L’émission question d’actualité de la chaîne nationale ORTM1, recevait sur son plateau, le dimanche 18 octobre 2020, cinq invités autour du thème « Fuite des sujets et violence dans l’espace universitaire et scolaire ». Les invités étaient, Moussa Niagaly, secrétaire général du bureau de la coordination de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM), le Colonel Nouhoum N’diaye, conseiller technique au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Y étaient aussi présents, Sane Ahmadou S. Touré, le secrétaire à l’organisation du Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESUP), l’enseignant chercheur et professeur au lycée Français à Bamako, Youba Dramé et le représentant de la Fédération national des parents d’élèves, Daouda Sacko. Au cours du débat, chacun a invité les plus hautes autorités du pays à prendre des mesures très fortes pour sécuriser l’espace universitaire tout en limitant les pouvoirs de l’AEEM en la remettant à sa place qui est seulement d’étudier.
La police des débats de cette émission était assurée par Yaya Konaté qui a, tout d’abord, donné la parole au secrétaire générale de l’AEEM pour qu’il donne sa version des faits au cours des différents accrochages meurtrières qui ont eu lieu sur la colline la semaine passée. D’emblée, Moussa Niagaly a précisé que le jour de ces violences, il n’y avait aucune activité de l’AEEM. « En générale, les violences qui se passent dans l’espace universitaire ne sont pas tout le temps l’œuvre des militants de l’AEEM. Ce sont parfois des règlements de comptes en ville. La colline est le lieu propice pour ces règlements car, elle n’est pas sécurisée. Les conflits, c’est lors des renouvellements de bureau. Là où nous sommes, il n’ y a pas de renouvellement de bureau », a-t-il indiqué.
Réagissant à ces propos, le conseiller technique au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, le Colonel Nouhoum N’diaye, a catégoriquement répondu qu’au jour de l’affrontement il y avait bel et bien l’élection d’un responsable de classe. Selon lui, le constat est très amer dans la mesure où l’espace universitaire qui est un lieu d’apprentissage est devenu en réalité le théâtre de conflits, de violences. « Les causes de ces conflits sont multiples : les anomalies d’ordre financier, la dégradation de la conjoncture social, l’abdication des familles devant leur rôle parentale, l’instrumentalisation de l’AEEM par les partis politiques pour arriver à leur fin. La gestion des parking universitaires sur la colline de Badalabougou par l’AEEM génère entre 400 000FCFA et 500 000FCFA par jour», a-t-il révélé, avant d’ajouter qu‘ « il y a eu deux conventions qui ont été signées entre l’AEEM et le Centre national des œuvres universitaires (CENOU) dans lesquelles 22 lits sont attribués à l’AEEM et chaque lit est cédé à un étudiant à 15 000 FCFA par an. Le restant des lits est géré par le CENOU et parmi les ressources générées par cette gestion 10% est versée encore à l’AEEM. Avec tout ceci, l’AEEM n’arrive pas à respecter ce protocole, elle fait des reçus parallèles. Par rapport à la vente des cartes CENOU, chaque carte est vendue à un étudiant à 5000FCFA et 10% de la vente de ces cartes est attribuée à l’AEEM. C’est une recherche effrénée du gain facile qui est à la base de tout ça.»
Dans son intervention, l’enseignant chercheur, Youba Dramé, a rapporté que les mots de ses collègues enseignants à qui il a demandé leurs sentiments sur ce problème de sécurité au niveau de l’espace scolaire et universitaire se résument ainsi : « désolation, désillusion, désenchantement, dysfonctionnement et catastrophe ».
Quant au syndicaliste, Sane Ahmadou S. Touré, au nom de toute sa corporation, il s’est dit très inquiet quant à cette insécurité grandissante à chaque fois qu’il y a le renouvellement du bureau de l’AEEM. « Les défilés militaires de l’AEEM nous empêchent de travailler. La gestion des parking est le plus grand problème. Quand les étudiants sont impliqués dans les inscriptions, la gestion des examens, l’administration de l’université est responsable. Quand les étudiants aident les enseignants à distribuer des brochures, les enseignants sont coupables. Nous sommes tous quelque part responsables de la situation qui se passe dans l’espace universitaire », a-t-il reconnu.
