Les victimes et autres survivants attendent impatiemment des réparations qui ne viennent toujours pas ?
65 milliards de francs CFA, c’est la coquette somme qui sera débloquée par l’Etat malien pour indemniser les victimes et ayants droit des graves violations des Droits de l’Homme de 1960 à nos jours. La Commission, Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR), présidée par l’ancien ministre, Ousmane Oumarou Sidibé, souhaite à travers ce geste contribuer à instaurer un climat de paix durable, de vérité, de réconciliation et de consolidation de l’unité nationale.
Depuis l’accession de l’indépendance du Mali, notre pays aura brillé par des exactions de tous genres souvent au prix des pertes en vies humaines. Les Droits de l’Homme furent à un certain moment ignorés piétinés et bafoués dans la démesure, relégués au dernier chapitre des priorités par les autorités politiques en place. Quoi que l’on puisse dire sur la gouvernance de feu Ibrahim Boubacar Keïta, force est de reconnaître qu’il a eu la présence d’esprit de vouloir réparer avec bienveillance ces dérapages. Dans cette droite ligne, la CVJR a été créée pour que dans l’avenir notre pays ne puisse connaître de telles atrocités inqualifiables.
De nos jours, la Commission, Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) a terminé sa mission avec brio depuis un moment suite à de nombreuses années de travail sur le terrain. Les audiences publiques furent largement retransmises et diffusées sur les chaînes de télévisions. Elles avaient trait aux graves violations des Droits de l’Homme commises et vécues par des hommes, des femmes et leurs descendants de 1960 à nos jours. Ce furent une occasion pour les victimes, de partager leur douleur avec l’ensemble des populations maliennes. Suite à ce travail de titan, le rapport fut soumis aux membres du CNT (Comité National de Transition). Ceux-ci ont joué leur partition et adopté un projet relatif à la réparation des préjudices causés par les graves violations des Droits de l’Homme. Pour ce faire, il a été envisagé la mise en place d’une Agence Nationale de Gestion des Réparations dénommée (ANGRV) sous la houlette du ministère en charge de la Réconciliation Nationale, de la Paix et de la Cohésion Nationale dirigé par le Colonel Ismael Wagué.
Retenons que l’objectif de la politique nationale de réparation est de restaurer la dignité des victimes en leur accordant par voie administrative et non judiciaire des réparations pour les préjudices qu’elles ont subis du fait des violations graves des Droits de l’Homme commises avec les crises à répétitions que le Mali a connu depuis 1960 année de son indépendance.
Le coût de la réparation de l’ensemble des victimes connu de tous comme l’a bien rappelé Ousmane Oumarou Sidibé, président de la CVJR, est estimé à la bagatelle de 65 milliards de F CFA (112 millions d’euros). À ce jour, les victimes n’ont rien vu venir. Le temps semble arriver pour que les autorités transitoires sortent du mutisme qui ne fait que trop durer et la liste des victimes, survivants et ayants droit se réduit inexorablement d’année en année. La dernière en date, c’est la disparition de M. Victor SY (paix à son âme) un des rescapés du régime militaire.
L’Agence Nationale de Gestion des Réparations qu’elles projettent de mettre en place tarde à voir le jour. Le personnel doit comprendre naturellement les représentants des survivants, victimes et ayants droit pour être crédible. Le proverbe Bamanan nous enseigne ceci: «koun té di koun tigui ko babada !». Littéralement dans la langue de Molière cela signifie: «on ne peut s’autoriser de raser la tête d’un individu à son absence», fin de citation…
Il est à rappeler que cette instance est appelée à statuer sur les modalités de réparation. Entre-temps, les victimes et leurs ayants droit sont dans une attente interminable pour prétendre à la réparation de leurs droits le plus légitime.
Les plus hautes autorités de la transition feraient mieux d’agir, de s’atteler à cette mission. Elles ne sont pas sans savoir que la mise en place d’une telle structure indépendante vouée à la réparation en faveur des victimes nécessite impérativement l’adhésion des associations de victimes pour relever le défi de la transparence pour la gestion de la chose publique. La transition y gagnerait en crédibilité à défaut, c’est la porte ouverte au dérapage et à la manigance à outrance…
Aboubacar Eros SISSOKO, Artiste-Écrivain, membre du Collectif des familles victimes du coup d’État du 19 novembre 1968