Les deux organisations de défense des droits de l’homme viennent de rendre public un rapport alarmant sur la situation du centre du Mali intitulé « Centre Mali : les populations prises au piège du terrorisme et du contre-terrorisme». L’information a été donnée lors d’une conférence de presse, le mercredi 21 novembre 2018 à la Maison de la Presse. La rencontre, présidée par Me Moctar Mariko, Président de l’AMDH et Avocat des victimes, a enregistré la présence de M. Amadou Bocar Tégueté, membre du bureau national de l’AMDH, Drissa Traoré, Coordinateur du projet conjoint FIDH-AMDH, Me Aliou Keita, membre du bureau national de l’AMDH, Mme Traoré Nana Sissako, membre du bureau national de l’AMDH, la délégation de l’Union Européenne et tous les acteurs concernés.
Au cours de la rencontre, la FIDH et l’AMDH ont lancé des alertes sur la situation dans le centre du Mali, caractérisée par l’enracinement des groupes armés terroristes, l’intensification des violences intercommunautaires et des exactions commises dans le cadre d’opérations anti-terroristes. Alors que plusieurs chefs djihadistes viennent d’appeler à la poursuite et l’extension du conflit en attisant cyniquement les différences communautaires, les organisations appellent le gouvernement malien à juger enfin les auteurs des crimes et exactions graves commis dans la région, y compris par des militaires.
Selon le rapport, le centre du Mali concentre désormais 40% des attaques djihadistes menées dans le pays. Ces deux dernières années, 1 200 civils y ont été tués, une cinquantaine de villages brûlés, au moins 30 000 personnes ont fui la région. « L’escalade des violences au centre du Mali est en passe de devenir hors de contrôle et ne se résoudra pas à coup d’opérations militaires spectaculaires. Sans le retour d’un État fort et juste qui entreprendra de rétablir le lien entre toutes les communautés, la terreur djihadiste et les affrontements entre communautés continueront de prospérer », déclare Maître Moctar Mariko, président de l’AMDH.
Issu d’une enquête de terrain menée entre mai et juillet 2018, le rapport présenté est basé sur plus de 120 interviews et témoignages de rescapés, témoins, anciens djihadistes et responsables locaux. Il recense une série de meurtres et de tueries, en les réinscrivant dans la dynamique régionale des violences.
Les djihadistes, premiers responsables de la terreur et de l’instabilité
Assimilant depuis 2012 le centre du Mali à une « zone à gagner » par la terreur, ils n’ont depuis cessé de le déstabiliser, avec une acuité accrue depuis 2015. Sous l’impulsion d’Amadou Koufa, un prédicateur local devenu un des chefs de la nébuleuse Al Qaida au Sahel, indique le rapport, la Katiba de Macina a ciblé militaires, représentants de l’État, chefs traditionnels et religieux et toute personne opposée à sa vision rigoriste de la religion. Plusieurs dizaines de villages du centre du Mali vivent désormais sous son joug, caractérisé par l’imposition de règles de vie totalitaires, des exactions graves et répétées (enlèvements, actes de torture, assassinats, violences sexuelles) et la fermeture des écoles publiques (750 écoles fermées selon l’UNICEF en mai 2018).
Des milices communautaires comblant dangereusement le retrait de l’État
Dans le centre du Mali, l’effondrement des services de l’État à partir de 2012, année de l’offensive djihadiste au nord, a conduit à un vide sécuritaire et judiciaire. Il a été comblé par la multiplication des milices d’autodéfense, essentiellement constituées sur des bases communautaires et ethniques et désormais équipées d’armes légères. Qu’elles soient peules, bambaras, ou dogons, elles ont contribué à l’infernal cycle d’attaques et de représailles. La passivité de l’État face aux exactions commises par plusieurs milices, notamment les Donzos, questionne sur les soutiens politiques dont certaines bénéficient.
Les abus de certaines opérations antiterroristes sont un obstacle au retour de l’État
Les Forces Armées Maliennes (FAMA) ont été lourdement impactées par la déferlante djihadiste de 2012 dans le nord du Mali, puis les attaques incessantes des groupes islamistes. Début 2018, les autorités maliennes ont lancé un « Plan de sécurisation intégré » des régions du centre, prévoyant un renfort de 4 000 militaires et des moyens supplémentaires. Il s’est traduit par le lancement de l’opération anti-terroriste « Dambé » en février 2018, au cours de laquelle près d’une centaine de personnes auraient été exécutées sommairement et de façon extrajudiciaire. Au cours des six opérations détaillées dans le rapport, des unités des FAMA ont notamment arrêté et exécuté 67 individus présentés comme des « terroristes » et ont fait disparaître leurs corps dans des fosses communes. La majorité des victimes sont des civils peuls assimilés aux djihadistes. « Certaines opérations anti-terroristes des FAMA ont été de véritables expéditions punitives, répondant au même mode opératoire : arrestation sur la base de liste de noms, exécution sommaire, enfouissement des corps dans des fosses communes. Ces crimes n’ayant donné lieu à aucune condamnation risquent de se poursuivre, alors qu’ils sont commis contre des civils désarmés, qu’ils soient ou non des soutiens des djihadistes », note Maître Drissa Traoré, Vice-président de la FIDH. Ces exactions participent à l’engrenage des violences et la marginalisation de certaines communautés, constituant un frein au retour de l’État dans certaines zones, en passe de devenir les bases-arrières des manœuvres de déstabilisation observées dans d’autres états de la région. «L’expansion continue des groupes armés djihadistes au Mali et dans toute la sous région marque l’échec du tout sécuritaire. Reconquérir la confiance et le cœur de toutes les populations nécessite un changement de cap et de politique au Mali comme dans le reste du Sahel », remarque Florent Geel, Directeur Afrique de la FIDH. « La stratégie militaire doit s’arrimer aux objectifs politiques, en redonnant à l’État son rôle de protecteur et d’arbitre juste des différends. Les populations demandent avant tout à pouvoir vivre en paix. Leur redonner confiance passera obligatoirement par le jugement des responsables des crimes graves, qu’ils soient djihadistes, membres de milices ou agents de l’État », indique le rapport.
Bourama Camara
Le challenger