En tant que membre de la Fédération national des parents d’élèves, Daouda Sacko s’est indigné de ces situations répétitives qui se passent sans que l’Etat ne prenne ses responsabilités. Pour lui, l’AEEM s’est montrée plus forte que l’Etat et elle s’est arrogée un pouvoir qui dépasse tout entendement. Il a ensuite avancé des chiffres qui éclairent les uns et les autres sur les ressources financières attribués à l’AEEM. « Dans un rapport du CENOU, les ristournes versées à l’AEEM durant les trois dernières années sont : de 2015 à 2016, sur la gestion des résidences, l’AEEM a eu 1 835 000 FCFA et 24 850 000 FCFA sur les cartes CENOU; de 2016 à 2017, sur la gestion des résidences on note 1 916 500 FCFA et 30 438 000FCFA sur les cartes CENOU ; de 2017 à 2018, sur la gestion des résidences, l’AEEM a reçu 1 933 500 FCFA et 30 998 500FCFA sur les cartes CENOU, soit un total de 61 563 000FCFA » a-t-il- révélé.
Les solutions proposées
D’un ton franc et direct, Moussa Niagaly a clairement signalé que la dissolution de l’AEEM n’est pas d’actualité, tant que les autres associations existeront au Mali. « Le souci majeur de l’AEEM, c’est de bannir cette insécurité. On n’a pas de rapport avec les hommes politiques. Sur la colline, c’est le laisser-aller, contrairement à Kabala où les gendarmes fouillent les étudiants avant leur entrée. Sur la gestion des parking, ce sont les comités locaux qui gèrent. Pour la gestion des campus, il y a une convention qui attribue 22 lits à l’AEEM et nous n’avons pas dépassé ces lits. Les activités pédagogiques organisées par l’AEEM sont financées. Il faut essayer de recadrer, de sécuriser les universités, appliquer les textes, punir les acteurs et que la justice fasse son travail ».
De l’avis du colonel N’Diaye, il faut qu’on se donne la main pour gérer ce problème. Lors de la dernière fouille organisée sur le campus de la Faculté des Sciences Techniques (FST), à l’insu de l’AEEM, dit-il, des munitions et d’armes de guerre, des tenues militaires ont été retrouvées. Le colonel N’Diaye recommande qu’on abroge tous les accords entre l’Etat et l’AEEM. Aussi, le colonel a sollicité l’appui du ministère de la sécurité qui est basé sur un maillage à proximité et aussi l’accompagnement de la justice pour traquer les fauteurs de troubles et les criminels.
Sane Ahmadou S. Touré a informé qu’ils ont demandé à leurs collègues enseignants du SNESUP d’arrêter la vente des brochures. « Depuis plus de dix ans il y a cette insécurité, c’est le pouvoir transitoire qui a la possibilité de poser une action forte. L’actuel ministre est apolitique, c’est un professeur compétent. S’il prend une décision, peut-être que de dissoudre par exemple l’AEEM ou reconstituer l’AEEM sur une autre forme après la transition, c’est une solution », a-t-il- suggéré
L’Etat a failli sur plusieurs chapitres, pense Daouda Sacko. Il urge, selon lui, d’éloigner les enfants, c’est à dire les étudiants, de l’argent et que les parents d’élèves préparent leurs enfants pour l’avenir.
De son côté, l’enseignant chercheur, Youba Dramé, a, dans un langage clair, dit qu’il faut recadrer absolument l’AEEM en lui retirant la gestion des parking et autres. Plus loin, il s’est interrogé quant à l’inapplication des textes. Calme et serein dans ses prises de parole, Youba Dramé a interpellé les trois acteurs clés de l’éducation, à savoir, la société, l’Etat et la famille. Comme solution à la fuite des sujets, Dramé propose qu’on écourte la chaîne de transmission des sujets.
Sidiki Adama Dembélé
Source: Le Républicain-Mali