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Transition au Mali : des magistrats déplorent des dérives judiciaires

Dans ce message publié le mercredi 23 février 2022, le président de l’Association Malienne des Procureurs et Poursuivants (AMPP), Me Cheick Mohamed Chérif KONE, dénonce un certain nombre de dérives judiciaires qu’il impute aux autorités de la transition en cours. Ci-dessous l’intégralité de son message fait aux noms de l’AMPP et de la Reference Syndicale des Magistrats (REFSYMA).

Après mon passage à l’inspection, j’ai pu avoir des entretiens approfondis avec le membre du conseil en charge du rapport dont je ne doute, ni de l’intégrité morale, ni de son esprit d’indépendance.

Pour ce qui concerne Dramane DIARRA, convoqué de façon désobligeante à se présenter devant l’inspection des services judiciaires, sur saisine du ministre de la justice, faisant suite à une prétendue plainte du procureur de la Commune IV, lequel ministre a tendance de détourner ce service de ses attributions traditionnelles pour en faire un instrument aux fins d’intimidation contre quelques magistrats attachés à leur indépendance, la procédure est à son début.

Les seuls griefs que le ministre de la justice ou le procureur de la république de la Commune IV, lui reproche, sous le couvert fourre-tout de manquements aux devoirs de sa charge, c’est une interview qu’il a accordée au journal du Mali, vers la mi-novembre 2021, sur l’affaire Issa Kaou N’DJIM. Dans ladite interview, comme tout le monde peut s’en rendre compte, il a défendu la séparation des pouvoirs, le respect strict de la loi, l’indépendance de la magistrature, le fonctionnement adéquat de la justice, conformément à l’éthique professionnelle et à la déontologie judiciaire, qui auraient été en défaveur du régime en place. Comme Dramane le dit lui-même : « Le Magistrat doit être indépendant de tout sauf de la loi ». Est-on vraiment au sérieux ici en harcelant un magistrat ?

Nous nous disons désolés par cette incohérence du ministre de la justice qui voit mal la participation d’un magistrat n’exerçant aucune fonction juridictionnelle, dans les débats publics autorisés, pour par ailleurs apprécier positivement un procureur général de la cour suprême qui n’a pas hésité à soutenir des incongruités largement médiatisées sur la chaine de la télévision nationale, touchant le fond de quelques procédures judiciaires.

De même le ministre de la justice, lui-même habitué des réseaux sociaux, à des fins populistes ou de propagande, ne saurait, d’un côté, assurer la couverture médiatique pour soutenir des magistrats aux fins de propagande gouvernementale, et de l’autre, s’en prendre à d’autres optant de se prononcer sur des questions d’indépendance ou de fonctionnement de la justice. Qui ne se souvient pas de son premier point de presse où il disait : « Le ministre de la justice m’a dit que j’ai son soutien et que lui-même a le soutien du président de la république » ?

Monsieur Dramane DIARRA qui n’exerce actuellement aucune fonction juridictionnelle, pour se voir interpeller sur des faits de fautes disciplinaires, professionnelles, ou de manquement aux devoirs de sa charge, dès lors que son chef hiérarchique se dit satisfait de ses prestations et le présente comme un agent exemplaire à tout point de vue, c’est encore le lieu de regretter l’extrapolation du concept du devoir de réserve par le ministre de la justice. Ce concept ne constitue aucunement une entrave à la liberté d’expression du magistrat garantie par les instruments internationaux, la Constitution et le Statut de la Magistrature.

De plus, aucune disposition constitutionnelle ou de loi, n’interdit au magistrat de s’exprimer, de prendre part aux débats publics ou de faire recours aux médias.

Au regard des instruments internationaux, ce concept est loin de servir de moyen de règlement de comptes entre les mains d’un gouvernement ; il recommande essentiellement aux magistrats d’éviter des prises de position politiques partisanes controversées, n’ayant pas de rapport avec l’indépendance de la magistrature, le fonctionnement de la justice, des aspects fondamentaux de l’administration de la justice ou l’intégrité personnelle du magistrat.

