«Je suis très ému car je suis l’un des survivants de l’accident d’avion du 11 août 1974»
Survivant de crash d’avion survenu le 11 août 1974, Sékou Danioko (ancien steward de la compagnie Air Mali et non moins président de l’Association des anciens travailleurs d’Air Mali), pour commémorer la mémoire de ses compagnons décédés à la suite de cet accident, était le 11 août 2023 à Ouagadougou pour se recueillir sur leurs tombes. Dans ce ” pèlerinage ” à Ouagadougou, il était en compagnie des parents des victimes. Il a révélé que c’est grâce à Boukary Sidibé dit “Kolon” (qui a payé le voyage, le séjour, l’hébergement) qu’ils ont pu se rendre à Ouagadougou pour se recueillir sur les tombes de leurs 7 collègues maliens victimes du crash du 11 août 1974. Dans l’entretien qui suit, il explique tout sur l’accident d’avion qui a fait 59 morts dont 7 Maliens.
Aujourd’hui-Mali : Présentez-vous à nos lecteurs
Je suis Sékou Danioko, ancien steward de la compagnie Air Mali et actuellement, Président de l’Association des anciens travailleurs d’Air Mali. J’ai été parmi les 3 premiers stewards recrutés d’Air Mali en 1961.
Nous avons mis sur pied l’Association des anciens travailleurs d’Air Mali lors du cinquantenaire de l’indépendance du Mali. Lors de ce cinquantenaire, nous avons assisté à l’événement et nous avons estimé que les organisateurs de cette festivité n’avaient assez parlé d’Air Mali. C’est ainsi que je suis allé voir le président de la Commission d’organisation du Cinquantenaire, l’ancien ministre Hammadoun Dicko. Je lui ai demandé ce qui se passe car ils n’ont pas assez parlé d’Air Mali. Il m’a répondu qu’ils n’ont pas organisé le Cinquantenaire mais qu’ils l’ont accompagné. Il m’a dit que pour parler d’Air Mali, il faut que les anciens travailleurs se retrouvent au sein d’une association.
A l’adhésion d’Air Mali à Air Afrique en 1992, les travailleurs d’Air Mali qui sont restés à Bamako ont fait créer une association qui s’appelait Association malienne des anciens travailleurs de transport aérien. En ce moment, j’avais été affecté à Abidjan le 8 août 1994. A mon retour, cette association n’a pas beaucoup fonctionné.
Au moment du Cinquantenaire, nous avons dit que nous avons une association. J’ai cherché les contacts de cette association. Son président, Amadou Sidibé, était parti se soigner en France. Le Secrétaire général m’a dit qu’il n’a pas les documents de l’association. Nous avons été obligés de monter cette nouvelle association dénommée “Association des anciens travailleurs d’Air Mali”(AATAM). Nous avons contacté les autorités, l’aviation civile, les aéroports, l’assistance en escale, le ministère des Transports dont le ministre était Hamed Diane Séméga. Et nous avons célébré le Cinquantenaire au CICB.
L’AATAM a pour objectif de ne pas faire oublier Air Mali. Parce que nous estimons que nous avons été les meilleurs ambassadeurs pour le Mali avec le rapprochement des cultures, le rapprochement des peuples. Nous estimons que nous avons une part malienne dans le ciel africain. Parce que nous avons conquis ce ciel africain. En ce moment, nous n’étions pas nombreux en Afrique. Il y avait Air Mali, Air Guinée, Ghana Airways. Air Afrique est venu après. Ce qui nous a amené à créer l’AATAM pour qu’Air Mali ne soit pas oublié et qu’on n’oublie pas ce que nous avons réalisé.
Vous étiez le 11 août dernier à Ouagadougou pour vous recueillir sur des tombes. Qui sont ces disparus ?
Effectivement, nous étions le 11 août 2023 à Ouagadougou pour nous recueillir sur les tombes de nos anciens collègues disparus lors du crash d’avion le 11 août 1974. Les disparus sont le Commandant russe Alexis Soukourian, le copilote malien Moriba Doumbia, le mécanicien Birama Diarra, le navigateur Adama Konaté, le radio navigant Abdoulaye Makan Konaté, les stewards Oumar Sy et Seydou Kouyaté et le représentant d’Air Mali à l’époque à Niamey, Amadou Salif Traoré. Ce sont ceux qui sont morts dans le crash d’avion du 11 août 1974 à Ouagadougou.
