Philip Grant directeur de l’ONG Trial, spécialisée dans la lutte contre l’impunité en matière de crimes contre l’humanité, prévient d’emblée lors d’un entretien avec l’AFP: “Les images en elles-mêmes comptent rarement comme preuves déterminantes”. “Elles peuvent révéler des éléments importants, mais ne révéleront pas toute l’histoire”, ajoute-t-il en recommandant de rester “prudent” et en rappelant les manipulations passées et les interprétations erronées.
Le souvenir du faux massacre de Timisoara en Roumanie en 1989 reste vivace. De même que celui, bien réel, de Katyn en 1940, perpétré par l’Union soviétique qui en a accusé les Nazis.
La diffusion dans les médias internationaux de photos et de vidéos prises à Boutcha et montrant des corps dans la rue, certains les mains liées dans le dos ou partiellement brûlés, ainsi que des fosses communes, a provoqué l’indignation internationale.
Les autorités ukrainiennes affirment que les soldats russes ont massacré des civils, ce que Moscou dément, accusant les autorités ukrainiennes d’avoir mis le tout en scène.
Crime de guerre
Dans le cas précis de Boutcha “il semble assez clair que des crimes de guerre ont été commis”, dit M. Grant.
L’Office de la Haute-commissaire des droits de l’homme de l’ONU a ainsi estimé mardi que “tout pointe vers le fait que des civils ont été ciblés délibérément” ce qui constitue de facto un crime de guerre.
Mais Philip Grant insiste: les images seules ne permettent pas “d’attribuer cette responsabilité à une personne ou à un groupe précis”. Même si vous déterminez que “les Russes l’ont fait”, explique-t-il, “nous devons savoir qui a ordonné cela”. “Est-ce (le président russe) Vladimir Poutine? Est-ce le commandant sur le terrain? Est-ce une unité de voyous?”. “En termes de responsabilité pénale, il est trop tôt pour dire qui devrait se retrouver devant un tribunal pour ces crimes”, souligne-t-il. Un processus qui peut être long et compliqué.
La Cour pénale internationale, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et un nombre croissant de pays veulent enquêter sur les crimes de guerre en Ukraine depuis l’invasion par la Russie le 24 février, mais M. Grant prévient qu’ils auront “du pain sur la planche”.
Crime et châtiment
Le premier pas dans toute enquête de ce type est de “s’assurer qu’un crime a été commis”. “Cela peut sembler évident, mais ne l’est pas toujours”, rappelle M. Grant, surtout dans un contexte de guerre.
En temps de guerre, tuer des gens peut être légal: la mort d’un soldat au combat n’est pas considérée comme un crime, mais si on le tue après qu’il a été blessé ou fait prisonnier, c’en est un. Si des soldats sont tués au combat et inhumés dans une fosse commune, cela ne constitue pas un crime. Mais “si vous trouvez dans le charnier une famille, des civils, alors c’est probablement un crime”, explique le spécialiste.
Une fois qu’on a déterminé qu’un crime a été commis, vient la tâche souvent bien plus complexe de déterminer qui en est responsable. Les crimes de guerre impliquent “de nombreuses strates” de responsabilité dans toute la chaîne de commandement et “jusqu’au sommet”, selon M. Grant. Dans ce dernier cas, le plus difficile est “d’avoir accès aux suspects”, a-t-il ajouté. Si les enquêtes ukrainiennes “indiquent la responsabilité pénale de Poutine, vous devrez mettre la main sur la personne”. “Cela ne va pas être quelque chose de facile”, mais “c’est possible”, estime-t-il.
Il n’y a pas de délai de prescription pour les crimes de guerre. Outre le président Poutine lui-même, “il y a probablement des centaines de personnes dans l’appareil de sécurité qui pourraient à un moment donné être tenues pour responsables, sans même parler des soldats sur le terrain”, selon M. Grant.
Source: 7sur7