Pour l’heure, nous ne voyons pas de raisons pour le conseil supérieur de la magistrature de garder le silence sur des excès aussi graves d’un simple organe administratif tel le bureau de la cour suprême ou d’un ministre de la justice se comportant de façon cavalière pour s’immiscer dans les attributions strictement judiciaires jusqu’à vouloir violer le secret des délibérations. Ce n’est donc pas étonnant qu’il ait pu retenir dans son réquisitoire, en tant que procureur de la république, de morceaux de viande provenant d’un bœuf qui aurait été sacrifié comme élément de preuve dans une affaire aussi importante et grave que celle de tentative ou de déstabilisation du gouvernement.

Aucune disposition constitutionnelle ou législative ne donne une quelconque prérogative au dit bureau ou au dit ministre de statuer sur des prises de position non publiques d’un magistrat, voire les qualifier de manquement aux devoirs de sa charge, de fautes disciplinaires ou professionnelles, ce, dans un rapport, quelle que soit la conduite du magistrat.

Par rapport à ces procédures disciplinaires, initiées sous la passion et à la légère, nous n’avons aucune inquiétude et nous attendons que ces dossiers atterrissent sur la table du Conseil de Discipline, lequel n’est pas un instrument au service des caprices du ministre, pour mieux démontrer, tant le bien fondé de toutes nos démarches, que leur conformité au serment, à l’éthique et à la déontologie du magistrat.

Ce sera encore une occasion de faire passer des messages de nature à permettre à cet organe constitutionnel totalement indépendant du pouvoir exécutif, de sortir de sa léthargie, pour davantage assumer ses responsabilités dans le seul intérêt de la magistrature.

Aussi pour mieux prendre en compte vos préoccupations et interrogations sur ces affaires, j’ai cru utile de mettre à votre disposition, des fragments de l’entretien que j’ai eu avec le membre du conseil en charge du rapport.

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A ce magistrat dont nous ne doutons, encore une fois ni de l’intégrité morale, ni de l’esprit d’indépendance, nous avons également remis tous les documents attestant la conformité de nos associations aux normes internationales que nationales, de même que la reconnaissance à l’échelle universelle de la notoriété de leurs associations internationales de référence: l’UIM et l’AIPP jouissant du statut d’organes consultatifs auprès des Nations Unies, tandis que l’AIPPF, qui a ses bureaux dans les locaux du ministère français de la justice est une organisation partenaire de l’OIF.

Quant au sort du recours exercé contre le décret, le dossier suit son cours au niveau de la section administrative de la cour suprême, de façon appréciable, ladite juridiction est déjà en plein en train de le traiter.

Le collectif de nos avocats, constitué de juristes de haut niveau, tous professionnels avertis, ayant fait leurs preuves tant au plan national qu’international, a accompli un travail remarquable, désintéressé, sous la conduite du Bâtonnier Maitre Kassoum TAPO. Nous restons sereins derrière la plus haute juridiction administrative du pays en laquelle nous sommes en droit de faire confiance.

Nous vous fournirons toutes autres informations utiles en fonction de l’évolution du dossier et dans le cadre de l’indépendance du pouvoir judiciaire, dans un contexte où le gouvernement de transition entend relayer l’institution judiciaire au rang d’organe de la transition, au mépris de la séparation des pouvoirs.

Loin de céder aux menaces, intimidations, brimades administratives, nous restons plus que jamais engagés dans le combat pour l’Etat de droit, la démocratie, la justice et la bonne gouvernance.

Sans nul doute, nous saurons contourner les obstacles pour faire échec aux formes les plus viles de croisade ou de persécution, que les forces rétrogrades ne cessent de concevoir, dans le seul dessein de remettre en cause nos acquis démocratiques.

Vous sachant tous résolument engagés pour la consolidation de l’Etat de droit et des acquis démocratiques, veuillez agréer mes meilleurs sentiments.

Bamako le 23 février 2022
Le Président Cheick Mohamed Chérif KONE

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