Ce dimanche 29 juillet a clos, du moins pour un court répit, le marathon des campagnes pour la tenue de cette présidentielle, tant attendue compte tenu des nombreux enjeux qui l’entourent. Véritable course de fond, la compétition aura duré en réalité cinq ans durant, hormis le bref laps de temps de la période de grâce, relativement courte d’ailleurs, les attentes étant trop grandes pour le nouveau régime qui a avait pris le relais, après la perte de près des 2/3 du territoire national sous occupation djihadiste et surtout ce qu’on a appelé le coup d’État le plus bête du monde.
Le premier tour de la présidentielle 2018 a vécu : dans le calme, contrairement aux joutes verbales parfois poussées et malgré que les auteurs des violences armées se soient rappelés au bon souvenir des autorités et de la communauté internationale. En dépit de toutes les appréhensions et parfois des polémiques, courantes dans les confrontations passionnelles du genre, tous les acteurs, autorités, opposition et communauté internationale étaient unanimes sur une évidence : aller aux élections était nettement préférable à envisager un autre scénario qui ouvrirait les portes à toutes les aventures.
Vers un remake d’août 2013
Et de toute évidence, du moins au regard des chiffres partiels égrenés, dans les états-majors et au fil des médias (dont les réseaux sociaux), la confrontation n’a pas échappé à la configuration politique qui a, peu ou prou, caractérisé ces cinq dernières années, se réduisant à un binôme IBK vs Soumaïla CISSE. Toutefois, les chiffres, indicatifs de l’émiettement, voire de la fragmentation soulignent tout autant l’émergence d’autres rapports de force. Entre les deux mastodontes, si le gain n’est pas suffisant pour l’emporter dès le premier tour, les marchandages feront vite apparaître la nature réelle des candidatures de transactions qui avaient gonflé artificiellement le nombre initialement aligné sur les starting-blocks.
Mais d’ores et déjà, le président sortant, candidat à sa succession, paraît visiblement confirmer les gains importants qu’il a pu thésauriser ces cinq dernières années. En particulier, IBK a tiré un maximum de profit électoral des actions posées, à la fois dans le cadre de son programme d’urgences sociales que dans d’autres secteurs de la gestion courante de l’État. Le Chef de l’État ne s’est en effet pas privé de brandir des résultats notables de sa gestion, surtout durant le dernier parcours de son mandat. Ainsi, en quelques mois, les derniers surtout, il a mis en avant les actions notables déployées pour raffermir la sécurité, à travers d’importants efforts consentis en faveur de l’armée (les équipements, au-delà des controverses du début, les avions exhibés à quelques jours du vote, les efforts financiers en faveur des troupes, etc.), les réformes sonnantes et trébuchantes que le commun des Maliens, du moins salariés, ont nettement ressentis sur leurs feuilles de paie, les chantiers d’infrastructures et d’équipements collectifs, etc. Faut-il souligner que ces actions et activités, à forte charge de communication, ont été mises en avant seulement quelques mois, voire quelques jours avant les élections ? Si bien que l’opposition avait de réelles difficultés à contrer cette stratégie de gains de dernières heures.
Quand de plus, il apparaît que la tendance à l’abstention semble davantage signe de la déception qu’une réelle désaffection vers l’opposition.
Les gains de l’abstention
Et pour cause, le président sortant semble plutôt bénéficiaire de l’abstention. Et pour cause, à tort ou à raison, le mandat actuel finissant a été émaillé d’autant d’incertitudes et d’écueils qu’ils ont durablement entaché la gouvernance. Le vote populaire massif de 2013 qui a porté IBK à Koulouba a connu de notables désaffections dont les plus retentissantes sont les défiances manifestes ou discrètes mais réelles des religieux qui avaient fait une pesante immixtion dans la sphère.
