Ouestafnews – « Une transition militaire de cinq ans, c’est trop, c’est inacceptable ». C’est l’avis du professeur Abdoulaye Bathily ancien représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Afrique centrale.
M. Bathily, historien, homme politique et militant de la gauche sénégalaise, intervenait lors d’un un panel semi-virtuel organisé par le Think Tank Afrika Jom Center de Dakar, le 24 février 2022 sur le thème « les causes profondes du retour des coups d’Etat militaires en Afrique de l’Ouest ».
Le Mali traverse une crise politique avec des ramifications internationales depuis que des militaires ont destitué le président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) et se sont emparés du pouvoir le 18 août 2020. Le président décédera un an et demi après son renversement.
Selon M. Bathily, la décision de faire durer la transition pendant cinq ans n’a « pas été décidée démocratiquement ».
Avant le Pr Bathily, les organisations sous-régionales ouest africaines, notamment la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), ont aussi manifesté leur refus d’une transition de cinq ans.
Les militaires au pouvoir, sous la direction du colonel Assimi Goïta quant à eux parlent d’un besoin de « refondation » d’un pays profondément en crise, avant de penser aux élections et à la remise du pouvoir aux civils.
Le 21 février 2022, le Conseil national de la transition (CNT, Assemblée nationale) a entériné une transition de cinq ans avant des élections et un retour à l’ordre civil et constitutionnel au Mali, lors d’une révision de la Charte de transition.
Cette révision dispose que la durée de la transition sera conforme aux recommandations formulées par les Assises nationales de la Refondation (ANR), tenue en décembre 2021. Les décisions issues de ces consultations avaient préconisé une transition de six mois à cinq ans pour réaliser les réformes institutionnelles, jugées comme préalable à toute élection crédible.
Les réformes que souhaitent les autorités militaires de transition à Bamako doivent être conduites par un « régime légitime » et non par un régime autoproclamé dont « les décisions sont souvent prises dans les casernes », a défendu l’homme politique sénégalais lors du panel.
« En quoi un régime militaire arrivé au pouvoir par un coup de force devrait être plus légitime qu’un régime civil, quelles que soient les tares dont celui-ci peut souffrir ? », s’interroge le Pr Bathily qui estime qu’en tous les cas, l’expérience des coups d’Etats et des « régimes militaires durables (en Afrique) constitue un danger ». Que ce soit pour les militaires ou pour l’Etat.
Il a quand même tenu à souligner les exceptions que constituent les prises de pouvoir par l’armée au Ghana par Jerry Rawlings, par Thomas Sankara (Burkina Faso), par Paul Kagamé (Rwanda) et par Gamal Abdel Nasser (Egypte).
Arrivé au pouvoir en 1981 à la faveur d’un coup de force, Jerry Rawlings a mis le Ghana sur les rails de la démocratie. Ce qui a valu à ce pays d’être l’un des plus stables et les plus performants de l’Afrique.
Au Burkina Faso, entre 1983 et 1987 avant son assassinat, Thomas Sankara a engagé des réformes et instauré une politique d’émancipation nationale, de lutte contre la corruption et de la libération des femmes. Il a rebaptisé le pays Burkina Faso, jusque-là appelé Haute Volta.
Après avoir hérité en 2000 d’un pays en proie aux séquelles du génocide de 1994, Paul Kagamé a pu restaurer la stabilité au Rwanda, apporter la croissance économique et réduire la corruption.
L’espace Cedeao a connu quatre coups d’Etat entre 2020 et 2022 dont deux au Mali, un en Guinée et un au Burkina Faso. Or d’après, Alioune Tine, directeur d’Afrika Jom Center, « avec les régimes issus de coups d’Etat militaires, le principe de changement de pouvoir que requiert la démocratie se rétrécit ».
Au même moment, la Cedeao, l’instance communautaire sensée « évaluer et sanctionner les coups d’Etat militaires, souffre de plus en plus de légitimité », aux yeux des populations, affirme M. Tine qui évoque une nécessité de « réformer l’institution sous-régionale ».
Il y a comme une sorte d’épuisement du modèle de démocratie nourri par des systèmes qui favorisent la corruption et la mal gouvernance, ajoute le directeur d’Afrika Jom Center.
Des situations qui conduisent aux coups d’Etat militaires qui aboutissent souvent à « des règlements de comptes » et à « un désordre » au sein des forces armées, selon Abdoulaye Bathily.
Pour conclure, cet enfant de troupe et ancien chef de file de la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT) estime que « les armées doivent rester dans les casernes » ou servir à « écourter les régimes militaires » lorsqu’interviennent des putschs ».
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Source: ouestaf