocation transfrontalière».
Son plan de discussion s’articulait autour de quatre points essentiels: la cessation des hostilités; le redéploiement de l’administration générale, des services sociaux de base, des forces de défense et de sécurité au Nord du Mali, et en particulier à Kidal, selon des modalités pacifiques à négocier; la création de mécanismes de suivi et d’évaluation, en accompagnement du processus, mis en œuvre par les pays et organisations partenaires techniques et financiers du Mali et, enfin, la poursuite des pourparlers de paix après l’élection présidentielle, en vue de l’établissement d’une paix définitive et d’un développement durable et inclusif dans le Nord du Mali.
Tiébilé Dramé abondera dans ce sens en déclarant «je réitère ici l’engagement du Mali à trouver, par le dialogue, une solution à la crise que nous traversons. Le présent dialogue qui vise à créer les conditions propices à la tenue de l’élection présidentielle sur toute l’étendue du territoire national, sera inclusif et concernera tous les groupes armés du Nord du Mali». Il rappellera que «le 25 avril 2013, l’adoption de la Résolution 2100 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, expressément, demande aux groupes armés du Nord du Mali de déposer les armes et de s’engager sincèrement dans la voie du dialogue et de la concertation». Ce qui explique le choix de la date du 10 juin pour signer cet accord, soit 45 jours après l’adoption de la Résolution 2100, contraignante, car placée sous le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Le Conseil de Sécurité se réunira d’ailleurs le 25 juin prochain pour faire le point de sa mise en œuvre.
Mahamadou Djéri Maïga, porte-parole de la Commission conjointe HCUA – MNLA, a quant à lui soufflé le chaud et le froid dans son discours, affirmant tout d’abord «le MNLA et le Haut conseil unifié de l’Azawad ont constamment privilégié la voie du dialogue et la présente rencontre de Ouagadougou suscite beaucoup d’espoirs » tout en s’étendant sur les «injustices» subies par le «peuple azawadien» depuis plus de cinquante ans.
Les négociations pouvaient entrer dans le vif du sujet dès la fin de cette cérémonie protocolaire, sous l’égide d’une «Commission de médiation» regroupant autour de Blaise Compaoré et du représentant du Président nigérian Goodluck Jonathan, les représentants des pays accompagnateurs de la médiation; le Haut Représentant spécial de l’Union Africaine, Pierre Buyoya; le Représentant spécial du SG des Nations Unies au Mali, Bert Koenders; celui de l’Union européenne pour le Sahel et le Mali, Michel Reveyrand de Menthon et celui de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), non moins Ministre d’Etat, Ministre des Affaires Etrangères du Burkina Faso, Djibril Bassolé.
Dans l’après-midi, comme il s’y était engagé, le Président Compaoré a reçu consécutivement les mouvements et Forces patriotiques de résistance et le Mouvement Arabe de l’Azawad. A leur sortie d’audience, les porte-parole des deux délégations ont fait des déclarations à la presse. Pour Me Harouna Toureh, des FPR, «le Médiateur nous a conviés à ces discussions à travers le ministre Tiébilé Dramé», mais leur présence à la table des négociations n’était pas encore sûre: «c’est une question qui ne nous a pas encore été posée, et, comme on ne connait pas encore l’agenda des négociations, nous préférons réserver notre réponse». Me Toureh déclarera aussi « les mouvements armés d’auto-défense sont heureux d’avoir été reçus par le Médiateur Blaise Compaoré, qui a pris la décision de mener des négociations inclusives, prenant en compte toutes les communautés maliennes du Nord».
Quand à la délégation du MAA, son Secrétaire général, Ahmed Ould Sidi Mohamed, a affirmé qu’elle était à Ouagadougou pour une première prise de contact et non pour participer à des négociations. «C’est une initiative heureuse, qui nous réjouit, car nous avons des divergences sur les opportunités de participer ou pas aux élections à venir». Il insistera toutefois sur l’urgence de discuter avec les communautés songhaïs et touarègues, afin d’apaiser les divergences. Le tout dans une certaine cacophonie, il faut le dire, certains membres ayant même tenté d’empêcher le Président de la Communauté arabe du Mali de prendre la parole pour délivrer son message «tout faire pour que l’élection présidentielle se tienne à la date prévue».
