Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

Thibault Lesueur: en Centrafrique, la France «doit éviter que des conflits ne dégénèrent»

Analyste à l’International crisis group (ICG), Thibault Lesueur parle de la prochaine intervention française en Centrafrique

soldat français Misca poste toit aéroport Bangui Centrafrique

Concernant la situation en Centrafrique, on évoque une situation de génocide. Est-ce également votre sentiment ?
Ce qui est sûr c’est qu’on voit aujourd’hui un conflit non religieux au départ prendre une forte tournure confessionnelle. Dans l’arrière-pays, on assiste à une série de massacres et à une cristallisation des tensions entre musulmans et chrétiens qui pourraient à long terme, dégénérer sur quelque chose de plus large, de plus grand, et c’est pour cela qu’on parle de risque de génocide.

On parle beaucoup de Bangui, mais ce sont tous les pays frontaliers qui sont touchés ?
Nous avons en effet assisté ces deux derniers mois à une multiplication les violences, notamment au nord-ouest du pays, et notamment les violences confessionnelles. Il faut savoir qu’il y a eu des massacres à grande ampleur, que ce soit par les éléments de la Seleka ou de l’ex-Seleka, ou que ce soit par les groupes d’autodéfense qui se sont créés et qui ont, eux ciblé des musulmans.

Crise interreligieuse, vous le disiez, crise politique aussi, crise sociale : comment en est-on arrivé à cette situation ?
Ça fait des décennies que le pays est en déclin. Ça fait des décennies que le pays n’est pas gouverné, avec des indices de développement qui ne cessent de chuter, et avec des régions qui sont historiquement marginalisées, comme c’est le cas du nord-est de la Centrafrique, d’où proviennent les combattants aujourd’hui de la Seleka. Et donc tout cela a donné un terreau fertile pour la naissance de rébellions.

Et puis je dirais que ce qui se passe aujourd’hui c’est également la conséquence du fait que l’ancien régime, c’est-à-dire le régime de Bozizé, n’a pas voulu traiter les problèmes sécuritaires et n’a pas voulu intégrer les groupes armés dans ce qu’on appelle un processus de désarmement de démobilisation et de réinsertion.

Ces groupes armés sont multiples. De qui sont-ils composés ?
La Seleka c’est un ensemble très hétéroclite. En réalité, la Seleka aujourd’hui, ça ne veut plus rien dire puisqu’il n’y a aucune chaîne de commandement centralisée. Vous aviez au sein de la Seleka au départ plusieurs groupes armés, connus en Centrafrique comme la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP) ou l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR).

Et à ces groupes armés, se sont agglomérés tout un tas de combattants : des Tchadiens, des Darfouris, des Centrafricains, … etc. Et tout au long de l’avancée de la Seleka en décembre et en janvier, vous avez une dynamique d’agrégation qui s’est mise en œuvre, qui fait qu’aujourd’hui la Seleka est devenue une énorme opération de banditisme avec des petites poches de combattants qui ne répondent à aucun commandement centralisé.

Justement, ces rebelles de la Seleka ce sont eux qui ont installé Michel Djotodia, le président de la transition, mais aujourd’hui les autorités semblent totalement dépassées ?
Je pense malheureusement qu’une mauvaise décision a été prise par la communauté internationale au départ. On avait dit après le coup d’Etat à Michel Djotodia : vous nettoyez des éléments de la Seleka, vous les contrôlez, et ensuite on viendra vous aider.

Ce qu’on n’avait pas vu c’est que Michel Djotodia ne contrôle absolument personne au sein de la Seleka. Il a peut-être quelques combattants qui lui sont fidèles, mais il est incapable d’exercer ce contrôle sur la totalité de ces combattants. Donc c’est un mauvais diagnostic qui a été fait à l’époque par la communauté internationale.

Une situation qui justement, sur la scène internationale est passée quasi inaperçue. Aujourd’hui il y a vraiment urgence. La France ce matin annonce l’envoi de 800 hommes supplémentaires en appui de la force panafricaine. Pourquoi la France est-elle à la manœuvre ?
La France avait déjà des contingents sur place à Bangui, à savoir 400 militaires présents dans la capitale. C’était cette posture un petit peu désengagée de la France, qui n’était pas forcément très bien comprise par les Centrafricains auparavant. Il y a également une espèce d’obligation morale aussi à intervenir dans un pays qui tend à devenir complètement anarchique.

Va-t-on assister selon vous, à un nouveau Mali ?
Il s’agit d’une intervention qui est complètement différente, parce qu’au Mali il s’agissait de libérer une région, de lutter contre un ennemi bien identifié.

Ce que doivent faire les Français, sous couvert d’un mandat des Nations unies – qui doit être voté par le biais d’une résolution début décembre -, c’est d’aider les forces de l’Union africaine à restaurer l’ordre public à Bangui et sur le reste du territoire.

Nous ne sommes pas dans un contexte de maintien de la paix. Il n’y a pas de paix à préserver. Ce qu’il faut c’est lutter contre des bandits, des brigands, et éviter effectivement que des conflits ne dégénèrent.

800 hommes en renfort, selon vous c’est suffisant ?
800 hommes, effectivement, plus les 400 qui sont déjà là, ce sera largement suffisant avec la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca), c’est-à-dire la force de l’Union africaine, pour sécuriser Bangui. L’ICG avait envoyé une lettre au Conseil de sécurité, pour pousser le Conseil de sécurité à donner ce mandat aux Français. Ce qui sera beaucoup plus compliqué c’est de sécuriser le reste du pays. Et pour ça effectivement, on peut imaginer que 3 600 hommes, tel que c’est prévu au sein de la force de l’Union africaine, ce sera largement insuffisant pour sécuriser l’ensemble des provinces en Centrafrique.

Y a-t-il un risque aussi, que cette situation dépasse les frontières de la Centrafrique ?
Depuis plusieurs mois il y a par exemple quelques incidents qui se passent du côté camerounais. C’est-à-dire que certains rebelles ont passé la frontière. Ce sont pour l’instant des incidents assez isolés et qui ne sont pas de grande ampleur, mais qui ont tout de même fait quelques morts. Donc on voit, et je pense que les pays voisins en ont très largement conscience que le conflit centrafricain peut déborder sur les pays voisins.

Les humanitaires ont-ils les moyens actuellement de mener leur mission ?
Il faut bien évidemment plus de moyens pour les humanitaires. Le problème – et c’est un petit peu comme tout – c’est tant que la sécurité n’est pas rétablie, leurs activités seront fortement restreintes. On voit que les ONG se sont déployées un petit peu sur le terrain, mais malheureusement, elles se cantonnent dans les villes. Et il est très difficile pour elles de partir dans la brousse soigner les gens, qui en ont vraiment besoin.

Source: RFI

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance