Deux ans après l’humiliation nationale de Kidal, l’ancien Premier ministre, Moussa MARA, principal mis en cause dans cette tragédie par l’opinion nationale et internationale, est, plus que jamais, pris en tenailles entre propos contradictoires, exutoires, désaveu de personnalités civiles et militaires et enfin, mis au pilori par les conclusions d’une Commission d’enquête parlementaire qui recommande l’ouverture d’une enquête judiciaire.
Alors que tout le peuple malien était abasourdi par la défaite militaire et le repli de l’armée sur Gao, l’on s’encombrait à peine d’aller au-delà des apparences. Il y avait deux coupables parfaits de ce désastre militaire dont l’une des conséquences est perte de la faible présidence de l’État à Kidal et par conséquent son contrôle par les groupes armés (MNLA, HCUA, MAA). Il s’agissait du ministre de la Défense et des anciens combattants, Soumeylou Boubeye MAIGA et le chef d’État-major général des armées, Général Mahamane TOURE, celui-là même qui a dirigé les opérations militaires lors de la prise de la ville par les rebelles et leurs alliés djihadistes.
Apparences trompeuses
Cependant, les apparences sont trompeuses. SBM le sait très bien. Il sait que la fonction de ministre de la Défense ne fait pas nécessairement de lui le responsable du dispositif sécuritaire qui s’est enrayé à Kidal. Sa démission, le mardi soir 27 mai, soit une semaine après la défaite de l’armée malienne à Kidal face à des groupes armés rebelles, non plus ne suffit à lui faire porter la responsabilité d’une situation qu’il s’est efforcé d’éviter en transmettant les informations utiles à qui de droit.
C’est alors pour remettre les choses à l’endroit, situer toutes les responsabilités qu’en début juin 2014, le désormais ex-ministre de la Défense et des anciens combattants, président de l’Alliance pour la Solidarité au Mali-Convergence des Forces patriotiques (ASMA-Cfp), a demandé l’ouverture d’une enquête parlementaire. « Puisque nous avons des députés à l’Assemblée nationale, dès lundi, ils vont saisir les collègues de tous les groupes parlementaires pour mettre en place une commission d’enquête parlementaire au sujet des événements de Kidal », avait-il annoncé dans une intervention devant un forum des femmes de son parti politique.
Cette décision de SBM, comme on le verra plus tard, avec le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur les Évènements survenus à Kidal, les 17 et 21 mai 2014, occasionnés par la visite du Premier ministre Moussa MARA, va sceller le sort de ce dernier.
Il faut dire, à la suite des députés membres de la Commission d’enquête parlementaire, que les conséquences de cette visite du Premier ministre Moussa MARA, à Kidal sont désastreuses, douloureuses, et humiliantes : tirs d’obus, de roquettes, un véritable arsenal de guerre, ayant entrainé d’importantes pertes en vies humaines parmi les forces armées maliennes et de sécurité (FAMAS), l’assassinat de préfets et sous-préfets, la prise en otage d’agents fonctionnaires de l’État, d’éléments des forces armées maliennes et de sécurité. Et finalement, le rapport de forces, sur le terrain, qui tourne au désavantage de l’État qui doit négocier avec les vainqueurs de Kidal, désormais requinqués à bloc qui ne rateront plus aucune occasion pour tenter d’imposer leur loi.
De toute évidence, de retour à Bamako, MARA n’avait pas pris la pleine mesure des conséquences de sa décision aventureuse de se rendre à Kidal dont il sait que c’est le siège des groupes armés. Et pour cause…
La perfidie
À l’émissaire de la France, Hélène Le Gal, conseillère Afrique de l’Élysée, venue réaffirmer la solidarité et le soutien de la France suite à l’agression criminelle perpétrée à Kidal samedi et dimanche par les terroristes du MNLA et leurs alliés djihadistes, le Président IBK a dit le mardi 20 mai 2014 : « je continue à tendre la main comme je l’ai dit à HOLLANDE convaincu qu’il n’y a pas d’autre alternative à la paix… La voie militaire, je ne m’y engagerais que contraint et forcé. Mais si nous devons y arriver, nous sommes prêts et nous le ferons pour l’honneur de notre nation… Les FAMAs sont et resteront à Kidal. L’armée malienne est chez elle et ne mènera aucune offensive si elle n’est pas provoquée. Nous avons, une armée disciplinée et lui avons instruit de rester vigilante et regardante sur le respect des droits de l’Homme ».
