Cela fait désormais trois mois qu’un contingent de soldats ivoiriens est détenu à Bamako, accusé par la junte d’être des mercenaires. Alors que le président Alassane Ouattara salue des progrès dans les négociations, la gestion de la crise suscite critiques et controverses au sein de la classe politique ivoirienne.
L’affaire des soldats détenus au Mali s’apprête-t-elle à connaître une fin heureuse ? Trois mois après l’arrestation à Bamako du contingent de soldats ivoiriens, accusés par la junte d’être des mercenaires, les autorités ivoiriennes affichent leur optimisme. “Les choses évoluent bien”, se félicitait le président ivoirien Alassane Ouattara, vendredi 7 octobre, au lendemain d’une rencontre avec Faure Gnassingbé, médiateur dans le dossier.
En juillet dernier, en sollicitant son homologue togolais pour assurer le rôle d’intermédiaire dans les négociations, le chef de l’État ivoirien espérait obtenir la libération rapide des militaires. Mais la situation s’est depuis durablement enlisée, suscitant au sein de la classe politique de nombreuses interrogations sur la stratégie du gouvernement. Explications.
Une affaire aux contours flous
Arrêtés le 10 juillet à l’aéroport de Bamako, les soldats en provenance de Côte d’Ivoire ont été accusés par la junte au pouvoir d’être des mercenaires venus “briser la dynamique de la refondation et de la sécurisation du Mali”. Ils ont été inculpés mi-août pour “tentative d’atteinte à la sûreté de l’État”.
Côté ivoirien, le gouvernement affirme que ces troupes ont été déployées en soutien à la mission de l’ONU au Mali (Minusma). Une version d’abord démentie par les Nations unies, qui ont ensuite rallié la position d’Abidjan, signalant des “dysfonctionnements”. Dans ce contexte, l’opposition ivoirienne avait demandé l’ouverture d’une enquête parlementaire, en vain.
“L’Assemblée nationale n’a jamais fait l’enquête. Or, pour que le peuple puisse se prononcer, il faut qu’il sache les tenants et les aboutissants de cette affaire”, déclarait début septembre l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo dans les colonnes du journal d’opposition Le Temps. “Il faut qu’il sache d’abord si ce sont des militaires, des militaires ivoiriens, et qu’on sache ce qu’ils faisaient au Mali.”
Jusqu’à présent, le gouvernement ivoirien n’a communiqué aucune information sur l’identité des 46 soldats toujours prisonniers au Mali. Des sources proches de la junte malienne ont récemment signalé la présence de soldats étrangers au sein du contingent. Une information vivement démentie du côté d’Abidjan. “Tous ces soldats sont bien sûr ivoiriens, nous avons leurs identités et les communiquerons en temps voulu”, prévient Joël N’Guessan, cadre du parti au pouvoir (RHDP), contacté par France 24.
L’opposition sur la touche
Engagée depuis le début de la crise, la médiation togolaise, pilotée par le président Faure Gnassingbé, a remporté début septembre une première victoire en obtenant la libération de trois femmes soldats pour “raisons humanitaires”. Mais les relations se sont à nouveau tendues entre les deux parties lorsque Bamako a émis le souhait que la Côte d’Ivoire extrade certains de ses ressortissant poursuivis par la justice malienne.
“Ce nouveau blocage après la libération des trois prisonniers a suscité une énorme déception en Côte d’Ivoire”, souligne Paul Koffi, directeur de publication du journal Le Nouveau Réveil, l’organe officiel du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA), formation de l’ancien président Henri Konan Bédié. “Il aurait alors été judicieux d’explorer d’autres voies de négociations par le biais des oppositions. Cette démarche aurait envoyé un signal fort vis-à-vis du Mali, celui d’un front uni au sein de la société ivoirienne sur ce dossier”, juge-t-il.
Sur la même ligne, l’opposant Guillaume Soro s’est prononcé en faveur de la médiation proposée par l’ancien président Laurent Gbagbo.
Mais du côté du pouvoir, ces propositions passent mal. “Si elles veulent participer, les forces d’opposition peuvent appeler à l’apaisement. Or, depuis le début de cette crise, elles tentent de discréditer l’action du gouvernement”, fustige Joël N’Guessan. “En tant que patron des forces de défense et de sécurité, le président est le seul à engager sa responsabilité dans ce dossier. L’opposition devrait se montrer solidaire. Il s’agit de notre sécurité, ce n’est pas un jeu.”
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Fin août, la militante des droits humains Pulchérie Gbalet, proche de l’opposition, a été arrêtée à Abidjan après un voyage au Mali. Accusée d’avoir voulu intercéder auprès des autorités maliennes sans l’aval du gouvernement ivoirien, elle est actuellement incarcérée et poursuivie pour “entente avec les agents d’une puissance étrangère”.
Pression internationale
Enfin, le rôle des instances internationales dans cette affaire suscite lui aussi bien des débats. Réunie le 22 septembre à New York en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) avait appelé à la libération immédiate des 46 militaires ivoiriens détenus au Mali. La veille, lors d’un entretien avec RFI et France 24, Umaro Sissoco Embalo, son président en exercice, avait évoqué la possibilité de nouvelles sanctions contre la junte malienne.
“Abidjan a tenté d’embarquer la Cédéao et l’ONU dans une stratégie de pression contre Bamako qui n’a rien donné”, déplore Rodrigue Fénélon, journaliste spécialiste de la Côte d’Ivoire, proche de Guillaume Soro. “Cette crise concerne avant tout deux pays, la Côte d’Ivoire et le Mali. Si Alassane Ouattara avait fait preuve d’humilité et qu’il avait fait porter un message d’excuse à Bamako pour les dysfonctionnements constatés, je pense que le Mali aurait répondu favorablement.”
À l’inverse, Joël N’Guessan insiste sur le rôle de la Cédéao, qu’il juge fondamental dans cette crise : “C’est une affaire très grave, qui doit être réglée à l’échelle de la région. L’implication multilatérale est nécessaire pour constituer un précédent et que jamais plus des soldats ne puissent être arrêtés et détenus de la sorte par une puissance étrangère.”
S’il confirme d’importantes avancées dans les négociations entre Bamako et Abidjan, le cadre du RHDP se garde pour l’heure de tout triomphalisme. “Il peut s’agir d’heures, de jours ou de semaines. Nous ne confirmerons pas la libération de nos soldats tant qu’ils n’auront pas regagné Abidjan et été accueillis par la hiérarchie militaire.”
Source: AFP