Plombé par ses remarques sexistes, il part de très, très loin. Parmi les femmes, 70% ont une opinion défavorable, selon un récent sondage Gallup. Et dans son propre camp, les sympathisantes républicaines sont trois fois moins nombreuses que les sympathisants à le soutenir. C’est ce qu’on appelle un gender gap (un fossé entre les sexes) plus profond que le Grand Canyon. Et qui sera bien difficile à enjamber. Mi-mars, un comité d’action politique (PAC) financé par des anti-Trump républicains avait déjà diffusé une vidéo où des femmes redisent d’un ton monocorde et désolé les pires saillies misogynes du magnat de l’immobilier. «Truie», «chienne», «bimbo», entre autres compliments. Mercredi, Connor Eldridge, une figure démocrate de l’Arkansas, avait balancé un montage d’extraits entrecoupés de la définition du mot «harcèlement».
Eldridge sait de quoi il parle : il a été procureur fédéral dans l’Arkansas avant de briguer, en novembre, un siège au Sénat. Il en profite pour citer une phrase de son opposant républicain dans l’Arkansas, qui affirme son soutien à Trump : façon de faire d’une pierre deux coups, à la présidentielle et aux sénatoriales.
Bill Clinton dans le viseur
C’est dire si Trump a un sérieux problème avec les femmes, que ses opposants comptent bien exploiter : l’angle qu’il a choisi vendredi et samedi est digne de la série House of Cards, avec les Clinton à la place du couple Underwood. Lors de plusieurs meetings, à Eugene (Oregon), Spokane et Lynden (Washington), Trump a martelé que les Clinton n’avaient pas de leçons à lui donner sur la façon dont il traite les femmes. Pour affaiblir la candidate démocrate, il a donc exhumé les frasques de son mari, en faisant notamment allusion au scandale Monica Lewinsky, la jeune stagiaire de la Maison Blanche avec laquelle Bill Clinton a eu une relation. Une fellation que le président de l’époque avait d’abord niée, au prétexte que cela ne constituait pas, à ses yeux, une relation sexuelle. Avant d’être obligé de la reconnaître, frôlant la destitution pour avoir menti. «Elle est mariée à un homme qui a été mis en accusation pour avoir menti sur ce qui s’est passé avec une femme. Et elle va balancer sur le petit Donald Trump ? Je ne le pense pas», a-t-il assuré. Avant de qualifier l’ex-première dame «d’opportuniste» : «Certaines de ces femmes ont été détruites, non par lui mais par la façon dont Hillary Clinton les a traitées après que tout soit dévoilé», a-t-il poursuivi.
Ce faisant, Trump pense toucher une corde sensible chez certaines Américaines de gauche. Dans les années 90, le couple et son entourage se sont attachés à discréditer les femmes harcelées par Bill Clinton. Lui pour se maintenir au pouvoir, elle pour préserver son capital politique.«Hillary n’a jamais montré la moindre solidarité avec ces femmes. Toutes celles qui, au quotidien, sont soumises aux avances de leur supérieur dans leur boulot se sont senties lâchées par elle à ce moment-là. C’est une de raisons pour laquelle elle est appréciée mais pas aimée»,rappelle une quinquagénaire démocrate new-yorkaise. Ces affaires datant du début des années 90, beaucoup de jeunes électrices ne les ont pas directement vécues. Les conseillers de Trump espèrent que les marteler va finir par payer, en incitant la jeune génération à découvrir les détails de ces scandales. Mais cela pourrait aussi avoir l’effet contraire, relève le New York Times, le risque étant que les électrices «finissent par faire bloc derrière la candidate». Se posant au-dessus de la mêlée, cette dernière n’a pas répondu à cette énième attaque personnelle. «Hillary Clinton se fiche de ce qu’il peut dire à son sujet, a réagi dans un mail Brian Fallon, le porte-parole de sa campagne. Elle va continuer à le critiquer pour ses propositions scandaleuses et ses remarques semant la discorde.»
Inquiétude des républicains
Contrairement à son adversaire, Hillary Clinton peut compter sur son parti pour améliorer son image chez les femmes. C’est une véritable équipe de candidates qui est désormais à l’œuvre pour les sénatoriales partielles qui auront qui auront lieu le 8 novembre, le même jour que la présidentielle. Et pas des moindres. L’état-major démocrate a en effet décidé de présenter des femmes dans neuf Etats. Objectif : rafler la courte majorité dont disposent les conservateurs (54-46) dans cette chambre du Congrès. Une perspective qui ne manque d’inquiéter les caciques du GOP : dans un mémo qui avait fuité cet automne dans leWashington Post, Ward Baker, le patron du Comité national républicain du Sénat, avait alerté les futurs candidats sur la nécessité de prendre en compte la dynamique de Trump, tout en se tenant éloigné de ses commentaires les plus incendiaires, notamment à l’encontre des femmes. Les voilà confrontés à des démocrates qui se font déjà un plaisir de rappeler ces phrases.
«Trop nombreuses sont [celles] qui ont dû lutter toute leur vie contre le sexisme et la rhétorique offensante de Trump», a lâché la charismatique Ann Kirkpatrick, qui compte bien prendre son siège au sénateur John McCain dans l’Arkansas. Idem dans le Nevada, l’Illinois, la Pennsylvanie et la Caroline du Nord, où les candidats républicains sont suspectés des mêmes travers que le candidat de leur camp, sinon de leur parti. Ils sont sommés de s’en désolidariser publiquement. Mercredi dernier, Emily’s List, une organisation qui promeut les femmes en politique, leur a demandé de s’engager à éviter toute attaque sexiste «dans la même veine que Trump». «Cette élection est une chance d’envoyer un nombre record de [sénatrices], plus qu’en 1992, baptisée l’année de la femme»,s’est félicitée Stephanie Schriock, à la tête du mouvement. Avec Hillary Clinton en piste pour être la première présidente des Etats-Unis, des sénatrices démocrates en passe de reprendre la majorité au Sénat, cette année électorale 2016 pourrait bien être celle des femmes.