Si le Président IBK a exclu toute impunité pour les auteurs des « crimes odieux », et malgré l’énorme peine qu’il éprouvait ; il n’a pas cessé de prôner le dialogue, de réitérer sa foi aux vertus de ce dialogue.
À l’inverse le Premier ministre, Chef du Gouvernement, Moussa MARA, jouait allègrement le sapeur-pyromane. En effet, lors de la cérémonie de clôture du 3e congrès de la Ligue des prédicateurs du Mali (Lipma), le lundi 19 mai 2014, il a déclaré : « à l’heure où je vous parle (lundi vers 18 h), il y a près de 1000 soldats maliens qui sont arrivés en renfort à Kidal et d’autres renforts sont en route. Les armes dont nous disposons nous permettent de faire de Kidal ce que nous voulons. Nous voulons montrer à l’ennemi de quoi nous sommes capables. J’invite les uns et les autres à ne pas faire d’amalgame et surtout de ne pas attaquer nos partenaires. Nous venons d’avoir une réunion avec eux et ils savent ce que nous leur avons dit. Il faut que Kidal soit libéré de tous les groupes armés ».
Cette déclaration va-t-en guerre contraste nettement avec d’autres du même Moussa MARA qui juge le dialogue indispensable pour la résolution de cette crise du Nord dont il faut convenir qu’elle n’a que trop duré. Et effet, répondant à une question de ‘’VOA’’ sur la situation sécuritaire au Nord de notre pays, il répondait : « Je pense qu’il est incontestable qu’on ne peut pas mettre fin à un conflit de ce type, à une crise assez particulière de ce qui touche le nord de notre pays sans un dialogue. Donc, l’Accord de paix n’est pas en question, en tant que telle. Par contre, c’est la mise en œuvre de l’accord de paix, je pense, qui rencontre encore aujourd’hui quelques difficultés. Vous devez sans doute savoir que ceux qui ont en charge la mise en œuvre de l’Accord de paix au niveau des groupes armés, notamment certains d’entre eux n’ont pas forcement intérêt à ce que la paix revient, puisque c’est un secret de polichinelle de savoir que certains leaders et des groupes armés et d’autres types d’acteurs au nord de notre pays sont des acteurs à part entière du trafic de drogue ; ont des relations plus ou moins ambiguës avec les groupes terroristes ; et sont de manière générale impliqués dans tout ce qui concerne les pratiques et les actions illégales au nord du Mali. Ceux-ci n’ont pas intérêt à ce que la paix intervienne ; puisque la paix signifie le retour de l’autorité de l’État sur le nord de notre pays ; l’ordre et aussi une présence plus marquée des forces armées et de sécurité du Mali. Donc, ceux-ci n’ont pas forcément l’intérêt à ce que la paix revienne ; et ont recours à toutes les manœuvres de sabotage, des actions d’insécurité, des actions d’attaques, etc. pour que le processus de paix déraille. Je pense qu’il faut aujourd’hui que la sécurité soit la priorité absolue et dans la mise en œuvre de l’Accord de paix et dans l’action gouvernementale ; et cela se fasse sous l’égide du gouvernement de notre pays, que les groupes armés qui sont inscrits dans le processus de paix depuis le 20 janvier, l’ensemble des groupes armés, le gouvernement, les forces armées et de sécurité du Mali, mais aussi les forces de la MINUSMA, les forces françaises que toutes ces forces fassent une conjonction pour faire en sorte que de Tombouctou à Kidal, sur l’ensemble du théâtre des opérations au nord de notre pays, la sécurité soit la priorité, sans sécurité la mise en œuvre de l’Accord serait illusoire. Cette action nécessite du gouvernement fortement prenne et exerce le leadership sur les questions de nord de notre pays ». Cette réponse met à nu la perfidie d’un homme qui a certainement beaucoup à apprendre encore, qui doit se forger une personnalité, une vraie, pour pouvoir donner libre cours à ses fantasmes.
La forfanterie
C’est le même Premier ministre qui s’est précipité pour décréter, de façon unilatérale et désinvolte, la guerre aux groupes armés, annonçant l’envoi à Kidal de 1.500 (mille cinq cents) militaires en renfort à Kidal. En soi, cela mérite une mise en accusation devant la Haute cour de justice pour haute trahison (divulgation de secrets militaires), en temps de guerre. Dans aucun pays au monde l’on a vu un responsable lancer sur les antennes l’effectif de renforts.