Comment est survenu ce crash d’avion ?
Le crash s’est produit le 11 août 1974, à 47 km de la piste d’atterrissage de Ouagadougou. L’avion venait de Djeddah (Mecque). C’était un vol Oumra (le petit pèlerinage). Le promoteur de ce pèlerinage, Bablen Coulibaly, avait des contacts à Ouagadougou pour chercher des pèlerins. Et le représentant d’Air Mali à Niamey, Amadou Salif Kéita, cherchait aussi des pèlerins. Donc, nous sommes allés à Ouagadougou et Niamey pour embarquer des passagers que nous avons amenés à la Mecque. C’est au retour de la Mecque dont le rooting était Djeddah-Khartoum-Kano-Niamey-Ouagadougou. Nous avons fait l’escale de Khartoum et nous avons pris le carburant.
Nous avions une bonne météo. L’équipage a estimé que nous pouvons atteindre Niamey avec un vent favorable pour déposer les Nigériens. Quand nous sommes arrivés à Niamey, nous avons malheureusement constaté qu’il y avait un mauvais temps qui nous empêcha d’atterrir à Niamey.
Nous estimons que nous pouvons aller à Ouagadougou déposer les Voltaïques (actuels Burkinabé). Le pilote a mis le cap sur Ouagadougou où un mauvais temps nous attendait également. Nous avons beaucoup tourné. C’est à l’atterrissage à Ouagadougou que, malheureusement, l’avion est tombé. Et pourtant, la piste était allumée, le radio de bord recevait 5 sur 5, la piste était en vue. Le navigateur m’a dit d’aller m’asseoir. Et je suis parti m’asseoir à côté du technicien accompagnateur, Boubacar Diallo. Il était en train d’écouter son walkman. Il m’a dit de m’asseoir et d’attacher ma ceinture. Ce que j’ai fait. Et après, nous sommes tombés. Il y a eu le choc.
La cabine s’est détachée avec l’équipage et est allée dans un arbre avant de prendre feu. Les 5 de l’équipage sont morts là-bas. Je suis sorti avec le technicien accompagnateur. Après l’accident, ce dernier m’a dit que c’est lui qui m’a détaché de mon siège. Le technicien n’a pas eu grand-chose. Il y a eu 59 morts dont 7 membres maliens de l’équipage, le Commandant russe Alexis Soukourian et 13 survivants dont 9 Maliens. Nous sommes restés dans la brousse de 22 h 45 à 7 h du matin, avant l’arrivée des secouristes. J’ai eu une fracture à la clavicule gauche, des égratignures à l’oreille gauche et sous la narine.
Après l’accident, pourquoi les corps des Maliens n’ont pas été rapatriés au Mali ?
Après l’accident, rien n’est facile. Il faut d’abord retrouver les corps. Heureusement, les corps de l’équipage ont été retrouvés. Paraît-il que les secouristes ont mis du temps avant de retrouver le corps du pilote russe. J’étais victime. Et je n’ai pas vu grand-chose. J’ai eu une fracture à la clavicule gauche, des égratignures à l’oreille gauche et sous la narine. Mais j’étais conscient. Je ne peux pas vous dire pourquoi les corps ont été enterrés à Ouagadougou. Ce n’était pas facile. Peut être que les corps n’étaient pas dans les conditions d’être transportés.
Et pourquoi jusqu’à aujourd’hui les corps restent à Ouagadougou et ne sont pas rapatriés ?
