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“Sira ou les divas de la capitale” : La rivalité aux allures assassines

“Sira ou les divas de la capitale” (Innov Éditions, 2019) est la toute première publication de l’écrivain malien Modibo Touré. Cet ouvrage de 118 pages fait tomber le masque sur la face hideuse de la femme malienne qui passe du statut de la victime à celui du bourreau par le biais de la “sinaya”. Le roman aborde plusieurs thèmes d’actualité dans notre pays, notamment l’immixtion du religieux dans la politique.  

Le roman, dit-on, est le reflet de la société. Ce genre littéraire emprunte la fiction pour brosser les réalités les plus profondes. Dans le sien, sa toute première publication littéraire, l’écrivain malien, Modibo Basseydou Touré, nous rend une copie quasi conforme de nos sociétés actuelles. Sira ou les divas de la capitale est un roman d’actualité qui déballe sans concessions et idéalisme les maux qui gangrènent la société malienne et africaine.

Sira, le personnage principal du roman, est une femme instruite et épanouie, directrice d’une Ong qui lutte pour le droit des enfants. Mais l’épanouissement d’une femme dans notre société tient à plusieurs facteurs : le mariage, l’indépendance financière, mais surtout la maternité. Ainsi, dans nos sociétés, même si une femme possède toutes les richesses du monde, si elle n’a pas une progéniture, sa richesse laisse à désirer. Voilà le sort qui pousse Sira à proposer à son époux, Kanté, de prendre une seconde femme pouvant lui donner un héritier, ne se sentant plus capable d’en faire après 5 ans de mariage. Ce dernier, sceptique au départ, finira, par accepter en épousant Awa, la fille de son ami.

Un être ambivalent

Kanté devient ainsi polygame par la force des choses et il va devoir subir les conséquences néfastes de son régime matrimonial. Sira qui encourage son mari dans ce projet ne sera plus enthousiaste au moment du mariage de sa coépouse. L’arrivée d’Awa jette ainsi le germe d’une cohabitation difficile entre les deux femmes qui vont se livrer une bataille sans merci. La sinaya, en langue bambara, est une rivalité truculente entre deux ou plusieurs coépouses, parfois aux conséquences tragiques. “Si tu demandes à une femme de vendre sa coépouse, elle s’en réjouirait. Si elle ne trouve pas de client, elle la donnerait à crédit”, dit un adage.

Mais chacune de ces coépouses serait capable de faire disparaître l’autre, tant la rivalité est rude. Dans cette lutte, tous les coups sont permis pour faire du mal à l’autre. Certains polygames avertis ou disposant de moyens, séparent leurs épouses pour éviter cet enfer dans leur foyer.

Sira ou les divas de la capitale est un roman réaliste dénué de toute idée ou vision partisane. Il fait de son auteur un écrivain de rupture qui décrit avec une sincérité inouïe les réalités de notre société. A l’inverse de toutes les idéologies qui définissent la femme comme la victime, l’auteur nous dévoile d’autres facettes plus ou moins immondes de la femme, notamment vis à vis du sexe opposé. Celle qui endosse la tunique du bourreau, de l’hypocrite, de la perfide et de la méchante.

L’infidélité et la pratique de la contraception d’Awa entraîne le décès de Kanté qui ne supporte pas la vérité sur sa deuxième femme pourtant censée lui donner un héritier. Madame Coulibaly, l’une des membres du groupe d’amies de Sira appelé Les divas de la capitale, par jalousie, blesse son époux en lui donnant une bouilloire contenant de l’eau chaude pour ses besoins de toilettes.

L’ouvrage laisse entrevoir également l’hypocrisie qui prévaut dans les relations qu’entretiennent les femmes. Leurs présents offerts au mariage ou au baptême de l’une n’est en effet qu’un prêt à rembourser quand c’est le tour de l’autre de célébrer un de ces évènements. Aucun humanisme ne se trouve derrière ces dons qui sont minutieusement listés dans un cahier. Pour preuve, des membres des Divas de la capitale vont jusqu’à réclamer leurs présents à la famille de leur amie Doussou, décédée quelque temps après le baptême de son enfant.

Et des Alhamdullilah  “Dieu merci” sont dits quand Sira, la plus généreuse du groupe, perd son bébé avant même le jour de son baptême parce que qu’elles n’auront plus à rembourser ses dettes.

La prophétie

Cependant, ce roman dénonce plusieurs pratiques dans notre société qui vont de la condition des aide-ménagères à l’exode rurale, en passant par la rébellion, la démocratie ou encore l’immixtion des religieux dans la politique.

La dernière thématique confère un caractère prophétique à l’ouvrage au vu de la crise sociopolitique qui secoue actuellement le Mali avec la naissance d’une farouche et sanglante opposition avec comme tête de proue l’imam Mahmoud Dicko.

Ces opposants issus des groupements de partis politiques, d’associations de la société civile et des mouvements religieux demandent la démission du président Ibrahim Boubacar Kéïta et de son régime malgré la médiation de la Cédéao (article rédigé avant le coup d’état militaire et la démission du président, ndlr).

Toutefois, le Mali n’est pas le seul mauvais élève de la démocratie, dont les valeurs régaliennes sont foulées au pied un peu partout en Afrique. La soif des dirigeants africains à se maintenir au pouvoir en modifiant la constitution et la mauvaise gouvernance ponctuée par la corruption sont en partie les causes des récentes sociopolitiques récurrentes en Afrique.

Dans son livre, l’auteur s’interroge sur le modèle de démocratie dans certains pays africains comme le Mali ; décrivant une “démocratie dans laquelle de simples prédicateurs confisquent les prérogatives du président de la République” et dans laquelle “pris en sandwich entre deux types de politiques, le peuple ne sait plus à quel saint se vouer”. Des passages qui illustrent à la perfection la situation actuelle du Mali où les discours des leaders religieux et politiques divergent.

Subdivisé en trois séquences, Sira ou les divas de la capitale est écrit dans un style digeste facile à lire et à comprendre. Il contient plusieurs proverbes de sagesse africaine et des citations instructives. Le livre accorde une place importante à la langue nationale malienne, le bambara, qui le rapproche davantage de ses lecteurs immédiats. La maîtrise de la langue française et les jeux de mots rendent la lecture agréable. Sa richesse vocabulaire n’est pas négligeable non plus. Avec cet ouvrage, Modibo Touré envoie un signal fort quant à sa carrière d’écrivain. L’un des mérites du roman est la multitude et la pertinence des thèmes qu’il aborde. Chaque thématique inspirée des réalités de notre société invite le lecteur à une prise de conscience. Modibo  n’écrit pas pour attirer l’admiration ou la complaisance de qui que ce soit. Il ne cherche pas non plus à impressionner le lecteur. Tout son intérêt se trouve dans le message qu’il véhicule. Ce qui pousse d’ailleurs le préfacier du livre, Tiènan Koné, à reprendre André Gide à son propos : “On ne peut pas faire de la bonne littérature avec de bons sentiments”.

Youssouf KONE

NB : Article produit dans le cadre de la 1ère session de la formation en critique d’art organisée par l’Agence Panafricaine d’Ingénierie Culturelle – Apic

 

Source: Aujourd’hui Mali
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