La forfanterie de l’ancien Premier ministre, MARA, peut être considérée comme d’autant plus blâmable que même lorsque toutes les unités combattantes au Nord, concentrées à Gao, après le repli tactique du camp Amachach de Tessalit, pour des raisons humanitaires, ont été incapables de contenir la bourrasque de la coalition jihado-rebelle.
L’acte est d’autant plus grave également que le nombre des éléments des Forces de défense et de sécurité à Kidal n’était plus qu’un secret de polichinelle. Une petite addition a donc pu permettre à la coalition djihado-rebelle de se faire une idée assez précise de l’effectif des FAMAS qu’elle aura en face. MARA était-il d’intelligence avec l’ennemi ? Il aura du mal à convaincre un jury du contraire.
Il peut aussi être reproché à MARA que par son indiscrétion, aux allures de trahison, il met en danger la vie de soldats qui peuvent tomber dans des embuscades ; leur nombre et leur itinéraire étant connus. Mieux que quiconque, il doit savoir que la fourniture d’informations à l’ennemi est passible de peine. Pourtant, il l’a fait. À quel dessein ? Lui et ceux qui en ont tiré profit, seuls, peuvent le savoir.
Affligeantes contradictions
Au cours de son audition, le Premier ministre, Moussa MARA, déclara ceci : « la réponse de l’État, en représailles à l’agression des groupes armés, sera à hauteur de celle-ci ». Même s’il s’en défend, il est indéniable que Moussa MARA a un comportement de va-t’en guerre, depuis le début des affrontements. Pataugeant dans ses réponses, Moussa MARA déclara que « l’armée malienne n’a pas reçu l’ordre politique pour lancer les hostilités du 21 mai 2014 ». Ainsi, lui qui est un responsable politique qui a déclaré la guerre, annoncé l’effectif du renfort, n’a rien à voir avec l’opération militaire. Ainsi, l’armée malienne est si indisciplinée que sans ordres politiques aucun, elle déploie des renforts, déclenche des hostilités. Le Président IBK se vantait pourtant d’avoir une armée disciplinée qui saura être vigilante et regardante sur les droits de l’Homme.
Pourtant, c’est Moussa MARA qui écrit dans sa défense intitulée ‘’Moussa MARA sur sa visite à Kidal’’ : ‘’je comprends et je soutiens l’initiative des forces armées pour récupérer le symbole de souveraineté qu’est le gouvernorat. Je trouve tout à fait normal qu’elles agissent de la sorte en tant que soutien principal de l’État et défenseur de son intégrité et de sa souveraineté’’. Ça, c’est le discours d’un spécialiste du double langage. Il n’y a pas eu d’ordre politique, mais, lui, il soutient tout de même l’initiative solitaire des FAMAS. N’est-ce pas là une caution morale ? Si ce n’était que cela.
En fait, la valse de MARA n’est pas si difficile à comprendre. Il essaie d’allier deux impératifs. D’une part, il protège le Chef en soutenant que l’armée malienne n’a pas reçu d’ordre politique ; de l’autre, il se protège en faisant valoir que sa visite à Kidal était dictée par un ordre du Chef. Mais entre les deux impératifs, il se trahit en soutenant l’initiative des Forces armées et de sécurité.
Non ! Franchement, quand on a bravé l’ensemble de ses services compétents ; le monde entier (MINUSMA), pour se rendre à Kidal, il faut avoir le courage d’assumer les conséquences de sa décision hasardeuse. C’est cela qu’on attend d’un chef ; pas de sacrifier ses subalternes. Manifestement MARA n’a pas ce cran.
Hanté par les dizaines de morts de Kidal, en proie à une polémique qui ne désenfle pas, MARA est réduit à un exercice perpétuel d’auto-justification. Ce qu’il a fait sur sa page Facebook, en réaction à une énième polémique. Mais, il apparait qu’il y altère outrageusement la vérité et que même la rigueur dans le raisonnement dont ses sympathisants l’affabulaient semble l’avoir abandonné. En effet, dans ce que l’on doit considérer comme le mémoire en défense de celui par qui sont arrivés tous les malheurs, il écrit : « pendant notre séjour à Kidal, nous n’avons jamais demandé ou bénéficié de protection de Serval et nous n’avons jamais eu affaire à eux. Deux de leurs hélicoptères étaient constamment dans le ciel de la ville, sans aucun rapport avec nous. Sur le sol, j’ai refusé le véhicule blindé de la Minusma pour emprunter la Prado du gouverneur avec ce dernier, pendant tous les trajets, y compris à notre entrée dans le gouvernorat sous le feu des groupes armés ».
