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[Tribune] « La désobéissance civile est un faux droit »

Avocat à la Cour, Maître Cheick Oumar Konaré explique dans cette tribune le sens et les implications du concept de désobéissance civile. 

 

Le Mali traverse, depuis 2012, la période la plus trouble de son histoire. Si le Nord du pays est en grande partie occupé par des groupes ex-rebelles réunis au sein de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), le Centre, notamment la région de Mopti, connaît une résurgence des conflits locaux. À cela, s’ajoutent des attaques terroristes menées par une kyrielle de groupuscules « djihadistes », appartenant notamment au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et à l’État islamique dans le grand Sahara (EIGS), etc.

Quant au reste du pays, il est agité par une crise postélectorale née des élections présidentielles de juillet-août 2018 et exacerbée par les législatives de mars et avril 2020. C’est dans ce contexte délétère que certains acteurs politiques et de la société civile appellent à une désobéissance civile. Mon propos est, ici, d’expliquer aux lecteurs le sens et les implications de ce concept.

Origine du concept

L’expression « désobéissance civile » a pour ancêtre politique le mot « insurrection ». Ce mot désigne un soulèvement (armé ou non), une révolte contre le pouvoir en place. Les personnes qui fomentent une insurrection sont appelées « insurgés ».

L’insurrection a été conceptualisée et légitimée par les révolutionnaires français, qui ont renversé par la rue le Roi Louis XVI en 1789. C’est ainsi qu’ils ont cité, dans l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la résistance à l’oppression comme étant l’un des quatre « droits naturels et imprescriptibles de l’homme ».

Plus tard, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 énoncera en son article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».

Mais, quand le pouvoir révolutionnaire s’est rendu compte que l’insurrection l’exposait lui-même au plus grand danger, il a ôté la notion d’insurrection du texte de la Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen de 1795.

L’insurrection finit même par être érigée en crime par les articles 412-3 et 412-4 du code pénal français, selon lesquels « constitue un mouvement insurrectionnel toute violence collective de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national ».

La désobéissance civile est une forme modernisée et pacifique d’insurrection. C’est le refus assumé, public et pacifique de se soumettre à une loi ou à un pouvoir jugé inique par ceux qui le contestent. L’expression a été créée par l’Américain Henry David Thoreau dans son essai La Désobéissance civile, publié en 1849, à la suite de son refus de payer une taxe destinée à financer la guerre contre le Mexique.

La désobéissance civile est, certes, une forme de révolte ou de résistance, mais elle se distingue de l’insurrection par son caractère pacifique et passif au sens classique. Alors que la révolte classique utilise l’arme de la violence.

Cas du Mali

La Constitution malienne du 25 février 1992 autorise la désobéissance, mais seulement dans l’hypothèse où le pouvoir porte atteinte à la forme républicaine de l’État (par exemple, lorsqu’il tente de transformer le Mali en un royaume). Tel est le sens de l’article 121 de la Constitution qui dispose : « Le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’État. » C’est donc une erreur de penser que la désobéissance civile peut être mise en œuvre pour n’importe quelle faute du pouvoir.

Il faut aussi reconnaître que le droit à la désobéissance civile est un faux droit, en ce que celui qui tente de l’exercer le fait à ses risques et périls. Pour l’exercer avec succès, il faut disposer d’une force populaire suffisante pour contraindre le pouvoir à se soumettre aux quatre volontés de la masse. En revanche, quiconque engage la désobéissance civile sans un soutien populaire massif se condamne à subir les foudres de l’État, car tous les moyens qui conduisent à la désobéissance civile sont criminalisés par le code pénal : troubles à l’ordre public, attroupements illicites, violences et voies de fait, atteinte à la sûreté intérieure de l’État, atteinte à la liberté du travail, etc.

Source : Benbere

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