Le gouvernement de transition poursuit le renforcement des capacités opérationnelles des forces de défense et de sécurité, ainsi que leur réorganisation. Le but est de répondre aux besoins des populations face au terrorisme. Mais cela participerait également de la volonté des autorités de transition de créer des conditions optimales de sécurité afin de tenir les élections, comme l’exige la communauté internationale.
Le 3 décembre dernier, le Président de la transition, le colonel Assimi Goïta, remettait un important lot de matériels roulants aux forces de défense maliennes. Cela faisait suite à la remise, le 26 novembre dernier, des clés de quatre hélicoptères de combats MI-171 flambant neuf achetés auprès de la Russie. À côté du renforcement des capacités opérationnelles des FAMa, Assimi Goïta procède également à une réorganisation des forces. Trois régions aériennes créées et délimitées, l’unité antiterroriste réorganisée, la Direction générale de la sécurité de l’État remplacée par l’Agence nationale de la sécurité de l’État, une École de guerre en gestation, la sécurité commande les missions de la transition. « Si nous échouons à améliorer cette sécurité, condition nécessaire à l’accomplissement des autres axes du Plan d’action du gouvernement, une grande partie des efforts déployés sera vaine et nous serons condamnés à répéter les mêmes activités sans résultats tangibles », s’est justifié le ministre de la Défense, le colonel Sadio Camara, lors de la cérémonie de remise des matériels roulants aux forces de défense maliennes.
Deux rythmes de réformes se côtoient : le rythme opérationnel, relativement rapide du fait de l’urgence du moment, et le rythme de temps long, d’ordre politique et social, découlant prioritairement de l’assainissement de la gouvernance de la Sécurité.
Une sécurité au second plan
Les prémices des réformes en matière de sécurité au Mali datent des années 1990. Plusieurs initiatives sont nées, à la suite de consultations, afin de toiletter le secteur. Le Code de conduite des Forces armées et de sécurité de 1997, les Journées de réflexion de la Police nationale de 2001, les États généraux de la Sécurité et de la paix au Mali (2005), etc. en sont des exemples. Cependant, ces réflexions ont souffert de la non-application de leurs recommandations.
Il manquait également une volonté politique de la part du nouveau régime démocratique, fraîchement installé à la suite d’une dictature, qui voyait d’un mauvais oeil une armée monter en puissance. « Le Mali avait vécu sous une dictature militaire pendant plusieurs décennies et la réforme des forces de défense et de sécurité apparaissait comme potentiellement dangereuse, dans la mesure où elle aurait pu redonner un certain pouvoir aux acteurs en uniformes. Je pense que cela peut aussi expliquer pourquoi les autorités civiles de l’époque n’ont pas donné l’impulsion suffisante pour rendre effectives les différentes initiatives de réformes », analyse Niagalé Bagayoko, experte senior en réforme du secteur de la Sécurité et Présidente d’ African security sector network.
Elle poursuit en affirmant que les politiques d’ajustement structurel ont encouragé ce manque de volonté politique d’accorder une attention particulière à l’armée. « Avec les programmes d’ajustement structurel, on considérait que la Sécurité n’était pas un bien public au même titre que l’Éducation ou la Santé. Et, en la matière, on a tendance à faire en sorte que les investissements dans le domaine de la Défense ne se fassent pas de manière conséquente, car on les perçoit comme contraires aux investissements dans le développement ».
2012, le déclic
« Pourquoi le Mali ne veut-il pas se battre ? Est-ce qu’il a les moyens de le faire ? Chaque matin on ne fait qu’entendre de tels propos. Je voudrais leur dire que ma réponse est cet exercice. Le reste, on verra plus tard », déclarait fièrement l’ancien Président Amadou Toumani Touré (ATT) lors d’un exercice militaire complexe de commandos maliens le 20 janvier 2011, en marge du Cinquantenaire de l’armée nationale.
L’événement, retransmis en direct sur la télévision nationale, avait rendu les Maliens fiers de leurs forces de défense. Cependant, en 2012, le réveil fut brutal. Ils constatèrent que l’échantillon dont on leur avait vanté la grandeur n’était pas du tout représentatif de l’ensemble des forces de défense et de sécurité, alors en débâcle face aux indépendantistes du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), dans le nord du pays. Peinant à défendre l’intégrité territoriale, ATT ne sera plus là pour « voir le reste plus tard ». Il sera emporté par un coup d’État militaire, à la suite de mouvements d’humeur de l’armée mais aussi de la société civile. Trois grandes régions tomberont entre les mains des rebelles du MNLA, puis sous la coupe de djihadistes dont la progression vers le sud du pays durera jusqu’à ce qu’ils soient arrêtés par l’intervention française Serval.
L’affront essuyé avait montré une évidence : il est plus qu’urgent de disposer d’un outil de défense et de sécurité professionnel, qui assure efficacement sa mission régalienne de protection des personnes et de leurs biens.
Une reconstruction à deux vitesses
La transition civile née à la suite du coup d’État de mars 2012 va poser les bases d’une réforme de l’outil de défense nationale et de sécurité, qui va allier réformes opérationnelle, politique et sociale. C’est dans cette optique que la Politique nationale de Défense du Mali et la Loi d’orientation et de programmation militaire verront le jour. « Elles consistaient à rationaliser, assurer et garantir la montée en puissance opérationnelle et capacitaire des FAMa sur cinq années budgétaires glissantes, sur la base des axes d’efforts dégagés et du contrat opérationnel de chaque arme, en autonomie comme en interarmées », explique Kissima Gakou, chargé des affaires stratégiques de défense et en charge à l’époque de conduire les travaux ayant accouché de ces deux politiques.
