Très jeune, elle entre dans l’histoire avec une chanson emblématique, «Bambo», qui influencera le législateur à tenir compte du consentement de la femme lors de son mariage
La nouvelle du décès de la grande cantatrice Tata Bambo, de son vrai nom Fatoumata Kouyaté, a circulé, lundi dernier, comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux et dans les conversations de bouche-à-oreille. La vitesse à laquelle cette triste information a été partagée est à la dimension de l’artiste. Toutes les couches sociales ou presque se reconnaissent en elle. Chantre des louanges et particulièrement appréciée du fait de son inépuisable répertoire musical, de sa capacité d’improvisation et à toucher le cœur de ses admirateurs, Tata avait simplement le courage de ses opinions.
C’est elle qui a osé interpeler l’ancien président Moussa Traoré lors d’une émission retransmise en direct à la télévision nationale en ces termes : «Donne-nous quelque chose pour qu’en retour nous te donnions un nom». Elle était dans son rôle de griotte, notamment de la lignée de ces maîtres de la parole qui ont permis à de nombreux rois de rester dans l’histoire de l’Empire du Mandé. Avant cet épisode, la cantatrice était déjà elle-même rentrée dans l’histoire dès l’âge de 12 ans en chantant «Bambo», d’où son surnom.
Un morceau qui dénonçait déjà les mariages non consentis par les filles, autrement dit les mariages forcés. Ce titre restera l’une des chansons les plus populaires de la musique mandingue. Elle sera interprétée pour la première fois en public lors d’un sommet des chefs d’État africains, organisé par le président Modibo Keïta à Bamako.
Suite à cette prestation remarquée, le chef de l’État d’alors exigera son intégration à l’Ensemble instrumental du Mali où, elle côtoiera Amy Koïta, Oumou Kouyaté, Dipa Kouyaté, Wandé Kouyaté. Que de grands noms de la musique ! Dès lors le Code de la personne et de la famille tenait compte du consentement de la conjointe dans la célébration des mariages devant l’officier d’état-civil.
Tata Bambo naquit en 1950 à Niaréla, un des plus anciens quartiers de Bamako. Fille de Djéliba Kouyaté, célèbre joueur de n’goni, Tata Bambo commence à chanter lors des différents évènements de quartier (mariages, baptêmes…), avant d’être prise en main par Falaba Issa Traoré qui lui apprendra les diverses techniques vocales mandingues et la perfectionnera.
À la sortie d’une cassette éponyme avec le groupe Korossé Koko, l’artiste décidera, en 1978, d’entamer une carrière solo qui la mènera aux quatre coins du monde. Mais, il faudra attendre 1984, pour écouter son premier album «Jatigui», les bienfaiteurs. Elle en réalisera plusieurs autres et posera son immense voix sur des musiques d’artistes d’horizons divers.
à l’écoute de l’évolution du monde, Tata Bambo qui chante avec ses filles Assa Dramé et Fati Kouyaté (auteure du CD Bailo), s’oriente vers une musique de fusion pouvant intéresser les jeunes générations, sans perdre son âme. Elle collabore aussi avec son mari Modibo Kouyaté et son fils Gaoussou Kouyaté, tous deux guitaristes virtuoses.
Cette figure emblématique de l’Ensemble instrumental est une griotte de souche qui a fait ses premiers pas dans la musique aux premières heures de l’indépendance de notre pays. Elle partageait allègrement les scènes avec deux de ses filles : Assa Dramé et Fati Kouyaté.
A son actif plus de douze albums sur le marché. «Je suis Kouyaté, Djéli de sang et de métier. LesKouyaté sont des griots d’origine. Dans mes chansons j’interpelle tout le monde sur les problèmes sociaux et invite les gens à prendre conscience des pièges qui minent la société», aimait-elle dire.
«Nous sommes des «gnamakala» et quandles «horons» s’y ajoutent pour chanter, on parlealors d’artistes. L’artiste est un mélange de tout, juste une question de terminologie », disait Tata Bambo. Elle n’avait de cesse d’inviter la jeune génération à ne pas se détacher du passé au risquede perdre nos repères. Pour elle, le griot estavant tout considéré comme dépositaire de la tradition orale et du passé.
« Les griots doivent, défendait-t-elle,servir d’aiguille pour tisser les liens entre les humains et maintenir la cohésion sociale. Le Mali est un pays béni et rien de mal ne peut nous atteindre. Le griot est un symbole de paix. Il lui est exigé de semer la paix dans son sillage ».
Tata Bambo en appelait au pardon et au vivre ensemble mais surtout à ne pas répondre au mal par le mal. Pour l’ensemble de ses œuvres, elle a été décorée de la médaille de chevalier de l’Ordre national du Mali.
Youssouf DOUMBIA