Dans cette interview, le reggaeman ivoirien, Tiken Jah Fakoly, estime que les jeunes africains doivent rester dans leur pays et se battre pour le changement. Pour lui, au Mali la solution ne viendra que des Maliens.
C’est dans son hôtel, en banlieue parisienne, que je rencontre Tiken Jah Fakoly, ce mercredi 4 décembre, le soir. Cette nuit, il va se reposer, avant d’aller vers d’autres concerts dont les dates s’étalent jusqu’au 28 décembre. C’était la seule soirée de libre entre ces dates.
C’est un homme grand, avec ses dreadlocks reconnaissables de loin qui nous rejoint dans un coin du salon de l’hôtel. C’était ainsi parti pour deux heures de discussion, qui se sont achevées par l’interview qui va suivre. Tiken s’est adressé aux Congolais, aux Burundais, aux jeunes du Mali et à ceux qui sont tentés par l’immigration.
Pour lui, la solution au Mali ne sera que malienne et la lutte doit continuer en République démocratique du Congo. Il ajoute que les présidents africains, qu’il qualifie de « pantins », devraient s’inspirer de Paul Kagamé pour développer leur pays. Et que les migrations étaient une mauvaise idée, car l’Afrique est le continent de l’avenir.
Rodriguez Katsuva : Concernant la situation au Mali, quel serait votre message pour les jeunes, pour les dirigeants et aussi celui pour les citoyens maliens en général ?
Tiken Jah Fakoly : Je pense que le problème du Mali doit être réglé par les Maliens. Quand un pays est en guerre, on arrête tout et on fait la guerre ! C’est comme ça que, quand la France était en guerre, tout le pays s’était arrêté pour se consacrer à la guerre. Les usines ne fabriquaient plus rien qui ne soit pour la guerre. Mais aujourd’hui, quand on est à Bamako, on ne sent pas que le pays est en difficulté. Je pense qu’il faut que le Mali mette un accent sur la mobilisation des jeunes. Qu’il y ait des financements pour former des jeunes qui voudraient intégrer une armée qui va défendre le pays. Il faut que les soldats maliens soient bien traités, bien équipés et bien entraînés, parce que les forces étrangères ne sortiront pas le Mali de cette situation. Le changement ne viendra que quand les jeunes vont se montrer déterminés, prêts à défendre pays. Mais il ne faut pas compter sur les dirigeants. La plupart de nos dirigeants en Afrique ne décident de rien. C’est Paris, Washington, Moscou ou Pékin qui décident. Heureusement que le Mali est doté d’une société civile très forte, c’est une énorme chance. Ce qui veut dire qu’il a une jeunesse éveillée. Maintenant, c’est difficile à dire, mais il est temps que les jeunes aillent faire la guerre. Je le répète, quand on est en guerre, tous les projets doivent s’arrêter et on ne doit concentrer les efforts que sur cela. Quand le pays sera libéré, on aura maintenant le temps pour des projets de développement. Si le Mali d’aujourd’hui ne sera pas développé par sa jeunesse, il va au moins être libéré par elle. Ainsi, la prochaine génération va pouvoir développer un Mali libéré et qui jouit de l’intégralité de son territoire.
Mais aujourd’hui, quand on est à Bamako, on ne sent pas que le pays est en difficulté. Je pense qu’il faut que le Mali mette un accent sur la mobilisation des jeunes, qu’il y ait des financements pour former des jeunes qui voudraient intégrer une armée qui va défendre le pays
En République démocratique du Congo, il y a eu un premier transfert de pouvoir pacifique. Pensez-vous que c’est la fin du combat pour les activistes et militants ?
Il y a encore beaucoup à faire. Mais, en même temps, il faut saluer le courage des activistes congolais, notamment de Luc Nkulula, que l’on n’oubliera jamais. Mais le combat n’est pas fini. Il faut continuer à rester sur ses gardes, à dénoncer ce qui ne va pas, à se mobiliser et à appeler à l’unité. Certes, c’est dur à faire. Mais, c’est uniquement quand tout le peuple sera uni que les dirigeants auront un vrai respect envers les populations. Sinon, ils vont continuer à mal gouverner. Le combat doit continuer.
