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Une dizaine de nuances de kaki : les opérations contre-insurrectionnelles au Sahel

La région n’a jamais été aussi militarisée. Voici un aperçu des acteurs militaires internationaux qu’on y retrouve. En 2011, plusieurs États africains ont tenté de mettre en garde contre les risques probables d’une intervention militaire internationale visant à renverser le dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Aujourd’hui, six ans après sa mort, l’insécurité au Sahel est plus préoccupante que jamais.

À partir de 2012, les débordements de la crise libyenne ont entraîné une résurgence de la rébellion touarègue au Mali, qui, à son tour, a permis aux djihadistes de renforcer leur présence sur le territoire. Après avoir été brièvement stoppée par l’opération française Serval, l’insurrection djihadiste est revenue, plus forte que jamais, et elle s’est répandue aux États voisins.

« Les racines du Mali étaient pourries. Il suffisait d’une faible brise pour que le pays s’effondre », a récemment dit un ancien ministre malien.

L’État malien est aujourd’hui absent de la majeure partie du pays. À la mi-décembre, à peine un quart des agents de l’État étaient à leur poste dans les six régions du nord et du centre du pays.

Selon un décompte du parti d’opposition, 2017 a été l’année la plus meurtrière au Mali depuis l’arrivée au pouvoir du président Ibrahim Boubacar Keita, en 2013.

Pourtant, la région du Sahel n’a jamais été aussi militarisée. On y trouve en effet une multitude de forces d’insurrection et de contre-insurrection de diverses allégeances. Les vétérans relatifs de la France et des États-Unis ont récemment été rejoints par des troupes italiennes et allemandes et par une nouvelle coalition régionale. On constate par ailleurs le recours à des formes de guerre qui n’existaient pas auparavant dans la région.

Alors que les missions militaires décrites ci-dessous sont présentées comme des solutions par leurs responsables politiques, d’autres acteurs les voient comme des réponses simplistes à des problèmes complexes et croient qu’elles ne font que jeter de l’huile sur le feu.

Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA)

Au moment de sa création, en avril 2013, cette mission des Nations Unies s’était vu confier le mandat de stabiliser les régions du nord du Mali après l’assaut éclair lancé trois mois plus tôt contre les groupes djihadistes par l’opération française Serval (voir ci-dessous).

Or la MINUSMA, qui compte aujourd’hui 13 000 soldats, a dû faire face à une résurgence de ces groupes à l’extérieur des principaux centres urbains. Elle a dû se battre contre des combattants mobiles et aguerris qui sont extrêmement difficiles à contrôler. On peut par ailleurs soutenir que le contrôle de ces groupes est un élément secondaire de son mandat.

« Les Nations Unies ont été déployées [ici] sans accord de paix, alors que [la signature d’un accord de paix] est généralement une condition pour l’envoi d’une mission de maintien de la paix », a dit à IRIN le chef de la MINUSMA Mahamat Saleh Annadif. « D’un autre côté, l’idée que la MINUSMA est venue ici pour se battre contre les terroristes repose sur un malentendu important entre les Maliens et la MINUSMA, un malentendu qui, malheureusement, existe encore aujourd’hui. »

Les révisions annuelles du mandat de la mission, dont l’objectif était d’améliorer la réactivité de la force, n’ont pas réussi à faire taire les critiques. Au Mali et à l’extérieur, on s’interroge sur la pertinence de dépenser plus d’un milliard de dollars pour une seule année alors que la mission s’est montrée incapable de s’acquitter de ses tâches essentielles, à savoir la protection des civils et la défense des droits de la personne.

Le meurtre de manifestants civils par les agents de maintien de la paix et les accusations de viol formulées à l’encontre de soldats de la MINUSMA ont contribué à ternir la réputation de la mission.

Les relations de la MINUSMA avec le gouvernement malien ont souvent été tendues, notamment à cause de la neutralité dont a fait preuve la MINUSMA envers certains groupes rebelles, une position qui, selon Bamako, empêche l’État de recouvrer sa souveraineté sur l’ensemble du pays.