Le dimanche 9 juin fut consacré aux débats à huis clos et autres conciliabules de couloirs, afin d’aboutir, ce qui sera fait dans l’après-midi du lundi 10 juin, à la rédaction d’un projet d’accord amendé par les délégations gouvernementale et de la Commission conjointe HCUA – MNLA, sur proposition de la Commission de médiation, à laquelle le Niger avait été intégré à la demande du Mali. Signalons la présence dans le groupe gouvernemental, outre celle de l’ancien Gouverneur de Kidal, Al Hamdou Ag Ilyène, de Mme Mariam Djibrilla Maïga, dont on nous avait annoncé l’arrivée la veille. Elle est une figure reconnue de la société civile du Nord du Mali, Présidente du Mouvement des femmes pour la paix et membre de la CONASCIPAL (Coalition nationale de la société civile pour la paix et la lutte contre la prolifération des armes légères) et de nombreuses autres organisations œuvrant pour la paix et la cohésion sociale au Nord du Mali et dans l’espace CEDEAO.
A 17 heures, la presse était de retour à la Présidence pour entendre tout d’abord Tiébilé Dramé, qui déclarera, après d’ultimes concertations en plénière, «la délégation gouvernementale malienne a reçu un projet d’accord préliminaire. Nous allons de ce pas nous rendre à Bamako, pour consultation avec les autorités maliennes afin de lui donner une large adhésion et nous reviendrons à Ouagadougou très bientôt».
La délégation HCUA – MNLA ne s’étant pas présentée dans la salle de presse, c’est Djibril Bassolé qui nous en dira un peu plus sur le contenu du document. «Le projet d’accord a été remis aux différentes parties et prend en compte les observations qu’elles ont formulées. Naturellement, les deux parties ont demandé quelques heures pour retourner faire un compte-rendu à leur base et à leurs mandants, afin de pouvoir revenir demain pour l’adoption final de ce document». Il ajoutera «la médiation a surtout travaillé sur les modalités du retour pacifique réussi de l’armée et des forces de sécurité, en même temps que de l’administration d’Etat et des services sociaux de base au Nord du Mali».
Selon Djubril Bassolé «le dispositif proposé est idéal, dans la mesure où, sur le terrain, se trouvent déjà la MISMA, prochainement MINUSMA. La communauté internationale est aussi fortement impliquée politiquement et militairement aux côtés des Maliens. Toutes les dispositions sont prévues pour qu’il n’y ait aucun incident, aucun désagrément qui puisse rompre la confiance et nous faire perdre l’objectif d’organiser des élections le 28 juillet 2013. Il était du devoir de la médiation et de la communauté internationale de prendre un certain nombre de dispositions pratiques, en liaison avec les parties, pour que ce retour se fasse dans des bonnes conditions, étant entendu qu’on ne peut pas accepter le principe de l’intégrité territoriale et la continuité de l’Etat malien et refuser que l’armée malienne se déploie sur toute l’étendue du territoire. Je pense que, là-dessus, les choses sont très claires».
Répondant à une question il déclarera aux journalistes: «rien ne bloque». De fait, selon des sources proches de la médiation, il était proposé un retour graduel des forces armées maliennes à Kidal, en compagnie des troupes internationales composant la MINUSMA, et un cantonnement avant désarmement des éléments des groupes armés touareg, toutes choses qui laissaient espérer une issue heureuse pour le mardi 11 juin ou jours suivants.
Dans la journée de mardi, nous avons rencontré les sept premiers responsables des FPR à leur hôtel pour sentir dans quel sens allait le vent, d’autant que l’on nous avait informés, de source proche de la délégation malienne, que l’émissaire Tiébilé Dramé ne reviendrait certainement à Ouagadougou que le mercredi 12 juin.
Eh bien, ce fut très instructif! C’est désormais l’union sacrée entre les FPR et le MAA, «issus des populations majoritaires à 93% au Nord du Mali et comptant près de 6 000 combattants», mobilisables dans les plus brefs délais, déclarera en substance le porte-parole des FDR, Me Harouna Toureh. Une Déclaration commune qui sera rendue publique à la fin des pourparlers de Ouagadougou a déjà été rédigée. C’est le message que les deux entités ont porté devant la médiation burkinabè et les représentants de la communauté internationale, leur demandant d’en tenir compte dorénavant, au lieu de ne se donner pour interlocuteurs qu’une minorité de Touaregs, non représentatifs de leur ethnie et, qui plus est, dans une très large proportion, tous originaires de Kidal, poursuivront les leaders des FPR.
Nous terminerons cette chronique dans notre prochaine parution, en espérant que de bonnes fées, pleines de bon sens, auront servi de muses et bien inspiré les rédacteurs de la version finale de l’accord, pour le plus grand bien du Mali.
Ramata Diaouré, depuis Ouagadougou