Le 13 janvier 2020, face à la vague croissante des protestations des peuples contre la présence militaire française sur leur sol, Emmanuel Macron a convoqué les dirigeants du G5 Sahel à Pau (une ville située dans le sud-ouest de la France) pour un sommet dit de la clarification. Autrement, les chefs d’Etat devaient dire s’ils avaient toujours besoin du soutien de la Force Barkhane (5 100 hommes) pour combattre le terrorisme dans leurs pays voire au Sahel. Comme si l’Elysée leur laissait vraiment le choix. C’est incroyable comment la France peut toujours continuer à nous faire accepter ses pratiques néocolonialistes. Le sommet de Pau ne visait en réalité qu’à faire taire les accusations d’ingérence et surtout d’inefficacité de cette présence militaire étrangère contre le mal terroriste. Pau a vécu, mais les terroristes gagnent du terrain. Nos dirigeants auront-ils le courage de dire un jour : maintenant ça suffit, changeons de stratégie en prenant langue avec les nationaux qui servent de relais au terrorisme international ? Cette réaction n’est pas évidente tant qu’ils n’y sont pas contraints par les peuples.
«Plus il y a des forces étrangères et des forces de maintien de la paix dans nos pays et plus l’escalade de la violence et du crime s’installe et se fortifie…» ! Ce coup de gueule est du Dr Djamila Ferdjani, médecin et militante philanthrope Nigérienne. Comme des millions de Sahéliens, elle est estomaquée par l’intensification des attaques dans la région, notamment au Mali et surtout au Niger où les terroristes ont tué 203 civils en six jours.
Le Niger a été en effet frappé dans sa partie ouest par les attaques les plus meurtrières commises ces dernières années par des jihadistes présumés qui ont tué (le dimanche 21 mars 2021) 137 personnes. Un bilan qui vient s’ajouter aux 66 morts des attaques commises six jours avant. Et presque tous, des innocents sont tués par ces barbares. Le 15 mars, le Mali a perdu au moins 33 soldats dans l’attaque de Tessit (Ansongo/Gao) revendiquée (une semaine plus tard) par l’Etat islamique au Sahel. Entre le 15 et le 21 mars 2021, la fameuse «Zone des Trois frontières» a été confronté à une violence aveugle que la présence militaire française aurait du circonscrire dans la durée.
Ce qui, objectivement, doit nous amener à nous interroger sur l’efficacité des très médiatiques opérations menées par Barkhane dans la zone. A quoi a servi ces brillantes victoires militaires sur les réseaux terroristes qui semblent aujourd’hui avoir repris du poil de la bête ? Autrement, à quoi servent Barkhane et Takuba après le sommet de clarification de Pau en janvier 2020 ? Ces attaques sauvages ont été perpétrées un mois après le sommet du G5 Sahel à N’Djamena (Tchad, 15 et 16 février 2021) durant lequel Emmanuel Macron a pourtant martelé sa volonté de «décapiter» les groupes jihadistes affiliés à Al-Qaïda pour justifier le maintien de l’effectif (5 100 militaires français) de Barkhane dans le Sahel.
Après Pau, les Sahéliens s’attendaient légitimement à «des actes forts» et non à des opérations de saupoudrage pour cacher l’inefficacité de l’option de l’Elysée face au terrorisme. Et pour continuer à nous berner, le sommet de N’Djamena a été celui de l’adoption d’un nouveau concept face à la menace : «Triple sursaut politique, diplomatique et de développement» au Sahel ! Que du bluff ! Comme d’ailleurs ce sommet de Pau tenu en réalité contre la volonté des peuples sahéliens de s’émanciper de l’inopérante présence militaire étrangère, notamment française, dans leur région.
Un tableau très sombre malgré la vanité de Macron
En dépit des succès tactiques revendiqués, le tableau y demeure plus que jamais très sombre. Les morts, civils et militaires, sont nombreux et la barre des deux millions de déplacés a été franchie en janvier 2021. Depuis le sommet de Pau, qui avait vu l’Elysée désigner l’organisation Etat islamique au grand Sahara (EIGS) «ennemi numéro 1» dans la région, «nous avons réussi à obtenir de véritables résultats dans la zone des trois frontières (entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso) et l’EIGS a perdu son emprise et subit de nombreuses pertes», s’était vanté Macron resté dans son bureau pour s’adresser aux dirigeants du G5 Sahel réunis à N’Djamena.
