Le président en exercice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), le Ghanéen John Nana Akuffo Addo a séjourné à Bamako dimanche dernier (17 octobre 2021) pour prendre le pouls de la transition, autrement s’informer si l’intension réelle des autorités de la transition sur le respect du délai des 18 mois. Aujourd’hui, il ne fait plus l’ombre d’aucun doute que cette échéance ne peut être respectée. A moins de bâcler l’organisation des élections et de renvoyer les réformes aux calendes grecques parce que le peuple malien n’a aucune assurance que le régime élu va s’y engager avec sincérité. Il est temps que les Maliens fassent un choix et l’assument quel que soit le prix à payer.
En septembre dernier la mission d’évaluation de la Cédéao avait demandé aux autorités de la transition de soumettre à l’organisation «au plus tard» fin octobre un calendrier des «étapes essentielles» en vue des élections du 27 février 2022. «On m’a envoyé pour venir discuter avec le président de la Transition Assimi Goïta l’évolution de la Transition au Mali», a déclaré le président John Nana Akuffo Addo dimanche dernier (17 octobre 2021) après la séance de travail avec le Colonel Assimi Goïta. Et, selon la présidence, la partie malienne n’a pas manqué de lui présenter la situation sécuritaire globale du pays avec ses implications évidentes sur le processus de transition. Il y ressort un impératif de sécurisation des populations plutôt que de chercher à les envoyer à tout prix à des élections.
«Nous nous sommes engagés sur un calendrier pour tenir les élections en février. Nous sommes sur cette lancée. Mais je crois qu’il faudra que nos partenaires prennent un peu de recul pour regarder l’ensemble de la situation et sortir de cette approche dogmatique de dire : c’est le 27 février ou rien», a souhaité le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, M. Abdoulaye Diop, le 11 octobre dernier lors d’une visite au Maroc.
Le président en exercice de la Cédéao était donc à Bamako dimanche dernier pour discuter du respect de la durée de la transition au Mali. L’organisation sous-régionale, comme une grande partie des partenaires techniques et financiers (PTF) du Mali, veut des élections en février alors que les Maliens, dans leur majorité, veulent plus les réformes que des élections bâclées qui ne manqueront pas de ramener leur pays à la case-départ avec un autre coup d’Etat dans 5 ou 10 ans.
Le compromis est-il possible en le Mali et la Cédéao ?
Difficile de parvenir à un consensus avec l’état d’esprit actuel de certains dirigeants ouest africains et des leaders de la classe politique dont se servent la France pour défendre ses intérêts. Au lieu de nous aider à trouver une solution malienne pérenne à nos problèmes, des dirigeants de la Cédéao nous mettent la pression, comme en 2012, pour mettre la charrue avant les bœufs. Et au finish nous risquons de nous retrouver avec un président plus regardant sur le jugement des puissances étrangères que les préoccupations réelles des Maliens. Pis, un dirigeant qui aura les pieds et les mains liés comme IBK pour mener les réformes en profondeurs indispensables à la refondation de l’Etat malien.
Nous comprenons l’empressement de cette partie de la classe politique allergique à toute prolongation de la transition. En plus de sa mégalomanie connue, la lutte implacable engagée actuellement par les autorités de la transition contre la corruption et la délinquance financière est une nouvelle raison qui la pousse à vouloir coûte que coûte aller aux élections. Et cela d’autant plus que ses principaux dirigeants ayant été aux affaires de l’avènement de la démocratie à nos jours, il y a une forte probabilité que beaucoup d’entre eux soient menés d’une manière ou d’une autre à ces malversations financières consistant à chiffonner le trésor public pour alimenter des comptes aux dépens de bien être collectif des Maliens.
Avec un régime politique élu (et surtout si le président élu traîne des casseroles comme IBK avec l’affaire Tomy), il est plus facile de trouver un compromis épargnant tout le monde des poursuites. Et comme le disait récemment Pr. Alioune Tine, fondateur du centre de réflexion Afrikajom Center qui travaille sur les organisations et les institutions en Afrique, «la politique est devenue pour la carrière et le destin de certains une question de vie ou de mort. Il y a des enjeux de pouvoir et surtout d’argent… La bagarre c’est pas autour d’idées, de vision, de programme, mais seulement le pousse-toi que je m’y mette».
C’est à ce jeu sordide que les Maliens veulent mettre fin parce qu’ayant pris conscience que le pays est floué et stoppé dans sa volonté de changement chaque fois que ce sont des partenaires à l’extérieur du Mali qui nous donnent les prescriptions à travers nos élus. Comme l’a dit le ministre Abdoulaye Diop au Maroc, la transition nous offre aujourd’hui l’opportunité de solidement refonder ce pays en faisant fi de «la prescription, des diktat, des invectives, des ultimatums». Nos vrais amis (Chine, Russie, Algérie, Maroc, Guinée Bissau…) voient aujourd’hui cette nécessité et appellent les autres au dialogue et à «une écoute sincères avec les Maliens».
De toutes les manières, comme l’aurait rappelé le président Goïta au président en exercice de la Cédéao, «le Mali est une digue au Sahel qu’il faut consolider plutôt que d’affaiblir». Et quand la digue cède, les conséquences sont inimaginables, y compris pour ceux qui ont créé les conditions de son effondrement !
Moussa Bolly
Source : Le Matin