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Sort des enfants soldats, terroristes : Dr. Touré dit tout

La rubrique ‘’La Grande interview du mois’’ de Ziré, votre hebdomadaire préféré d’analyses, d’enquêtes et d’informations générales, reçoit cette semaine Dr Moussa Toufado Touré, président du Tribunal pour enfants. Avec lui, nous avons parlé du rôle et des missions du tribunal pour enfants, des ambiguïtés des textes ratifiés, mais aussi de la notion de jugement des enfants soldats. C’est un entretien réalisé le 26 Août 2022 en partenariat avec le site d’informations générales, ‘’www.afrikinfos-mali.com’’.

Ziré: Monsieur Touré, présentez-vous à nos chers lecteurs !

Dr Moussa Toufado Touré : Je m’appelle Dr Moussa Toufado Touré, je suis Magistrat, président du tribunal pour enfants et formateur de l’Institut national de formation judiciaire.

Parlez-nous du tribunal pour enfants et de ses missions !

Le tribunal pour enfants est une juridiction spécialisée qui a été créée après une longue procédure. D’abord, il n’a pas été toujours un tribunal à part parce que de l’indépendance jusqu’à 1988, il n’y avait aucune juridiction qui s’occupait spécialement de la cause des enfants. Mais à partir de 1988, il y avait le tribunal de première instance de Bamako qui, au vu de l’accroissement de la délinquance juvénile, a estimé nécessaire qu’il faille désigner un juge d’instruction pour s’occuper de la question de l’enfance, notamment la délinquance juvénile.

Donc, il n’y avait pas cette forme d’organisation. Ce n’est qu’en 2001, notamment suite à l’adoption de la loi sur la minorité pénale et surtout en 2002 avec l’adoption du Code de protection de l’Enfant, qu’il y a eu un véritable tribunal pour enfants. Même là, il y avait peut-être un juge qui était désigné, mais le parquet d’attache était le parquet de la Commune VI. Donc à peu près, il y a une dizaine d’années de cela que le tribunal pour enfants a été une juridiction véritablement autonome qui a son président, son juge d’instruction, son juge du siège, son  procureur et son substitut du procureur.

Le tribunal pour enfants est situé à Bollé, notamment à Banankabougou à côté du centre de détention et de rééducation de Bollé femmes, sur la route de Ségou, du monument de l’Afrique vers la Cour d’Appel, juste à côté de l’Institut de formation judiciaire (INFJ). Géographiquement, le tribunal est situé en Commune VI de Bamako, mais sa compétence s’étend sur toute l’étendue du District de Bamako. Voilà brièvement présenté, le tribunal pour enfants.

Comme j’ai eu à le dire, dans son organisation, il y a un président qui est le chef de la juridiction, il y a des juges d’instruction qui font aussi office de juges des enfants, il y a des juges du siège et tout le reste que j’avais cité précédemment. Mais, la particularité au niveau du tribunal pour enfants, c’est qu’il y a ce qu’on appelle des assistants sociaux qui mènent des enquêtes sociales et produisent des rapports pour aider le président du tribunal à prendre sa décision.

Sa compétence matérielle, c’est surtout les affaires correctionnelles et contraventionnelles. Mais en matière criminelle, le tribunal fait office du juge d’instruction premier degré, c’est-à-dire que le tribunal instruit des dossiers criminels à travers le juge d’instruction, mais ne peut pas les juger parce que les affaires criminelles sont jugées par une cour d’assise spéciale des mineurs.

En matière civile, le tribunal reconnaît l’adoption de garde d’enfants ; l’adoption et la protection etc. Beaucoup de mesures alternatives existent, notamment ce qui concerne les enfants en situation de danger moral et matériel qui n’ont commis aucune infraction. Par exemple, un enfant abandonné sur un tas d’ordures à côté d’un puits qui a été ramassé. Mais, ce bébé, il a commis quelle infraction ? Alors s’il n’a commis aucune infraction, qu’est-ce qu’il convient de faire dans son cas ? Ce sont certainement des mesures de protection d’où la collaboration entre le tribunal pour enfants et certains partenaires publics tels que la pouponnière, les centres d’accueils comme le BNCE, S.O.S village d’enfants, Terre des hommes, etc. Tous ceux-là sont des partenaires du Tribunal pour enfants afin de prendre en charge certaines situations particulières des mineurs.

En tant que juriste, quelle évolution constatez-vous après la mise en place du Tribunal pour enfants ?

Je pense que l’évolution sur le plan de la législation est très marquante parce que le Mali a ratifié la plupart des conventions internationales, les conventions sous-regionales. Au plan national aussi, nous avons tout un ensemble de textes qui reflètent un peu ces conventions. Mais le grand hic, c’est que nous avons encore un code de protection qui ne dit pas son nom qui pose véritablement un problème de droit.

Le Code de protection est une ordonnance qui a été prise le 05 juin 2002 et qui devait être ratifié par l’Assemblée nationale, et si vous regardez le timing entre le 05 juin 2002 et la passation de pouvoir entre le président rentrant et le président sortant (Alpha et ATT), l’ordonnance a été prise en tenaille par ces événements politiques, au point d’être finalement oubliée ou négligée par les autorités en place. Ce qui fait que cette ordonnance n’a jamais été ratifiée jusqu’à nos jours.

