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Tiéman Hubert Coulibaly : «Nous apprécions le travail qui a été fait par la Cedeao»

Dans cette interview, le président de l’union pour la démocratie et le développement (UDD) se prononce sur les recommandations formulées par la Cedeao, en vue de la résolution de la crise que traverse notre pays. L’ancien ministre évoque également les récents développements de la crise sociopolitique.

L’Essor : Pensez-vous que les recommandations formulées par la Cedeao, au terme de sa mission, pourront apporter des solutions à la crise sociopolitique qui secoue le pays ?

Tiéman Hubert Coulibaly : Il s’agit de la deuxième mission. Il y a d’abord eu une mission ministérielle qui est venue dans un cadre exploratoire et qui avait formulé des conclusions avec un certain nombre de recommandations. Nous pensions que ces recommandations de la Cedeao étaient une base crédible de travail pour les parties maliennes. Au sein de l’ARP (Action républicaine pour le progrès), en accord avec les autres organisations politiques de la mouvance présidentielle, nous avions prescrit qu’un cadre de dialogue fut créé avec le M5-RFP, de manière à explorer les voies de solutions parce que nous ne pouvons pas ne pas nous parler. Il faut savoir que la contestation des résultats proclamés par la Cour constitutionnelle a été portée aussi par des partis de la majorité présidentielle. Au moins, sur ce plan, il y a un accord, il y avait donc là, peut-être, une opportunité de se parler et d’essayer de trouver des solutions ensemble.

La divergence fondamentale concerne la démission demandée du président de la République. Nous avons dit que cela ne pouvait pas être envisagé, le président doit conduire son mandat jusqu’à son terme. Je pense que nous avons eu assez de traumatismes dans notre pays lié aux changements anticonstitutionnels. Gardant ce souvenir, loin de le chérir, nous pensons qu’il est important de préserver l’institution présidentielle qui est la clé de voûte de notre système institutionnel.

Pour ce qui concerne la Cour constitutionnelle, le problème est réglé. Il reste la question de la contestation d’une trentaine de sièges à l’Assemblée nationale, quoique la réflexion aurait dû être portée même sur certaines opérations du 1er tour des législatives. Pour ne pas en rajouter à la complexité, nous avons concédé de nous concentrer sur ce second tour.

La Cedeao, au terme de cette deuxième mission, a proposé des solutions. Dans son communiqué, la mission de la Cedeao indique qu’elle a eu l’accord de tous les acteurs, sauf du M5-RFP. C’est dommage, je crois que le M5-RFP peut encore accepter cette offre de solutions qui exclut la démission du président de la République.

Et qui exclut toute action pouvant entraîner à l’amputer de ses prérogatives constitutionnelles. C’est une voie sage, cela nous permettra de préserver nos acquis démocratiques. Nous apprécions le travail qui a été fait par la Cedeao. Nous appelons nos adhérents, nos militants à soutenir cela. Nous appelons aussi ceux qui ne sont pas d’accord à faire un effort au bénéfice de la cohésion nationale, pour que nous puissions ensemble sortir de cette impasse.

Dans les détails, la Cedeao recommande qu’un gouvernement d’union nationale soit mis en place. Cette offre avait déjà été faite par le président de la République. Au sein de ce gouvernement, chaque composante politique nationale sera représentée. Je crois que c’est le meilleur moyen de conduire les réformes et de changer ce qui doit l’être, pour que tout cela n’arrive plus.

Je voudrais signaler que dans cette tâche, il faut se préoccuper de tout ce qui concerne la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. La tension politique à Bamako nous a détournés des efforts qui doivent être faits pour pacifier l’ensemble du Mali. Il faut urgemment que nous passions cette étape, et que le gouvernement qui va être mis en place se mette rapidement au travail pour essayer de rattraper les retards que nous avons.

La situation sécuritaire ne s’améliore pas. Mais comment voulez-vous l’améliorer s’il n’y a pas une action nationale dans l’unité ? C’est extrêmement difficile.

Le Mali a besoin aujourd’hui que toutes les sensibilités politiques soient respectées, que toutes les options soient étudiées intelligemment et ensemble. Après, quand nous aurons stabilisé le pays, les compétitions politiques pourront reprendre dans un esprit démocratique et républicain. Ce, en dehors de toute violence. Il ne faudrait pas que cette mésentente politique donne opportunité à de nouveaux phénomènes de rupture qui finiraient, peut-être, par désagréger notre pays.

L’Essor : Quelle est votre lecture sur la situation sociopolitique du pays ?