Il y a là un flagrant délit de mensonge de la part de cet ancien Premier ministre qui, à force de vouloir arranger les faits, se couvre de ridicule en étalant au grand jour son manque de cohérence, de logique. Et pour cause, le même MARA qui écrit n’avoir rien demandé ou rien obtenu est le même qui écrit, dans le même document : « (…) Et là, nous avons une première surprise, la MINUSMA a refusé de nous accompagner au motif que des tirs sont en cours et qu’ils ne peuvent pas utiliser leurs véhicules blindés ». Point besoin d’être une foudre d’intelligence pour comprendre que pour que la MINUSMA refuse de transporter le PM dans son unique blindé disponible, il faut qu’il y ait au préalable une demande, dans ce sens. Donc, il y a bel et bien eu demande des véhicules blindés à la MUNUSMA qui a opposé une fin de non-recevoir.
Une autre preuve d’altération de la vérité ou de manipulation frauduleuse des faits se trouve dans le récit même de Moussa MARA de sa visite à Kidal. Il déclare : « À notre arrivée, il y a eu pas mal de va-et-vient et des changements de dernière minute pour nous suggérer de ne pas sortir du Camp de la MINUSMA et de faire toutes nos rencontres à la MINUSMA ». C’est à croire que M. MARA prend les Maliens pour des oies sauvages. Il voyage à bord d’un hélicoptère de MINUSMA ; dans un premier temps il est dissimulé au camp de la MINUSMA qu’il quitte pour se rendre au Camp 1 de l’armée malienne, sous escorte des FAMAS et de la MINUSMA, au gouvernorat, et ensuite passer la nuit au Camp n° 1 sous la protection de l’armée malienne. Il reconnaît qu’à « un moment donné, vers minuit, quelques forces de la Minusma, sans que nous l’ayons demandé encore une fois, sont venues se poster aux alentours du camp de l’armée malienne ». MARA devait avoir au moins l’honnêteté intellectuelle, de la reconnaissance, pour témoigner de l’accueil de la MINUSMA et des dispositions qu’elle a bien voulu prendre pour prêter main-forte à nos Forces armées et de sécurité à toutes les phases de sa visite, excepté l’affrontement entre les FAMAS et la coalition djihado-rebelle. Ce d’autant plus qu’elle n’y était pas du tout obligée et qu’elle a prévenu des risques de cette mission périlleuse.
Un précédent
Avant lui, et dans un scénario identique, un autre Premier ministre, le premier d’ailleurs de l’ère IBK, Oumar Tatam LY, a renoncé à se rendre à Kidal. À la question de ‘’L’Essor’’ de savoir qu’est-ce qui s’est réellement passé à Kidal pour qu’il renonce à s’y rendre, il a ainsi répondu : « Tout d’abord, l’avion du Premier ministre n’a pas été empêché d’atterrir pour la simple raison que l’avion n’a pas quitté Gao. Nous avions eu, tôt le matin, l’information selon laquelle, il y avait un attroupement à l’aéroport et que des incidents étaient en cours. Ces incidents étaient de nature à assombrir le cours de la visite. Donc, très tôt, avant même 10 heures, j’ai pris la décision de surseoir à mon déplacement à Kidal.
Les incidents qui ont eu lieu à Kidal soulèvent plusieurs questions. La première étant de savoir, en ce qui nous concerne, pourquoi il n’a pas été mis en place un dispositif de sécurité approprié à une visite pour laquelle la Minusma, responsable de la sécurisation de la ville, avait été informée. Cette absence de dispositif est la première interrogation. Pour le reste, les forces armées et de sécurité ont fait l’objet de jets de pierre par des femmes et des enfants. Elles ont également essuyé des tirs dont nous nous interrogeons sur l’origine. Elles ont répondu par des tirs de sommation. Des investigations qui doivent nous permettre d’avoir une vue plus précise ont été ordonnées. Les éléments que nous avons reçus de sources non maliennes présentent tout de même des incohérences qu’il nous faudra souligner ».