Les limites de la force de maintien de la paix ont souvent été mises en évidence. Le plus récent rapport du Secrétaire général des Nations Unies sur le Mali souligne par exemple que « le manque de véhicules blindés de transport de troupes, notamment de véhicules protégés contre les mines, est demeuré un obstacle majeur aux opérations de la Mission ».

Le précédent rapport, publié en septembre, indiquait que le mandat de protection des civils de la MINUSMA avait été compromis par « l’absence de moyens aériens adéquats ».

En public et en privé, les responsables de la MINUSMA se plaignent d’être considérés par les leaders politiques maliens comme des punching-balls et des vaches à lait.La supervision de la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali, signé en 2015, constitue un autre élément important du mandat de la force. La MINUSMA elle-même paye le prix de l’échec de cet accord : 133 Casques bleus sont morts au Mali, ce qui fait de la MINUSMA la quatrième mission la plus meurtrière pour les agents de maintien de la paix des Nations Unies en termes de décès causés par des actes hostiles. Au Mali, les groupes djihadistes ont fait des Casques bleus des cibles spécifiques.

Une résolution récemment adoptée par le Conseil de sécurité vient ajouter un nouvel élément au mandat de la MINUSMA : celle-ci doit désormais fournir un soutien opérationnel et logistique à la force conjointe récemment créée par les États du G5 Sahel (voir ci-dessous). Le Conseil a dit que la création de la force devrait permettre à la MINUSMA de « mieux remplir son mandat de stabilisation ».

Force multinationale conjointe (Multinational Joint Task Force, MNJTF)

Cette formation a d’abord été créée au Nigeria en 1994 sous les auspices de la Commission du bassin du lac Tchad, mais elle est restée largement inactive jusqu’en 2012, lorsque son mandat a été élargi pour inclure la lutte contre l’insurrection de Boko Haram.

La Force multinationale conjointe compte quelque 7 500 employés militaires et non militaires originaires du Bénin, du Cameroun, du Niger, du Nigeria et du Tchad.

La MNJTF a subi un revers majeur en janvier 2015 lorsque sa base, alors située à Baga, au Nigeria, a été attaquée par des combattants de Boko Haram. Sa base se trouve aujourd’hui à N’Djamena, la capitale tchadienne.

Peu de temps après cette attaque, la Force multinationale conjointe a obtenu l’approbation officielle de l’Union africaine (UA), qui lui a donné le mandat de mener des opérations militaires, d’assurer la coordination entre les États, d’organiser des patrouilles frontalières, de retrouver les personnes kidnappées, de mettre un terme aux échanges d’armes, de réintégrer les insurgés au sein de la société et de traduire en justice les auteurs de crimes. Le mandat de la MNJTF sera d’ailleurs renouvelé ce mois-ci pour une autre année.

La Force multinationale conjointe bénéficie du soutien des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France pour les renseignements et la formation. Bien que théoriquement autonome sur le plan financier, elle reçoit de l’argent de l’UE qui lui est versé par l’UA. En août 2016, l’UE a en effet accepté de contribuer à hauteur de 50 millions d’euros au financement de la force. À cause de graves déficits budgétaires et de retards dans l’achat d’équipements, les soldats de la MNJTF ont dû se passer pendant plus d’un an d’équipements essentiels, ce qui a nui à l’efficacité de la force, tout comme les relations tendues entre l’UA et l’UE.

Malgré les relations difficiles entre certains de ses États contributeurs, la MNJTF a obtenu des gains significatifs contre Boko Haram depuis le début de ses opérations, en 2016, tuant ou arrêtant plusieurs centaines de membres du groupe et libérant nombre de ses otages.

En décembre 2017, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a dit que la MNJTF avait « significativement affaibli la capacité du groupe terroriste et [qu’elle] continuait de le déloger de ses bastions ». Il a cependant ajouté que « Boko Haram constitue toujours une menace grave pour les pays de la région ».