Alors déjà à ce niveau, il y a des écoles (juristes) qui s’affrontent. Il y a l’école classique qui estime que tant qu’une ordonnance n’est pas ratifiée, elle devient caduque, selon la grande tendance qui est en train d’évoluer néanmoins. Au niveau des praticiens, notamment ce qu’on peut appeler l’école évolutive, on estime que si l’ordonnance n’est pas ratifiée, on ne l’applique plus. Cependant l’ordonnance n’a été ni abrogée, ni annulée, ni remplacée et il y a eu des précédents d’application, c’est-à-dire que l’ordonnance a été appliquée dans le temps. Donc, on ne peut pas dire qu’elle n’a pas existé.

C’est un débat qui continue puisque l’ordonnance regorge la plupart des conventions internationales que nous avons signées. Alors, nous savons que cette ordonnance n’aura pas le même niveau de valeur qu’une loi, mais elle serait considérée comme un acte administratif. D’où son application continue par les juridictions pour mineurs. Jadis, une juridiction mal comprise, aujourd’hui vraiment on peut dire que le tribunal pour enfants sort du silence et commence à être vu par beaucoup de citoyens. De nos jours, le tribunal est suffisamment fréquenté, même si nous demandons encore beaucoup plus de collaboration avec les autres juridictions qui s’occupent de l’enfance.

Donc, la collaboration avec les autres magistrats dans les autres juridictions est de mise, ainsi que la compréhension des citoyens. C’est pour dire que désormais tous les problèmes des enfants, hormis ceux dont les parents sont en situation de divorce devant les autres juridictions, sont gérés par le Tribunal pour enfants.

Dr Moussa Toufado Touré, vous êtes le président du tribunal pour enfants depuis trois ans, quelles sont les grandes innovations qui y ont été apportées ?

Très bonne question (sourire) ! Quand vous me demandez, cela me rappelle beaucoup de choses parce que j’ai des anecdotes à raconter. Par exemple, quand je suis venu après la passation de services, j’avais un dossier où il fallait désigner sinon ordonner une enquête sociale pour déterminer la situation d’un enfant, notamment son identité, ses parents, les revenus…, pour prendre une décision. Nous avons désigné un assistant social qui est au niveau du tribunal, il a fini son enquête et il a fait son rapport. C’était un rapport manuscrit. Alors là, j’étais choqué par ce comportement.

Je lui demande pourquoi il m’amène un rapport écrit à la main que je dois ajouter dans des dossiers qui peuvent aller partout et il m’a répondu qu’il n’a pas d’ordinateur. Alors, là j’étais abasourdi. Je me suis dit, mais comment est-ce qu’en ce 21e siècle et en pleine capitale du Mali, on puisse imaginer dans une juridiction qu’on produise un rapport manuscrit ? Cela ne pouvait pas marcher. Immédiatement, j’ai appelé le ministre de la justice à l’époque, Malick Coulibaly,  et je lui ai demandé comment voulait-il avoir des résultats avec des moyens pareils, si on doit continuer à travailler comme dans l’antiquité ? Vous ne pouvez pas demander de résultats aux agents si vous ne les mettez pas dans les conditions minimum de travail. D’ailleurs le tribunal, à mon arrivée, n’avait même pas le visage d’un environnement de travail, il ressemblait à un ancien musée abandonné. On ne pensait même pas que c’était un service public. Donc, il a fallu que nous fassions des lobbyings que nous écrivions, que nous saisissions toutes les instances possibles au ministère de la Justice ; au ministère de la promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille ; au niveau des directions de l’Administration de la Justice ; au niveau des affaires judiciaires, etc.

Finalement, au niveau du département, on a débloqué une situation pour procéder à la rénovation et aujourd’hui, le tribunal est presque entièrement rénové, puis équipé. Naturellement, quand il y a des rénovations de cette grandeur et que le tribunal est équipé, il va de soi que le président exige de ses collaborateurs des résultats meilleurs et nous avons instauré une rigueur au niveau du tribunal pour enfants. Désormais, les négligences ne sont pas tolérées et cela a forcé le respect des autres juridictions, qui justifie qu’aujourd’hui au niveau du tribunal pour enfants, il n’y a aucun complexe vis-à-vis des autres juridictions et les gens se sentent même fiers. C’est là, le premier élément.

Le second élément n’est pas d’ordre matériel, ce sont les compétences méconnues du tribunal pour enfants. Toutes les juridictions partaient sur notre champ d’intervention et les compétences étaient violées. Certains tribunaux s’arrogeaient des compétences du tribunal pour enfants, notamment en matière d’adoption, de protection d’un mineur… Il a fallu que nous écrivions pour dire que nous n’avons rien inventé. Vous lisez l’article 50 du Code de protection de l’enfant qui énumère toute une situation où des enfants peuvent être trouvés, notamment les enfants retrouvés ou abandonnés, récupérés ou recueillis. Ce sont justement ces enfants, traversant des difficultés, qui relèvent du tribunal pour enfants. Et nous avons écrit pour que les autres juridictions respectent cela.