L’ex PM Oumar Tatam LY, en ajournant sa visite, a démontré qu’il avait la carrure d’un chef, qu’il était quelqu’un qui apprécie avec lucidité une situation à partir des informations dont il dispose et des faits réels pour prendre la décision qui s’impose. À l’occasion, il a su faire montre de prudence Contrairement à lui, Moussa MARA, qui croyait tenir l’occasion inespérée pour rentrer dans l’histoire, a choisi la carte du forcing, comme si c’était une question de vie ou de mort que de se rendre à Kidal. Ce alors que, révèle les Conclusions de la Commission d’enquête parlementaire : ‘’l’évaluation de la situation à l’époque n’était pas bonne avec la présence massive d’éléments armés venus pour les congrès du MNLA et du HCUA et un forum qui devait être organisé avec les Mohamed Ag Intallah et que le Premier ministre a contribué à hauteur de 15 ou 17 millions. Mohamed Ag Intallah aussitôt arrivé à Kidal a téléphoné au Premier ministre pour dire que la situation n’était pas bonne et de ne pas venir à Kidal’’. Dans le rapport de la division des droits de l’homme de la MINUSMA sur les événements de mai 2014 à Kidal, il est écrit : ‘’cette victoire rapide des groupes armés peut-être s’expliqué par le nombre important d’éléments du MNLA, HCUA et MAA qui se trouvaient alors en ville pour assister au congrès de l’Azawad’’. Un des trois témoins qui ont évoqué la possible présence de terroristes est cité dans le rapport de la Commission des droits de l’Homme : « Je pense que les assaillants étaient issus de plusieurs groupes armés, car ils avaient des drapeaux noirs avec des Écritures saintes et des drapeaux blancs avec un carré contenant des Écritures saintes… Aussi, ce qui m’a étonné était que certains avaient de longues barbes, portaient un gilet et ressemblaient à des djihadistes ».
La fourberie
Devant la Commission d’enquête parlementaire, le Premier ministre, Moussa MARA, a déclaré au cours de son audition : «Dès ma nomination le 5 avril 2014, nous avons convenu avec le Chef de l’État de la nécessité que Kidal ne soit pas distingué des autres Régions par rapport à notre activité, et que les tournées régionales – et même souvent locales – à engager par le Premier ministre doivent concerner aussi la région de Kidal». À croire M. MARA, ce qui est arrivé à Kidal n’est absolument pas de sa faute. Il ne faisait qu’obéir aux ordres du Chef comme cela se fait dans une caserne, sans murmures ni hésitations. Mais ? C’est simplement pathétique comme défense de la part d’un aussi grand intellectuel, Premier ministre, Chef du Gouvernement.
Ce rappel de MARA visant à insinuer que sa visite à Kidal rentrait strictement dans le cadre de l’exécution d’un ordre du président de la République n’est pas sans rappeler la réaction d’un enfant pris sur les faits : ce n’est pas moi ; c’est lui. Ce n’est jamais lui, parce qu’il n’a pas encore appris à prendre ses responsabilités ; donc, il panique et impute la faute à l’autre qui est censé pouvoir le faire. Voici la lamentable posture qu’a adoptée celui qui prétendait, en 2013, présider aux destinées de ce pays.
En ce qui est de la Commission d’enquête parlementaire, son commentaire de cette piteuse déclaration est sans appel. Pour les honorables députés qui ont auditionné Moussa MARA, il est clair que celui-ci cherche à se dérober en usant d’arguments peu crédibles et des arguties. Il est vrai qu’ils ne l’ont pas dit ouvertement, mais en lisant entre les lignes, c’est le manque de crédibilité de l’auteur même de ces propos dont il est question.
Pour la Commission d’enquête parlementaire, ‘’l’expression d’une volonté ou d’une orientation politique ne peut justifier sa mise en œuvre, tous azimuts, sans discernement. Le Premier ministre est le chef de l’exécutif, de l’administration publique et responsable du maintien des règles et normes de bonne gouvernance, pour la mise en œuvre de l’orientation politique du président ou de son programme politique.
En raison de la situation spécifique qui prévalait à Kidal, cette ville et l’ensemble de la région ne devaient pas être une priorité, dans les visites envisagées par le chef du gouvernement, pour s’enquérir du fonctionnement de l’administration publique, et des services rendus aux administrés, suivant les vœux du Président de la République.