D’après l’auteur d’un article publié en mars 2017 dans la revue African Identities, « la dépendance exclusive [de la MNJTF] envers une approche militaire concertée pour contrer le terrorisme ne permettra pas de traiter les causes profondes et pourrait alimenter l’extrémisme violent » dans la région.

Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5 S)

Le plus récent des contingents armés internationaux déployés pour lutter contre la propagation et l’intensification des activités des groupes djihadistes dans le Sahel compte 5 000 soldats originaires des États du G5 Sahel, soit le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad.

Le président malien Boubacar Keita a décrit la force comme « une approche novatrice de la sécurité collective qui place la coopération et l’action mutuelle au cœur de notre réponse ».

La FC-G5 S doit être déployée sous un commandement conjoint dans trois secteurs géographiques. Son principal objectif est de « lutter contre les actes de terrorisme et les crimes transnationaux » commis par divers groupes, dont certains ont déjà uni leurs forces au Mali sous la bannière du Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM), qui est allié à Al-Qaida.

Selon l’analyste Nicolas Degrais, la création de la force est davantage le résultat de l’initiative et de la volonté politique des États du G5 Sahel que le fruit d’une injonction française, contrairement à ce que laissent entendre les médias. La France accepte mal d’avoir dû faire le gros du travail au cours des dernières années dans la lutte contre le terrorisme.

Pourtant, pour le moment du moins, la FC-G5 S doit son existence à l’aide étrangère, et notamment à celle de l’ancienne puissance coloniale, qui est militairement active dans la région depuis 2013. L’Hexagone a d’ailleurs été le plus fervent défenseur de la nouvelle force et a contribué à hauteur de 8 millions d’euros à son financement.

Le financement de la FC-G5 S est également assuré par l’UE (50 millions d’euros), les États membres du G5 Sahel (50 millions d’euros), l’Arabie saoudite (100 millions d’euros) et les Émirats arabes unis (30 millions d’euros). Ces deux derniers bailleurs de fonds sont des clients réguliers de l’industrie de l’armement française.

On espère que les futures conférences de bailleurs de fonds permettront de réunir l’intégralité de la somme nécessaire pour la première année d’opération de la force, soit environ 423 millions d’euros.

En novembre 2017, la force a mené une mission pilote dont le nom de code était « Haw Bi » (« vache noire ») dans la région du Liptako-Gourma, où se rencontrent les frontières du Burkina Faso, du Mali et du Niger, et où les insurgés sont particulièrement actifs. Selon au moins une analyse, l’opération n’a pas permis de démontrer que la nouvelle force était capable de fonctionner efficacement sans le soutien de la France.

La FC-G5 S, qui devrait atteindre sa pleine capacité d’ici mars 2018, est confrontée à de nombreux défis. Elle doit notamment assurer la coordination entre des armées de qualités variables déployées par des pays dont les leaders ont des priorités différentes en matière de sécurité. Certaines de ces armées sont par ailleurs accusées d’avoir maltraité des civils qu’ils soupçonnaient de collaborer avec des groupes djihadistes.

Voyant à quel point il est difficile de réunir suffisamment d’argent pour la première année d’opération, la mobilisation d’un appui financier durable et suffisant risque d’être « un gigantesque défi », pour reprendre les mots du Secrétaire général des Nations Unies António Guterres.

France

La France n’a jamais vraiment quitté l’Afrique, même après la décolonisation. Elle continue aujourd’hui d’y faire des apparitions. 2018 marque la sixième année d’opérations militaires françaises dans le Sahel. Celles-ci ont commencé en janvier 2013 avec l’opération Serval (Mali), qui a été remplacée en août 2014 par l’opération Barkhane, une force plus régionale qui compte 4 000 soldats et qui est gérée depuis N’Djamena.

L’opération Barkhane a notamment permis d’éliminer des dizaines de djihadistes, dont certains occupaient des postes très importants, et de détruire plus de 22 tonnes d’armes. L’opération n’a cependant pas réussi à empêcher les groupes extrémistes de réapparaître et de mener des attaques dans le centre du Mali, au Burkina Faso ou au Niger.