Quant à celle de la Grande muette, elle a été contenue à travers l’émergence de nouvelles figures, voire le recyclage d’anciennes notabilités militaires pour faire pièce aux accusations de collusion et de l’émergence d’une contestation conduite par le Général Moussa Sinko COULIBALY, qui a finalement eu l’air d’un pétard mouillé.
A cette désaffection des déçus réfugiés dans l’abstention, ce sont les fidèles qui se cristallisés dans un réflexe de survie autour de leur idole. Et qui se donc mobilisés le plus ! Une forte mobilisation, traduite par un taux de participation élevé aurait certainement bénéficié aux adversaires du président sortant. Ce qui était le défi pour ces derniers de transformer la déception en vote de protestation. Visiblement, l’atavique défiance de l’électorat malien envers ses politiques a été plus forte que le désir de chasser celui qui, en 2013, apparaissait comme un véritable Messie, celui qui n’avait qu’une parole (le ‘’Kankéléntigui’’), un homme à la conviction forte et au patriotisme sans commune mesure. Du moins avait-il été ainsi perçu, d’où le record absolu de suffrages portés sur lui et du coup l’ampleur de la déception, donc de l’abstention.
Le défi de transformer l’essai
Pour filer une métaphore de rugby, l’opposition n’a visiblement pas réussi à transformer l’essai. Et pour cause, le recul du Président IBK, sous la poussée de ‘’An tè an bana’’ n’a certainement pas gagé d’une descente irréversible aux enfers de l’impopularité. Tout au plus, IBK a-t-il plié l’échine, rentré la tête dans les épaules et essuyé stoïquement les plâtres de sa volonté d’imposer une réforme constitutionnelle où bon nombre qui ne semblaient pas trouver leurs comptes. Mais de toute façon, au-delà des enjeux réels d’une réforme de la loi fondamentale (que peu de manifestants opposés ont lu ou en comprennent quelque chose), la contestation ‘’An tè an bana’’ était plutôt significative du ras-le-bol face à une gouvernance quelque peu chaotique, à l’image du jeu de chaises musicales qu’auront constitué les différents remaniements ministériels et la valse de premiers ministres, cinq en cinq ans tout de même ! Mais cela était plutôt une défiance envers le régime et loin de constituer une adhésion aux thèses de l’opposition, comme on le constate d’ailleurs maintenant. Tout au plus, n’y voit-on au demeurant qu’une récupération politique qui n’a apparemment pas fait long feu !
Tout le mal de l’opposition, résumée (avec le temps du mandat et par les actions jusque-là menées) autour de l’URD et de Soumaïla CISSE, aura été d’avoir peiné à transformer la contestation en creuset électoral. Le fait est que malgré son apparente victoire électorale, qui prouve que le président sortant n’est pas aussi dépourvu de ressources ou aussi impopulaire qu’on aurait pu le croire, une majorité (certains diront une ‘’grosse’’ minorité, c’est selon) de la population malienne a été déçue de la gouvernance actuelle. D’ailleurs, autrement, on ne s’expliquerait pas la sérieuse et inquiétante tendance à l’abstention qui apparaît en filigrane.
L’enjeu de ce marathon présidentiel 2018, pour Soumaïla CISSE et bon nombre de candidats, c’était de maximiser dans les urnes la grogne populaire, née des impatiences et des écarts de gouvernance du mandat écoulé, et la contestation animée par les structures se réclamant de la société civile. Toutefois, cette tendance à la défiance avec laquelle l’électorat malien a renoué n’aura guère été profitable aux camps de l’opposition. Si bien que la première leçon, que celle-ci n’a pas tirée dans ses croisades, souvent fondées et de bon droit, est que le contestataire n’est pas forcément électeur.
Probablement, le vieux routier de la politique malienne qu’est Ibrahim Boubacar KEITA est sur le point de signer un nouveau bail. Un exploit tout de même, car de mémoire de Malien, aucun Président de la République sortant au bout d’un mandat n’avait autant été contesté !
PAR YAYA TRAORE
Info-Matin