C’est tout lui, ça. Mardi 18 octobre, après trois semaines de blocage des raffineries et des dépôts de carburants, Patrick Pouyanné était « fatigué ». Fatigué d’entendre répéter en boucle qu’il « s’était augmenté de 52 % en 2021 ». Alors, le PDG de TotalEnergies a « balancé » un tweet. Comme ça, tout seul dans son coin. Cette augmentation de 2021, a-t-il justifié, visait à faire revenir sa rémunération à son niveau normal de quelque 6 millions d’euros annuels, car il l’avait « volontairement » réduite en 2020, année du Covid-19.
Le patron pensait rétablir une vérité mathématique. Il s’est fait clouer au pilori. Raillé par les élus de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) en chœur, étiqueté « hors-sol » par Laurent Berger, le patron de la CFDT. Même le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, qui s’est appliqué, pendant le conflit, à tancer à égalité grévistes et direction de TotalEnergies, a appelé les patrons à faire preuve d’une « décence élémentaire ». « La France est une société étrange dans laquelle je devrais avoir honte et m’excuser de ce que je gagne » – Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies
Face à cette indignation générale, beaucoup éluderaient, évoqueraient un moment d’égarement. Pas Patrick Pouyanné. « Je ne suis pas hors-sol, c’est juste que je ne supporte pas la mauvaise foi. C’est bien pour ça que j’ai choisi l’entreprise plutôt que la politique », déclare au Monde l’industriel qui fut conseiller d’Edouard Balladur à Matignon (1993-1995) et directeur de cabinet de François Fillon au ministère des technologies de l’information (1995-1997), avant d’entrer chez Elf Aquitaine il y a vingt-cinq ans. Et d’en rajouter avec gourmandise dans la provocation : « Au moins, on ne parle plus des 52 %, le débat s’est déplacé sur le montant en valeur absolue de ma rémunération. J’assume. La France est une société étrange dans laquelle je devrais avoir honte et m’excuser de ce que je gagne. »
« Dialogue de sourds »
A 59 ans, celui qui dirige, depuis 2014, la quatrième major mondiale est devenu une figure publique clivante. Avant même le coup de la pompe, il a été mêlé, cette année, à toutes les secousses de la société, de l’invasion de l’Ukraine à la crise énergétique, de la taxation des superprofits à l’urgence climatique.
Au temps des « Guignols de l’info », ce polytechnicien taillé comme un deuxième ligne de rugby aurait eu sa marionnette, comme le célèbre « J6M », pour « Jean-Marie Messier moi-même maître du monde », l’ancien patron de Vivendi. Nul doute, le PDG de TotalEnergies aurait été croqué par l’émission culte de Canal+, en colosse tout droit sorti de Tintin au pays de l’or noir, genre keffieh et jerrican, rebaptisé « 6P » (« Patrick Pouyanné pétrole pollueur profits Poutine »). A la place, il a hérité d’un hashtag, où l’on compare le ratio « apport à la société sur rémunération » d’un chef d’entreprise et d’un footballeur.