L’époque où l’ancien président français François « Papa » Hollande était accueilli chaleureusement de Bamako à Tombouctou est révolue depuis longtemps. Dans la région de Kidal, dans le nord du Mali, certains groupes armés touaregs considèrent les forces françaises comme une armée d’occupation. D’autres encore ne comprennent pas pourquoi les soldats de l’opération Barkhane ne viennent pas les aider à combattre les insurgés d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) dans la région de Tombouctou. Dans le sud du pays, certaines personnes soupçonnent Paris de soutenir secrètement les mouvements sécessionnistes. Quatre-vingts pour cent des répondants d’un récent sondage d’opinion réalisé à Bamako ont dit qu’ils croyaient que la France était présente au Mali « pour défendre ses propres intérêts ».

Au Burkina Faso voisin, où, en 2015, une révolte populaire a renversé le protégé de longue date de la France, Blaise Compaoré, nombreux sont ceux qui en ont assez des promesses répétées de Paris, qui dit vouloir mettre fin à la Françafrique (sa sphère d’influence durable en Afrique), et qui n’apprécient pas la présence de l’armée française. Ils soupçonnent par ailleurs qu’elle attire plus qu’elle ne dissuade les groupes djihadistes.

Malgré ces critiques, l’opération Barkhane a eu plus de succès contre les groupes extrémistes que toute autre force militaire.

États-Unis

Il aura fallu que quatre soldats des forces spéciales en « mission de reconnaissance » meurent au Niger, le 4 octobre dernier, pour faire la lumière sur la « guerre de l’ombre » menée par les États-Unis au Sahel, même si la présence américaine dans la région ne date pas d’hier.

Depuis 2002, les États-Unis ont mené une série de missions de formation à la lutte antiterroriste dans la région afin d’« aider les forces locales à faire face à la menace », a expliqué le général Joseph Dunford, chef d’état-major des armées des États-Unis, en octobre.

Le Niger, un partenaire clé dans cette entreprise, accueille actuellement sur son territoire 800 soldats américains. Il s’agit du plus important contingent américain sur le continent africain. Une fois terminée la construction de la base de drones à Agadez, le pays abritera deux bases militaires américaines.

L’attaque du mois d’octobre, qui s’est produite près du village de Tongo Tongo, semble signaler une escalade de l’engagement militaire américain. En novembre, le Niger a autorisé les États-Unis à armer leurs drones, ouvrant ainsi la porte à une méthode de guerre déjà utilisée en Afghanistan, au Pakistan, en Somalie et au Yémen, une méthode ayant eu des conséquences fatales et provoqué de nombreux accidents.

« C’est justement ce qu’on aimerait ne jamais voir en Afrique de l’Ouest : des bombes très puissantes qui, malgré leur redoutable précision, font des dizaines de victimes civiles collatérales… et offrent aux groupes armés djihadistes anti-occidentaux des centaines de nouveaux candidats au recrutement », a averti Gilles Yabi, du groupe de réflexion Wathi.

Union européenne

L’UE s’intéresse de plus en plus au Sahel, car la déstabilisation de la région suscite des préoccupations en lien avec la sécurité et les mouvements migratoires.

Le bloc a actuellement trois entités là-bas : la Mission de formation de l’UE au Mali (EUTM-Mali), lancée en 2013 pour instruire les forces armées du pays ; et deux missions de renforcement des capacités, une au Mali et une au Niger, pour soutenir les agences nationales qui luttent contre l’extrémisme et le crime organisé.

L’Allemagne devrait bientôt ouvrir une base militaire au Niger pour venir en aide à la MINUSMA. L’Italie a également annoncé l’envoi de 470 soldats pour lutter contre le trafic de personnes et l’extrémisme. Selon certaines informations, la Grande-Bretagne aurait engagé des pourparlers avec la France en vue de fournir des hélicoptères militaires ou des avions de surveillance à l’opération Barkhane.

(PHOTO D’EN-TÊTE : Des soldats français de l’opération Barkhane au Mali. CRÉDIT : Fred Marie/Flickr)

SourceIrinnews

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