Tiéman Hubert Coulibaly : Incontestablement, la situation n’est pas bonne du fait des remous politiques, bien entendu. Elle n’est pas bonne, non plus, du point de vue économique, et donc forcément du point de vue social. Et tout cela, dans un contexte où nous sommes cernés par les effets du coronavirus. Au total, nous avons des éléments de crise qui sont, non seulement nombreux, mais aussi divers. Suite à la pandémie, notre situation économique, qui était déjà difficile, s’est aggravée, parce que le mécanisme mondial des échanges a pris un coup. De nombreux secteurs économiques à travers le monde ont subi un coup d’arrêt brutal.

Nombre d’individus se sont retrouvés avec peu de revenus ou, souvent, pas de revenus parce que tout le secteur des transports, par exemple, a été sinistré.

évidemment la situation sociale s’en ressent parce que si les ménages voient leurs revenus baisser, la consommation aussi dans le pays baisse. Et le secteur du commerce et même celui de la production prend un coup. Je tiens à souligner la dégradation des prix du coton sur le marché international qui engage les conditions d’existence de près de quatre millions de Maliens. Je n’ai pas besoin de vous dire la place du coton dans nos recettes d’exportation.

Face à cela, nous avons une situation politique qui a connu une évolution dramatique. Les contestations post-électorales, et d’ailleurs les querelles politiques qui n’ont pas cessé de s’intensifier depuis quelques années, ont abouti à la situation qui est la nôtre aujourd’hui et qui a obligé la communauté internationale à se joindre à nous pour chercher des solutions. évolution dramatique, parce que suite à tout cela, nous avons dû déplorer des morts, pour lesquels, je formule des prières pour le repos de leur âme. Pour leurs familles, j’adresse mes sincères condoléances. Certains sont blessés, prions Dieu qu’ils puissent guérir de leurs blessures.

Au total, la situation est mauvaise et elle nous commande de trouver, à notre propre niveau de Maliens, des solutions, mais en acceptant l’accompagnement de la communauté internationale.

L’Essor : Quel commentaire faites-vous sur les récents développements de la crise politique marqués notamment par la désobéissance civile, des actes de vandalisme et des tueries ?

Tiéman Hubert Coulibaly : La désobéissance civile est un droit inscrit dans la Constitution. De la même manière que manifester et la liberté d’expression sont des droits constitutionnels, nul ne peut contester cela. La pluralité de l’expression doit être protégée et garantie par les autorités. Cependant, je ne pense pas que les actes entraînés par le mot d’ordre lancé soient inscrits dans le principe de cette action. Du reste, j’observe que si une frange de la population, des acteurs ont le droit à la désobéissance civile, je ne pense pas qu’un acte ait été posé dans notre pays devant entraîner une désobéissance civile.

La Constitution fixe les conditions, dans lesquelles, cette action peut être déclenchée par le peuple. Ma deuxième observation est que les atteintes aux biens publics et privés ne devaient pas arriver. Non seulement, cela n’a pas beaucoup de sens, parce que ce sont d’abord des biens publics qui appartiennent à tout le monde. Ceux qui les ont cassés, sont ceux-là mêmes qui vont devoir les payer.

Nous condamnons encore plus les actions qui ont conduit à la mort des citoyens. Cela non plus ne devait arriver. Le Premier ministre a ordonné une enquête. Il faut attendre les conclusions de cette enquête pour comprendre ce qui s’est passé et qui a pu conduire à un tel drame. Je ne pense pas que le Mali, en ce moment précis, ait besoin de compter des morts suite à de tels événements.

L’Essor : Au plan national, n’existe-t-il pas d’autres leviers pour arrondir les angles ?

Tiéman Hubert Coulibaly : Normalement, les Maliens doivent pouvoir se parler. Il est de la responsabilité des dirigeants de créer les conditions pour cela. Il faut éviter l’extrémisme dans les prises de positions. Moi, j’envisage aujourd’hui toutes les organisations politiques comme des partenaires. Il y a un principe dans la démocratie qui est la participation, mais en matière de démocratie l’idéal supérieur, c’est l’adhésion. Vous devez faire adhérer les gens au projet.

Je crois qu’il ne faut pas rejeter la contribution de la communauté internationale à des moments où la confiance est rompue. En décembre 2018, je disais que nous avions besoin de reconquérir les espaces de confiance perdus. Une fois que nous aurons restauré progressivement la confiance, les Maliens vont pouvoir s’occuper de leurs problèmes, et seuls. Je ne vois pas par quel moyen, nous pourrions affirmer certaines suprématies ou hégémonies dans une telle situation.

Parlant de dialogue, je dois dire que le Dialogue national inclusif a formulé 118 recommandations, avec les quatre grandes résolutions. La mise en œuvre de ces conclusions nous aiderait à régler grandement une partie des problèmes nationaux.

Propos recueillis par
Massa SIDIBÉ

Source: Journal l’Essor-Mali

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