En dépit de toute volonté politique et de déclaration sur le respect de l’intégrité du territoire national et de l’unité nationale, le statut actuel de Kidal est une exception au sein de la République, pour entre autres raisons :
– L’existence de l’accord de cessez-le-feu conclu à Ouagadougou au Burkina Faso, entre l’État malien et les groupes armés
– Le cantonnement des FAMAS, au même titre que les groupes rebelles armés en application dudit accord et de son respect ;
– La présence de forces internationales étrangères (MINUSMA et SERVAL) ;
Aussi, faut-il rappeler la justesse de l’application de la politique de ses moyens. En effet, pour la visite à Kidal, le chef du gouvernement comptait sur l’appui des forces internationales sur place, qui ne sont pas obligées, ni sous l’autorité du gouvernement.
Les motifs évoqués par le Premier ministre, Moussa MARA, pour justifier sa visite à Kidal, à savoir « l’instruction du président de la République d’organiser des visites sur terrain, s’enquérir du fonctionnement de l’administration et de la qualité des services rendus aux citoyens » ne revêtent pas un caractère sérieux et crédible, au regard du risque porté par l’État, et des dégâts collatéraux comme conséquence.
Résolument engagé dans une logique de fuite en avant, MARA déclare, dans son mémoire en défense : « Les hostilités ont été ouvertes par les groupes armés présents à Kidal qui ont attaqué le gouvernorat pendant que nous y étions, ont poursuivi leurs attaques au moment et après notre départ (…) ». Une façon, à peine dissimulée, de dire que je n’y suis pour rien ; ce sont eux les rebelles qui sont les instigateurs de la violence. Tout ce qui est arrivé est de leur faute. Comme si cela suffisait à occulter sa responsabilité personnelle, non pas en tant que Chef du Gouvernement, mais en tant que Moussa MARA, obnubilé par la récupération politique qu’il pourrait faire de cette visite qui s’inscrirait dans les annales de l’histoire de notre pays. On ne parle pas de sa responsabilité comme Chef du Gouvernement parce qu’en tant que tel, il aurait mesuré les risques qu’il ferait courir à l’État et renoncer à cette visite qui n’était ni urgente ni opportune.
Pensait-il qu’il était plus brave qu’Oumar Tatam LY, comme pour le tigre, qui voulait être roi, plein de certitudes, aller provoquer le lion dans sa tanière ? Voici un résumé de l’éditeur de ‘’Le tigre qui voulait être roi’’ de JAMES THURBER : ‘’Un beau matin, dans la jungle, le Tigre déclare à sa compagne : « Ce soir, à la tombée du jour, je serai le roi des animaux ! » Plein de certitudes, il s’en va provoquer le Lion dans sa tanière, déclenchant la fureur de celui-ci et entraînant tous les animaux dans une terrible bataille. Partisans du Tigre, partisans du Lion, batailleurs par principe ou par la force des choses s’affrontent ainsi férocement jusqu’au coucher du soleil, sans toujours se souvenir des raisons de leur colère. Quand la lune se lève enfin, le Tigre est vainqueur, mais il ne reste qu’un macao et un cacatoès pour pleurer sur les ruines’’. Dans le cas du tigre MARA, il ne restait plus personne pour pleurer sur les ruines ; même les corps des soldats calcinés dans leur BTR n’ont été récupérés que deux jours après la débandade des FAMAS.
Pourquoi MARA n’a pas pris la même décision censée que son prédécesseur Oumar Tatam LY de surseoir à sa visite ? Il ne pouvait pas le faire, parce que ce qui compte à ses yeux ce n’était pas l’État, contrairement à ce qu’il tente de faire croire (s’enquérir des conditions de travail des serviteurs de l’État n’était que la courte échelle pour parvenir à ses fins politiques) ; mais les dividendes politiques de sa visite à Kidal. À l’évidence, Moussa MARA a bien compris cette réflexion de Achille Tournier : ‘’la politique est le seul métier qui se passe d’apprentissage, sans doute parce que les fautes en sont supportées par d’autres que par ceux qui les ont commises’’.
Moussa MARA, dans sa défense, écrit : ‘’le principe de ce déplacement a été soutenu par tout le pays, je rappelle que le député Mody Ndiaye de l’opposition a été parmi les premiers à me demander à l’Assemblée nationale quand est-ce que je partirais à Kidal (…)’’. Pour ce qui est de Mody N’DIAYE, la réaction a été cinglante : il n’a jamais demandé à Moussa MARA de se rendre à Kidal sachant la situation qui y prévalait. C’était donc à l’ancien Premier ministre d’apporter la preuve de ses affirmations. Ce qu’il n’a pas fait à ce jour. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a simplement pas intérêt. Si quelqu’un lui a demandé à quand une visite à Kidal, il est peu probable que ce soit le député cité. MARA sortant de son amnésie a certainement dû se rendre compte de sa méprise et faire l’impasse sur la question dont la réponse aurait pu crédibiliser un peu sa défense.