Maintenant l’autre pan de la bataille, c’est justement par rapport aux enfants enrôlés par les groupes armés et terroristes. Parce qu’il y avait une concurrence entre le tribunal pour enfants et le tribunal en charge de la lutte contre le terrorisme qui pense qu’il s’agit de sa compétence parce qu’il s’agit de lutter contre le terrorisme. Et quand nous sommes arrivés, nous avons dit que cela ne relève pas forcément du tribunal spécialisé pour la question de lutte contre le terrorisme, parce qu’il s’agit d’un enfant, d’un mineur.

Par exemple quel est le sort d’un enfant appréhendé prêt à exploser une bombe contre des innocents ou pris sur le champ de bataille avec une arme ?

Là, vous posez une question un peu délicate. Selon les principes ratifiés par le Mali, un enfant enrôlé par un groupe terroriste est une victime et non un coupable. Cependant, il y a de l’ambiguïté au niveau des textes. Mais le plus important est que cet enfant doit être confié au tribunal pour enfants. Comme je disais tantôt ce sont des difficultés que nous avions en matière de conflit de compétence, mais depuis lors, il a fallu fouiller et trouver sur le plan de la documentation, notamment sur le plan international. C’est comme ça que nous avons vu notamment les principes de Paris, les Accords de Beijing, le principe de New York, etc. pour dire que désormais les affaires concernant les mineurs ne relèvent que de la compétition du tribunal pour enfants.

Cependant, cela ne veut pas dire que les enfants ne doivent pas être jugés parce que les pays avec lesquels on a ratifié ces principes jugent les enfants. Mais, il faut passer par le tribunal pour enfants. Il faut aussi revoir les textes au niveau des conventions pour que la justice, même pour enfants, puisse rendre justice.

Et là au départ, il y avait un conflit de compétence et les autres s’appliquaient beaucoup à parler de la compétence d’attribution décidée par la loi. Mais, nous avons estimé que la compétence d’attribution, c’est vrai. Mais, la compétence personnelle prévaut sur la compétence d’attribution. Parce que l’attribution, c’est ce qu’on vous donne et la compétence personnelle est ce qui est en vous, qui vous appartient.  Donc, suite à la retraite judiciaire à Ségou en 2019, la question a été débattue avant d’être tranchée. Et je me réfère ainsi non seulement aux travaux de la retraite judiciaire de Ségou où pendant trois jours nous avons discuté de ces questions, mais aussi le protocole d’accord des cours suprêmes des pays du G5-Sahel qui dit clairement dans son article 5 que les enfants enrôlés par les groupes armés et terroristes sont justiciables devant des juridictions pour mineurs et pour moi la question était déjà close et il fallait seulement appliquer les choses comme telles.

Mais de la retraite judiciaire où la question a été tranchée à aujourd’hui, force est de reconnaître que la volonté politique a manqué et il n’y a pas eu de transfert. Parce que le Mali a signé avec le système des Nations Unies une convention pour ne pas juger les enfants enrôlés par les groupes armés ou terroristes et conformément au principe international de considérer que l’enfant enrôlé est considéré comme victime et non coupable. Mais encore une fois, c’est au tribunal pour enfants qu’il faut laisser l’appréciation même si, je le répète, il y a de l’ambiguïté dans les textes ratifiés à travers les conventions.

Qu’est-ce qu’il y a lieu de faire alors ?

Justement, il y a une circulaire interministérielle qui confie la gestion de ces enfants-là, au système des Nations Unies à travers l’UNICEF qui travaille avec la direction de la promotion de la Femme et de l’enfant. Cette direction a ouvert un centre où les enfants terroristes sont placés. Même à ce niveau, il y a un problème parce que normalement le placement requiert de la prise d’une ordonnance du juge des enfants. Et aucune ordonnance n’a été prise depuis que cette situation a commencé. Donc, on peut dire que les enfants sont placés en détention irrégulière dans ce centre-là et qu’il faille revoir la convention entre le Mali et le système des Nations Unies pour corriger des lacunes et des erreurs commises et de pouvoir donner au tribunal pour enfants la plénitude de sa compétence pour gérer puisque le tribunal n’a pas seulement la vocation de sanctionner bien au contraire, la première vocation du tribunal est de protéger les enfants. Cela est valable pour les enfants en conflit avec la loi, mais aussi ceux en situation de danger moral et matériel. Voilà l’une des batailles que nous menons et nous espérons que cela va continuer même après nous.

Qu’en est-il de la prise en charge des enfants soldats à l’intérieur du pays ?

Comme je l’ai dit, la compétence du tribunal pour enfants se limite seulement sur l’étendue du District de Bamako. Pour l’intérieur du pays, il y a une particularité. Normalement, au sein du tribunal qui y existe, on crée une filiale dédiée à la question juvénile et les questions sont traitées par un juge des enfants qui normalement applique les textes qui statuent sur la question de l’enfant en tenant compte des conventions signées.

Entretien réalisé par Amadou Kodio

Source : Ziré

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