C’est quoi l’idéal pour un militant ? Quand est-ce qu’un activiste peut-il dire que le combat est fini ?
Tant que le combat n’est pas terminé, je pense que c’est jusqu’à la mort qu’un vrai militant arrête de se battre. Je m’inspire souvent du combat des activistes aux États-Unis pour faire tomber les barrages culturels de l’époque. Ou encore en Allemagne où des personnes se sont battues pour que le mur de Berlin tombe. Tant que le combat n’est pas fini, il faut continuer à se battre.
Au Burundi, nous avons aussi un projet focalisé sur la jeunesse et les libertés d’expression. Quelle est votre compréhension de la situation actuelle de ce pays ?
L’image que nous avons du Burundi est celle d’une dictature. On a vu beaucoup de nos camarades militants des droits humains assassinés. Des activistes sont partis en exil, parce qu’ils ne voulaient pas le changement de la constitution. Et j’ai même fait une vidéo pour apporter mon soutien aux Burundais.
Et le Rwanda ?
Je trouve que le Rwanda est un pays qui est bien dirigé. Un pays qu’on cite en exemple dans la lutte contre la corruption. La propreté des villes est exemplaire dans toute l’Afrique. J’ai traversé le Rwanda en allant à Goma, en RDC. J’ai vu aussi le peuple au boulot. J’ai vu des images que je ne vois plus en Côte d’Ivoire. Quand j’étais petit, je voyais des hommes venir du champ, avec du riz sur leurs vélos. Mais je ne vois plus ça. J’ai vu cela au Rwanda. Je crois qu’ils doivent avoir moins de problèmes alimentaires. Leur président a été pragmatique. Il savait où il allait. Il ne fait pas l’unanimité, et heureusement, sinon cela nous aurait effrayés. Car dans un pays, il faut des gens qui disent le contraire, qui contrôlent l’action du gouvernement. Je pense que les dirigeants africains sont en train de chercher des exemples à suivre ailleurs, alors qu’ils en ont tout près : le Rwanda ! Les dirigeants n’ont qu’à aller voir comment Kagamé fonctionne et s’inspirer de lui. Le Rwanda revient de loin, c’est même pour ça que tous les activistes africains laissent Kagamé tranquille. Le Rwanda est un pays que j’ai vraiment aimé.
Travail, autosuffisance alimentaire… On ne peut parler de cela sans évoquer la question de l’immigration. Que dites-vous au sujet de ces jeunes qui affrontent la mer, au péril de leur vie, pour rejoindre l’Europe ?
Il faut affronter la situation chez nous. Ils ont des raisons de partir, mais il faut décourager ces départs. Par exemple, prenez un jeune ivoirien, qui décide de partir parce qu’il y a la corruption ou la mauvaise gouvernance. Il travaille en Europe et, vingt ans après, veut rentrer investir dans son pays natal. Il trouvera les mêmes problèmes sur place. Donc, pour moi il faut rester, se battre pour changer les choses. Je me suis toujours demandé que seraient nos nations si nos ancêtres étaient aussi partis. A l’époque, il suffisait d’une simple autorisation pour partir. Mais ils sont restés, se sont battus pour nos indépendances. Maintenant, que faisons-nous de cet héritage ? Quand on prend un avion pour n’importe quelle destination en Afrique, on y rencontre de tas d’investisseurs blancs. S’ils viennent autant, c’est parce que ça sent bon chez nous. C’est parce qu’il y a des opportunités. Alors on devrait être les premiers à se servir de ce que peuvent offrir nos pays en termes d’opportunités. Aujourd’hui, tout le monde sait, à part les africains, que l’Afrique est le continent de l’avenir.
Quand je regarde d’où viennent ces pays, comme la France, je me dis que rien ne pourrait nous empêcher de faire pareil. Ils nous ont certes pillés, volés. Mais, il y a quelques années, la France était un pays de paysans, qui tiraient des charrettes. Ils sont venus de quelque part. Si Charles de Gaulle était resté dans son hôtel à Londres, on parlerait allemand ici en France. Ils sont venus de quelque part. Nous le pouvons aussi.
Source : benbere