Depuis quelques années, le Mali avec la bénédiction de dame nature, s’est inscrit dans le cercle restreint des pays producteurs d’or. Si l’exploitation de l’or ou orpaillage contribue à l’amélioration du PIB, permet la création d’emplois et engendre des richesses tant pour les multinationales que certains privés maliens, il n’en demeure pas moins qu’il existe le côté caché de l’iceberg dont on parle moins : l’impact de l’activité sur l’Environnement.
L’exploitation des mines d’or ou orpaillage, qu’elle se passe sous une forme moderne ou artisanale, comporte toujours des effets négatifs sur notre environnement. Mais la forme d’exploitation minière qui comporte le plus de nuisances sur le milieu naturel se trouve être l’orpaillage traditionnel. Le but de notre écrit n’est pas de jeter l’anathème sur qui que ce soit, mais d’attirer l’attention de l’opinion nationale et surtout le Gouvernement sur une grave catastrophe écologique en pleine gestation à proximité des villages de Fékola et de Sakola dans la commune de Sitakili dans le cercle de Kéniéba à Kayes.
En effet, il faut paraphraser un adage bambara qui dit ceci : « Seul celui qui ne connaît pas le porc épic forme le point pour le boxer », fin de citation. En d’autres termes, seul celui qui ne connaît pas la force de nuisance de la pratique de l’orpaillage traditionnel sur l’environnement pense qu’il est aisé de canaliser les actions négatives de ces acteurs sur le terrain.
Aujourd’hui, à l’intérieur de ces zones sensées faire partie intégrante de la réserve partielle du fleuve Falémé, à la frontière Mali-Sénégal, un site d’orpaillage traditionnel s’est créé en un laps de temps, au rythme qu’un « gros village » d’orpailleurs a vu le jour. Un fait majeur saisi tous les passants un peu curieux ou ayant juste un peu de temps pour observer ce capharnaüm sur le site de Randgold, dans la localité de Sakola. Des huttes sommairement fabriquées de seccos, de bâches ou de sacs en jutes sont disposées en quinconce comme un champ de champignons après une pluie. Des trous creusés pêle-mêle avec de la terre entreposée aux abords. L’élément majeur qui saisit immédiatement le visiteur, c’est la marée humaine constituée de piétons, de charretiers, de motocyclettes baignant dans une pollution atmosphérique indescriptible. Aux eaux cyanuriques, à ciel ouvert, s’ajoute un décor digne d’un film western intitulé « La ruée vers l’or » ainsi planté, passons aux véritables problèmes que cette installation anarchique d’orpailleurs pourrait engendrer très prochainement sur l’Environnement si rien n’est fait.
De l’occupation illégale et de la dégradation de la réserve partielle du Falémé
Au Mali, la gestion des forêts classées et des réserves partielles relève de la compétence de la Direction Générale des Eaux et Forêts, Département technique du Ministère de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement Durable. Théoriquement, toute occupation d’une forêt qu’elle soit classée ou non est régie par une autorisation des services compétents dudit ministère. Pourtant nous doutons très fort que les orpailleurs de Sakola disposent d’une quelconque autorisation. N’ayons pas la mémoire courte et ne laissons pas surtout l’histoire se répéter ! Les forêts de Kéniéba et de Sadiola dans la région de Kayes sont allègrement occupées par les orpailleurs sous le regard impuissant voire complice de l’administration des Eaux et Forêt de l’État. Pour qui connaît les capacités de nuisances de l’orpaillage traditionnel sur l’environnement, cela se passe de commentaires. Il se pratique malheureusement au détriment de la gestion durable de nos ressources naturelles que nous avons pourtant obligation de préserver pour les générations futures. Les arbres et arbustes sont abattus, sans état d’âme, pour des constructions d’abris de fortune, pour la cuisine ou pour servir d’étaies dans les galeries. Les sols transformés en véritables gruyères ou paysages lunaires ne font jamais l’objet de restauration après le départ de ces acteurs.
Les forêts de Kéniéba et de Sadiola constituent les derniers grands sanctuaires de la faune malienne. Pour tous ceux qui empruntent, régulièrement, la route Kita-Sadiola-Maïnamine (frontière Mali-Sénégal), il est très fréquent d’observer à certaines périodes de l’année, à la lisière de la réserve du Falémé des troupeaux d’antilopes de singes, de buffles et d’autres animaux sauvages. Aussi, il est fortement à craindre que les risques avérés d’effondrement des galeries creusées par les orpailleurs ne se transforment en pièges mortels pour certains animaux. Les orpailleurs creusant en souterrain pour la recherche du précieux minerai, à ce jour, rien ne prouve que leurs galeries ne soient pas allées au-delà des limites fixées en surface par les services forestiers.