Le principe de la visite a été soutenu par tout le pays ? Il y a là une terrible confusion de la part de Moussa MARA, parce qu’un député de l’Opposition qui cherche plutôt à ridiculiser le régime est loin de représenter l’Assemblée nationale. Sa seule voix n’est pas celle du Mali, et ne peut l’être. Sur ce coup, Moussa MARA a tiré à terre.
L’obstination
Comme mû par une force irrésistible, MARA à qui il a été fortement déconseillé de se rendre à Kidal, dans le contexte d’hostilité qui y prévalait, ne pouvait pas s’arrêter en si bon chemin une fois arrivé dans la ville. Ainsi, écrit-il : ‘’nous avons dit à la MINUSMA pas de souci, nous allons utiliser les véhicules du gouvernement malien. Et on a pris ces véhicules pour partir’’. La MINUSMA a décidé de ne pas se rendre au gouvernorat (où certains de ses éléments assuraient pourtant la garde) où devait se tenir la rencontre avec l’administration pour des raisons objectives et évidentes. Elle savait qu’en y allant, la délégation s’exposait au pire : ça tirait de partout et la ville était infestée d’un nombre important d’éléments rebelles et djihadistes.
MARA aussi le savait d’ailleurs parce qu’outre les informations du ministre de la Défense et des anciens combattants, sur la foi du BRQ du renseignement militaire, de la MINUSMA ; GAMOU qui a fait deux sorties périlleuses en éclaireur lui avait clairement signifié de renoncer à se rendre au gouvernorat. Pour autant, selon le rapport d’enquête parlementaire, il a demandé au chef d’État-major général des armées (CEMA) d’insister pour qu’il puisse effectuer ce déplacement du gouvernorat pour rencontrer l’administration. Venant d’un Premier ministre et d’un CEMA, c’est un ordre. Et GAMOU et ses compagnons l’ont exécuté.
Moussa MARA était parfaitement au courant de la situation explosive qui régnait d’autant plus que lui-même dit dans son récit des événements : ‘’au moment où nous partions (Ndlr : au gouvernorat où devait se tenir la rencontre avec l’administration), on a appris que les forces des groupes armés qui pullulent dans la zone et qui n’ont pas de dénomination précise (tantôt MNLA, tantôt HCUA, tantôt AQMI ou djihadistes), mais qui travaillent main dans la main ont décidé de s’en prendre au gouvernorat quand on a décidé d’y aller. On s’est dit qu’à cela ne tienne, nous partons’’. Il faut remarquer que le « on » dont l’ancien PM fait usage à rebuter ne recouvre pas un groupe ; ne reflète pas une décision concertée. Le « on » comme le « nous » qu’on retrouve à tous les coins de ses récits sont limitatifs à sa seule personne. C’est lui qui a décidé d’aller au gouvernorat sous le feu des armes de l’ennemi. Les Forces armées et de sécurité, en infériorité numérique (moins de 400 contre environ 1 500 éléments rebelles), avec des équipements légers (conformément aux dispositions de l’Accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali, de Ouagadougou, du 18 juin 2013. L’article 11 dudit Accord stipule en effet : ‘’(…) Dans le cadre du processus de désarmement qui sera finalisé après la signature de l’accord global et définitif de paix, les groupes armés signataires s’engagent à procéder, sans délais, au cantonnement de leurs éléments, sous la supervision et avec le soutien de la MISMA/MINUSMA, ainsi que le concours initial de la Force Serval, dans des sites définis conjointement ; le déploiement progressif des Forces de Défense et de Sécurité maliennes dans la région de Kidal dès la signature du présent Accord, en étroite coopération avec la MISMA/MINUSMA et la Force Serval. Ce déploiement comprendra la mise en place sans délai des premiers éléments des Forces de Défense et de Sécurité à Kidal, conjointement avec la MISMA/MINUSMA et la Force Serval’’. Ceci explique le sous-effectif des FAMAS à Kidal lors de la visite de MARA.