Nous n’avons pas pensé à rapatrier les corps. Notre association n’avait pas les moyens d’aller à Ouagadougou pour commémorer nos morts. Il nous fallait des moyens. Ensuite, l’insécurité a suivi. Deux semaines avant le 11 août 2023, accidentellement, j’en ai parlé à notre fils Boukary Sidibé “Kolon” dont le père était un ancien commandant de bord d’Air Mali, feu Dramane Sidibé. Il m’a dit mais tonton, je vous paie le voyage. Et Boukary Sidibé “Kolon” m’a demandé avec combien de personnes nous voulons voyager. Je lui ai répondu 15 ou 20 personnes. Il m’a dit qu’il n’y a pas de problème. Finalement, nous avons arrêté le nombre des voyageurs à 14 dont 7 parents des 7 victimes maliennes en plus de 2 journalistes de l’ORTM, un journaliste de Joliba TV et 4 membres du bureau. C’est Kolon qui a payé le voyage (les billets d’avion, les frais de séjour, l’hébergement, la restauration, le transport aller-retour de nos domiciles à l’aéroport de Sénou).
Avez-vous l’intention de laisser les corps à Ouagadougou ou les faire rapatrier au Mali ?
Les familles des 7 victimes souhaitent que nous fassions ramener les corps à Bamako. Ayant appris que nous n’avons pas les moyens de faire rapatrier les corps, Boukary Sidibé dit Kolon s’est engagé à faire rapatrier ces corps à Bamako. Il nous a contactés pour nous signifier cela. Ce qui est une très bonne nouvelle nous. Malheureusement, les corps de nos collègues sont dans un cimetière qui a été abandonné depuis 2004. On n’enterre plus dans ce cimetière. Paraît-il que le terrain du cimetière a été affecté à la communauté chrétienne du Burkina Faso qui veut construire une université là-bas. Cela est une raison de plus pour rapatrier les corps de nos collègues.
Heureusement, Boukary Sidibé “Kolon” a encore prêté son concours. Il a dit qu’il va prendre les contacts nécessaires pour gérer ce rapatriement des corps. Il y a deux ans, nous avions contacté le ministre des Affaires étrangères pour parler du rapatriement des corps.
En ce moment, il y avait un ancien d’Air Mali qui était dans le gouvernement. Il s’agit de Mamadou Hachim Koumaré qui était ministre des Transports qui nous avait dit que le transport des corps ne peut se faire sans l’accord des ministres des Affaires étrangères du Mali et du Burkina Faso. Quand nous avons contacté le ministère des Affaires étrangères, on nous a fait savoir que le cimetière où sont enterrés les corps existe bien et qu’il n’a pas été affecté à la communauté chrétienne du Burkina Faso. C’est cela qui nous avait bloqués dans cette intention de rapatrier les corps. Sinon, nous avions contactes les pompes funèbres au Burkina Faso qui avaient fait un devis que nous allons réactualiser.
Nous avions l’intention d’aller implanter une stèle à Ouagadougou. Cela ne sera plus nécessaire maintenant que Boukary Sidibé dit Kolon s’est engagé à le faire. Nous ne pouvons que le remercier. Nous avons un projet d’implanter une stèle à Bamako pour toutes les victimes d’accidents d’avions. Nous avons l’accord de l’aviation civile. Nous attendons qu’elle désigne dans le secteur du transport pour implanter cette stèle.
Avez-vous un espace ici à Bamako pour enterrer les corps une fois rapatriés ?
Nous avons des anciens qui sont enterrés au cimetière d’Hamdallaye. Nous trouverons de la place dans ce cimetière à côté de nos camarades qui sont décédés en 1966 dans un accident d’avion.
Votre dernier mot ?
Je suis très ému car je suis survivant de l’accident d’avion du 11 août 1974. Dieu m’a sauvé. Arriver à me recueillir sur les tombes de mes 7 collègues m’a beaucoup secoué. Je remercie le Bon Dieu. Sur 8 membres d’équipe, 7 sont morts. Je suis sorti indemne. Quand je suis sorti de l’accident, j’ai repris les vols un mois et 20 jours après. J’ai passé 710 jours de ma vie dans un avion hors de vols de services. J’ai bientôt 85 ans aujourd’hui. Je suis très ému et très heureux de pouvoir me recueillir sur les tombes des collègues. Ce qui était un rêve pour moi vient de se réaliser. Nous félicitons les autorités de la Transition dont le Président de la Transition Assimi Goïta qui a annoncé lors de son passage en Russie la création d’une compagnie aérienne avec la Russie.
Réalisée par Siaka DOUMBIA