La recrudescence du braconnage
Le braconnage se définit comme un délit constitué par l’action de chasser ou de pêcher sans permis et sans autorisation en des endroits réservés. Des concessions de chasse en plus des zones frontalières de la Guinée, déjà confrontées au phénomène de braconnage à grande échelle des antilopes, devront dorénavant faire face à celui des petites espèces animales telles les cobs de Buffon, les ourébi, les céphalophes etc. La proximité du site d’orpaillage avec des concessions de chasse aidant, cela va inéluctablement engendrer chez certains adeptes du gain facile, la tentation de braconner à peu de frais du gibier pour un éventuel approvisionnement des multiples gargotes installées sur le site. Si toutefois les mesures de lutte anti braconnage au demeurant insuffisantes ne sont pas renforcées par les services forestiers et les concessionnaires, cela risque de porter un préjudice non négligeable et irréversible à cette richesse faunique qui fait des envieux dans la sous région ouest africaine.
Les risques avérés d’empoisonnement de la faune et de la population de toute une région
Sous nos cieux, l’orpaillage traditionnel rime avec l’usage incontrôlé du cyanure et du mercure, substances toxiques et dangereuses dont l’ingestion peut s’avérer mortelle pour l’homme et pour la faune.
Le site d’orpaillage de Sakola se situe à quelques encablures de la frontière du Sénégal. Avec la porosité de nos frontières, la duplicité de certains agents des douanes et l’analphabétisme des orpailleurs sur la dangerosité des substances ci-dessus citées, rien ne pourra empêcher leur introduction et leur utilisation frauduleuse sur le terrain.
Le risque majeur, c’est que le site d’orpaillage se situe en plein cœur du bassin du Falémé qui marque la frontière naturelle entre le Mali et le Sénégal. En l’absence de forages, les populations du village de Sitakili et des hameaux de cultures environnants utilisent de nos jours pour leurs usages divers, les eaux des petits cours d’eau qui alimentent le Falémé qui est par excellence l’abreuvoir naturel de l’ensemble de la faune vivant dans les concessions cynégétiques de Sadiola, Kéniéba et de Maïnamine.
Au Mali, sur les différents sites d’orpaillage artisanaux, nul n’ignore l’utilisation du cyanure ou du mercure pour extraire le minerai d’or de la roche concassée (photo d’illustration). Seulement nous craignons très sincèrement que ces produits chimiques très toxiques ne soient drainés vers les cours d’eau précédemment cités. De nos jours, le bidon d’eau de vingt (20) litres se vend à 1000F CFA sur le site d’orpaillage. Au regard de la cherté de cette denrée combien essentielle qu’est l’eau, touchons du bois que des orpailleurs mal intentionnés ne soient tentés de se rendre sur le Falémé situé à quelques jets de pierres pour « laver » leur minerai et bonjour les dégâts !
L’objet du présent écrit n’est pas de jeter l’anathème sur la pratique de l’orpaillage artisanal qui engendre non seulement de nombreux emplois pour les jeunes et participe à la création de richesse sur le plan national, mais de prendre à témoin l’opinion nationale sur la dangerosité de la pratique d’orpaillage à Sakola qui se traduit par une occupation illégale et la destruction d’un pan de la réserve partielle, du braconnage d’animaux sauvages et des risques potentiellement élevés d’empoisonnement des ressources hydriques de la zone.
Nous n’avons à priori aucune animosité contre la pratique de l’orpaillage traditionnelle. Conscient de l’intérêt que la sauvegarde et la gestion rationnelle de la faune sauvage pourraient apporter au pays tout entier, nous pensons qu’il sied que les Ministères de l’Environnement, de l’Énergie et des Mines, de l’Administration Territoriale et de la sécurité intérieure en synergie mènent des actions coercitives pour la fermeture pure et simple de ce site.
Enfin, il ne serait pas superflu de proposer aux Ministères ci-dessus nommés de se pencher plus sérieusement sur le déplacement des autres sites d’orpaillage artisanaux, des hameaux de cultures et des villages qui squattent les réserves fauniques.
La destruction de l’Environnement ne rapporte absolument rien à une nation. Ensemble, œuvrons pour la sauvegarde de la faune et des forêts maliens !
Jean Pierre James, envoyée spécial à Kéniéba
Source: Le Nouveau Réveil