La situation du transport urbain dans la ville de Bamako nécessite un « changement de paradigme », selon ses acteurs. Un transport inadapté, peu organisé, et un parc automobile et motocycliste dont la gestion est désormais devenue un enjeu majeur. Pour y faire face, les autorités envisagent une réforme destinée à mieux structurer le secteur. Une reprise en main de la politique du transport urbain par l’État, qui entend jouer un rôle central dans la réorganisation du secteur, tout en y associant pleinement les différents opérateurs présents. Même s’ils ne proposent pas les mêmes solutions, tous les acteurs sont convaincus de la nécessité d’un changement dans un domaine où beaucoup ne trouvent plus leur compte.
De plus en plus à l’abandon en Europe, les vieux véhicules ont massivement envahi le marché malien et contribuent à exacerber les difficultés de mobilité urbaine, surtout dans la capitale, Bamako. Moins coûteux à l’achat pour leurs acquéreurs, ces véhicules ont cependant « des coûts sociaux importants », selon le Directeur national des transports terrestres, maritimes et fluviaux. En plus de leur impact considérable sur l’environnement, ils ont aussi une influence négative sur la sécurité routière. Particulièrement alarmant, l’âge moyen des véhicules utilitaires est de 17 ans. Ainsi, camions et minibus (Sotrama) éprouvent d’énormes difficultés à offrir des services de qualité aux différents usagers.
Un financement problématique ?
L’unique exception dans le domaine semble provenir des cars qui assurent le transport interurbain de voyageurs. En effet, ce secteur étant très rentable pour les opérateurs, ces derniers achètent des cars presque neufs. Il en va de même pour les camions. Compte tenu de son volume de travail, une citerne ancienne n’est pas assez rentable et les opérateurs économiques ont désormais tendance à acheter « aussi neuf que possible ».
Le goulot d’étranglement est au niveau des autres professionnels du transport, qui ont des difficultés pécuniaires et n’arrivent pas à obtenir les financements adéquats en raison du mode de gestion même de leurs entreprises de transport. En face d’eux, les grandes sociétés, qui ne transportent des produits ou des personnes que pour leur propre compte, peuvent, grâce à leur modèle managérial, obtenir les montants nécessaires à la constitution d’une importante partie de leur parc.
Les transporteurs professionnels, ainsi privés d’une partie de ce fret, voient ainsi leur parc diminuer. Le transport pour compte propre coûtant plus cher, il ne sert pas les intérêts de l’économie. Ce sont donc les professionnels du transport qu’il faudrait aider en procédant notamment au renouvellement de leur parc afin d’inverser la tendance.
À bout de souffle
Avec une véritable explosion de son parc de véhicules particuliers, parallèlement à celui du transport collectif, le District de Bamako est confronté à une véritable problématique de la mobilité urbaine. Gérer ce parc est devenu un casse-tête pour les différentes autorités et celles chargées du transport préconisent une véritable réforme, dans le but ultime d’évoluer « vers un transport de masse efficace ». Les réflexions sont en cours et des pistes de solution déjà à l’étude.
En premier lieu, la réappropriation du secteur par l’État qui en avait laissé la gestion aux acteurs privés à la faveur de la libéralisation entreprise il y a quelques années. Cette piste est d’autant plus privilégiée que les exemples de réussite dans la sous-région concernent les capitales sénégalaise et ivoirienne, où l’État a gardé un pied dans le transport public, assurent les responsables de la Direction nationale des transports terrestres, maritimes et fluviaux du Mali.
Mais la réussite d’un nouveau système de transport urbain, destiné à faciliter les déplacements dans la capitale, dépendra d’une implication plus accrue des opérateurs concernés. Au nombre de ceux-ci, la Mairie du District, qui a la charge d’assurer la régulation, qui est malheureusement actuellement l’apanage des syndicats de transport urbain, regrette le premier responsable de la Direction nationale des transports.
En effet, la régulation est indispensable pour déterminer par exemple le nombre de véhicules par ligne, qui sera ajusté au besoin et régi par des codes précis. Une telle gestion, qui doit être faite en association avec les acteurs concernés, a montré ailleurs son efficacité. Le public et le privé, dans une parfaite complémentarité, ont joué ce rôle à la satisfaction de tous, y compris de ceux qui étaient réticents au départ. À l’exemple du Sénégal, où des GIE formés par les transporteurs assurent eux-mêmes la surveillance et le respect des règles imposées.
Réticences légitimes ?
Un tel système peut-il être viable au Mali ? Malgré son rôle déterminant dans le transport urbain, le système actuel a depuis longtemps montré ses limites et est conscient de ses insuffisances. Eligué Traoré est le Président de « Car Badala », l’un des 6 comités syndicaux de Sotrama qui gèrent la rive droite du District de Bamako. Dans le transport urbain depuis plus de 20 ans, il reconnaît que le secteur connaît beaucoup de difficultés et doit changer. Mais il prévient : « si le gouvernement veut changer, il ne doit pas passer par des intermédiaires, il doit traiter directement avec ceux qui sont dans le transport ». Évoquant les « échecs » précédents, il explique que les propriétaires des véhicules ne sont majoritairement pas des professionnels du transport. Le personnel, employé pour « faire des recettes », est mal payé et fait la « course » pour augmenter son gain, au détriment des règles élémentaires de la circulation routière. Si l’on y ajoute le mauvais comportement des « apprentis », chargés de faire le lien entre le chauffeur et les passagers, même si cette question dépasse largement celle du cadre des transports urbains, cela contribue fortement à la dégradation d’un secteur déjà fort mal en point.
Pour améliorer le système actuel, Eligué Traoré a quelques suggestions. « Il faut améliorer les minibus actuels et privilégier certaines marques, qui peuvent résistent bien ici », avant d’ajouter « si on achète n’importe quels cars, ils vont finir comme les autres, à la ferraille ».
Son homologue Sidiki Kampo, Secrétaire général adjoint de la ligne de Lafiabougou, en Commune IV, n’est guère plus optimiste. Pour lui, la priorité, c’est l’instauration de la circulation par lignes. Ce qui permettra à son avis de réorganiser le secteur et de faire respecter certaines règles. S’il est plus sceptique quant à la modernisation de ce segment du transport, il estime cependant qu’en instaurant un meilleur traitement des chauffeurs on peut contribuer à assainir le secteur.
Avec 7 000 unités en circulation dans le District de Bamako, d’après les chiffres de la Direction nationale des transports, les taxis ne sont pas mieux lotis. À la « Place Gondole », en Commune III du District de Bamako, l’atmosphère est plutôt morose. Sayon Camara est le Président de cet emplacement. Il évoque avec amertume « l’Opération Taxi » lancée en 2010 par les autorités pour donner un nouveau souffle au secteur. « J’ai payé près de 6 millions de francs CFA et au final je n’ai rien », déplore t-il. Comme lui, des dizaines d’autres chauffeurs de taxis sont dans la même situation. Certains sont même décédés avant de voir la vérité établie. Malgré plusieurs jugements et des passages à l’Espace d’Interpellation Démocratique (EID), ils attendent toujours de rentrer dans leurs droits. M. Camara résume les maux des taximen en quelques mots : « trop de taxis, des prix inaccessibles pour les clients, beaucoup de documents et de frais annexes ». Ses collègues, qui lui emboîtent le pas, n’en pensent pas moins. Ils y ajoutent les tracasseries et même « les injustices » quand ils ont des accidents, même s’ils « ont raison ».
En attendant de trouver la solution idéale, les acteurs du transport urbain sont unanimes, le secteur doit changer.
Journal du mali