L’attaque de Tessit et le massacre de civils au Niger entre le 15 et le 21 mars derniers sont les démentis du terrain. La réalité est que les organisations affiliées à Al-Qaïda et regroupées au sein du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) sont loin d’être neutralisées…
Les opérations de Barkhane dans cette zone dite des «Trois frontières» ont plutôt servi à déplacer la menace terroriste vers le centre du Mali, où les Forces armées maliennes (FAMa) sont harcelées à longueur de journée avec des mines posées partout, et surtout vers le sud. De nos jours, les terroristes ne se cachent presque plus dans leurs mouvements entre les villages. «La région de Sikasso est infestée d’islamistes aujourd’hui», nous a récemment confié un élu. Des villageois y sont de plus de plus en plus menacés comme dans le centre du pays.
«Je ne sais pas si le gouvernement est conscient de la situation, mais dans le cercle de Kadiolo, les populations sont de plus en plus inquiètes par cette présence de barbus armés», nous a aussi confié une source dans la capitale du Folona. «Il n’y pas longtemps, un adolescent a découvert à partir de sa fenêtre un homme en train d’essuyer son arme dans une mosquée. Cela a semé la frayeur dans la ville momentanément abandonnée alors par des élus et certaines personnalités influentes», a-t-elle ajouté. Ces témoignages confirment l’extension des actes terroristes aux pays côtiers comme la Côte d’Ivoire, le Bénin…
Annihiler la menace par le dialogue
Ce qui montre, si besoin en était, l’inefficacité de la présence militaire française dans la bande sahélo-saharienne. Nos dirigeants doivent le comprendre. Comprendre que la France est soit de mèche avec les réseaux terroristes, soit elle est au Mali et au Sahel pour des desseins inavoués. Ce qui revient d’ailleurs à la même chose puisque le terrorisme serait ainsi utilisé par l’Hexagone pour maintenir la pression sur nos Etats, donc comme le meilleur bouclier pour sauvegarder les intérêts économiques, géopolitiques et géostratégiques de la France et de ses alliés.
On ne vaincra pas le terrorisme au Sahel par les armes, mais par le dialogue avec ceux qui sont relativement fréquentables. C’est ce que démontre en tout cas le Lieutenant de vaisseau, Louis Saillans auteur du livre «Chef de Guerre». Dans «Opération Barkhane, ce que l’on sent, c’est le vent de la mort» (France 2), il pose de nombreuses questions pertinentes. «Pourquoi on ne gagne pas ? Moi, c’est la question qui m’habite. On maîtrise le Sahel et on fait cela dans les conditions qui sont justes. Maintenant pourquoi ils (jihadiste/terroristes) continuent à croître ? Qu’est-ce qui fait qu’on ne parvient pas à les arrêter ?».
Et de répondre, en rejoignant Aminata Dramane Traoré, «un camarde sur le front me disait l’autre jour : on en élimine un et ce sont dix qui sortent. C’est dire qu’à un moment, il faut arrêter de croire que c’est par les armes qu’on va les avoir. Il faut engager des idées et leur proposer quelque chose qui les fasse rêver» ! L’une de ses idées peut être l’ouverture du dialogue avec Iyad Ag Ghali, Amadou Koufa et tous ceux qui peuvent être ramenés dans le giron de la République. Et cela malgré l’opposition de l’Elysée.
Il est au moins clair que la France sait que laisser les pays du Sahel dialoguer avec ceux-ci, c’est se préparer à faire rapidement ses valises avec le retour de la stabilité dans la région. Et cela n’est pas pour le moment dans son intérêt. Ce choix, les décideurs ne vont peut-être jamais le faire à cause de la pression (politique, diplomatique et économique) de la France. Alors il revient aux communautés voire au peuple de les y contraindre. Inspirons nous par exemple du Burkina Faso (un autre pays déstabilisé par le terrorisme) où «le dialogue avec les jihadistes n’est plus tabou».
En effet, certaines communes du nord de ce pays sahélien ont engagé des discussions avec les islamistes pour ramener la paix et enrayer la crise humanitaire. Et cela avec le soutien discret des autorités centrales qui assument de plus en plus l’option des négociations. N’oublions surtout jamais que, comme l’a une fois si bien analysé Aminata Dramane Traoré, «le jihadisme est la conséquence des politiques imposées de l’extérieur». Autrement, ce qu’a toujours voulu la France pour le Mali et l’Afrique n’a jamais été une bonne chose pour les pays et les peuples !
Naby
Source : Le Matin