Ce qu’il faut par ailleurs souligner, c’est qu’en se rendant à Kidal, le PM Moussa MARA a pris sur lui la lourde responsabilité de violer l’article 15 de l’Accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali qui stipule : ‘’Les Parties s’abstiennent de tout acte et de tout propos qui seraient de nature à compromettre le processus de paix. Elles prendront toutes les mesures nécessaires pour renforcer la confiance et la cohésion nationale’’.
En se rendant à Kidal, le Premier ministre, Moussa MARA, qui n’est pas sans connaître les dispositions de l’Accord de Ouaga, a volontairement compromis le processus de paix en cours. Pis, l’État, qui était en position de force dans ce processus, se retrouve dans celle du vaincu.
L’hétérodoxie
Pour ce qui est de sa défense, le Premier ministre a soutenu devant la Commission d’enquête parlementaire : « Personne, parmi ceux qui ont eu la charge de préparer notre visite, ne nous ont pas informé de menaces armées sur notre visite ».
Pourtant, dans le rapport de la division des droits de l’homme de la MINUSMA, sur les événements de mai 2014 à Kidal, il est noté : ‘’en raison des tensions existantes, la MINUSMA avait conseillé au Premier ministre de ne pas se rendre à Kidal, avant que le gouvernement ait envoyé une mission technique de préparation’’.
Le chef d’État-major Général des Armées, le Général Mahamane TOURE, a déclaré dans son audition : ‘’avant la visite du Premier ministre, j’ai été informé par le Général Foucaud et le Général Kazahura, que la visite du Premier ministre devait être mieux préparée sur le plan politico sécuritaire, car les groupes armés n’y étaient pas favorables. Cette information a été donnée après que le Général Foucaud ait consulté les groupes armés. Le ministre de la Défense en a été informé’’.
Pour sa part, le ministre de la Défense et des anciens combattants, monsieur Soumeylou Boubeye MAIGA, dans son audition, a déclaré : « Pendant la période du 30 avril jusqu’à la veille du départ de la délégation, on avait constaté qu’il y avait un afflux régulier d’éléments armés de plusieurs obédiences qui venaient dans la ville de Kidal. Parallèlement, les forces internationales – Serval et Minusma – étaient assez réservées sur la visite du Premier ministre, estimant que, compte tenu de l’afflux d’éléments armés, l’opportunité de la visite posait problème. Le Premier ministre le savait, car en avait été informé. Pourtant, pour une ambition personnelle, il a choisi de tenter le diable.
Le fait
Après avoir mené de jeunes soldats qui n’ont jamais tiré une balle, depuis leur sortie des centres d’instruction, à la boucherie, MARA à l’indécence de déclarer dans son mémoire en défense : ‘’je ne me suis jamais excusé de quoi que ce soit dans ce dossier et je ne le ferais pas’’. En réalité, les Maliens ne s’attendent pas à ce qu’il se rabaisse au point de présenter des excuses aux familles des victimes et à la Nation entière qu’il a humilité. Pour lui, les actes de bienfaisance à l’endroit des plus démunis, depuis une quinzaine d’années, le mettent au-dessus de l’obligation de présenter des excuses à ceux à qui il a fait du mal. Cela, au-delà d’une reconnaissance de culpabilité, est une démarche de modestie, d’humilité. Mais cela est au-dessus des forces de MARA qui préfère défier les Maliens en soutenant : ‘’j’ai enfin dit que je suis un justiciable comme n’importe lequel d’entre nous, je reste disponible pour répondre devant n’importe quelle juridiction au sujet de ce dossier”. Ce que MARA omet de dire, c’est qu’au stade la justice, il n’est plus question de simple disponibilité, c’est une obligation d’aller s’expliquer sous peine d’être embarqué manu militari. C’est d’ailleurs en toute connaissance de cause qu’il s’est empressé d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle de 2018. “Je suis prêt à me lancer dans la bataille présidentielle, même si IBK y participe”, a confié MARA, à nos confrères de Jeune Afrique. Nul n’est dupe : cette candidature consiste à faire le lit à la victimisation. Pour les moins avisés, le jugement sera : IBK a arrêté un des plus sérieux candidats à l’élection présidentielle suscitant une vague de sympathie à l’endroit d’un Premier ministre dont les fruits ont été loin de tenir la promesse des fleurs à la tête du Gouvernement. Comme quoi, c’est à l’ouvrage qu’on reconnaît l’artisan.
Par Bertin DAKOUO
Source: info-matin