Cependant, une reconstruction de l’outil de défense dans un contexte de réconciliation était illusoire sans prendre en compte les aspirations de tous les belligérants d’hier. C’est ainsi que le nouveau pouvoir élu du Président Ibrahim Boubacar Kéïta va mettre en place en novembre 2013 un Groupe pluridisciplinaire de réflexions sur la réforme du secteur de la Sécurité (GPRS), dont les travaux vont conduire à la création en août 2014 d’un Conseil national pour la réforme du secteur de la sécurité (CNRSS). Son décret de création sera relu en juin 2016 afin de prendre en compte les dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger. Composé de membres du gouvernement et des groupes armés signataires de l’Accord, le CNRSS permettra de déterminer les critères d’intégration des ex-combattants des mouvements signataires dans les corps constitués de l’État, y compris les forces armées et de sécurité, mais aussi les conditions d’attribution des grades et des fonctions de commandement et de reclassement. Il rendra aussi possible la réintégration des ex-combattants anciennement membres des forces de défense et de sécurité maliennes et le redéploiement des premières unités des forces de défense et de sécurité reconstituées. En outre, le projet de création de la police territoriale est aussi l’œuvre du CNRSS.
Allier gouvernance et capacités opérationnelles
La Loi d’orientation et de programmation militaire, d’un budget de plus de 1 200 milliards de francs CFA, avait pour but d’opérationnaliser les forces armées maliennes à l’horizon 2019 pour faire face immédiatement aux défis sécuritaires du moment. Elle comptait trois axes : les investissements, le personnel et le fonctionnement. Cependant, cette loi a souffert de la corruption, comme en atteste un rapport du Bureau du vérificateur général.
C’est cela le plus grand problème : l’aspect renforcement des capacités opérationnelles des forces est toujours privilégié au détriment de la gouvernance. Ce qui rend difficile l’obtention de résultats sur le terrain. « Il est illusoire de prétendre renforcer les capacités d’une armée sans travailler sur sa gouvernance. De manière presqu’exclusive les autorités maliennes et leurs partenaires étrangers ont mis l’accent sur le renforcement des capacités opérationnelles de combat », explique Niagalé Bagayoko.
Elle ajoute que, malgré tout, des efforts ont été faits en matière de gouvernance dans le cadre de l’EUTM, la mission d’entraînement et de formation de l’Union européenne pour les forces armées et de sécurités maliennes. Cependant, l’absence de logistique adéquate, notamment de processus d’informatisation de la gestion de la paie et des ressources humaines, n’ont pas permis de produire des effets.
La gouvernance inclut également de former des forces dotées de bonnes conditions de vie et soucieuses du respect des droits de l’Homme et du droit des conflits armés, car « les exactions ont tendance à éloigner les populations, qui ont de moins en moins confiance en leurs forces de défense et de sécurité ».
Pour Niagalé Bagayoko, il faut allier réforme opérationnelle et réforme politique pour plus de résultats. « Le renforcement des capacités militaires est loin d’être l’unique solution au type de crise de conflictualité auquel le Mali est confronté de manière préoccupante depuis maintenant 10 ans. Est-ce que les hélicoptères de combat, les drones, les blindés, etc. détenus par la France au Mali ou par les États-Unis en Afghanistan ont réussi à venir à bout du type d’ennemi combattu ? Non, ce n’est absolument pas le cas. Aujourd’hui, ce qui est nécessaire, c’est d’apporter une réponse politique à la crise actuelle ».
Défis électoraux
À en juger par son Plan d’action, aujourd’hui, la mission fondamentale du gouvernement de transition est l’organisation des élections. Cependant, il pointe du doigt la situation sécuritaire pour justifier l’impossibilité de la tenue de la présidentielle dans un peu plus de deux mois.
Dans une interview à Jeune Afrique, le 8 décembre dernier, le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop a souligné les efforts consentis par le gouvernement afin de relever les défis sécuritaires en vue de l’organisation des élections. « Le gouvernement fournit des efforts importants pour améliorer le maillage du territoire et créer les conditions pour la tenue des scrutins. De gros investissements humains et matériels sont en cours. Cette mobilisation nous permettra d’élever le niveau de sécurité dans les plus brefs délais… Nous ne sommes pas naïfs au point de penser qu’il faut 100 % de sécurité pour conduire des élections ».
Mais, selon Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des groupes djihadistes, penser que dans peu de temps les conditions de sécurité idéales seront réunies pour les élections est illusoire. Cependant, il évoque la possibilité d’organiser élections a minima. « Il faut savoir que bien avant les deux coups d’État la situation sécuritaire n’était pas meilleure. Donc il faut partir du principe qu’il faut tenir les scrutins dans les zones où c’est possible a minima. Les conditions optimales pour leur tenue ne sont pas réalistes aujourd’hui. Et pas qu’au Mali, mais dans plusieurs pays autour du Mali ».
Il explique que la sécurisation du processus électoral demande « une grosse logistique, qui n’est pas dans les capacités des autorités maliennes, même avec l’apport de la MINUSMA ou de Barkhane. Je ne dis pas que le scrutin ne doit pas avoir lieu. Il doit avoir lieu, mais là où c’est possible ».
Le ministre des Affaires étrangères Diop a déclaré que seules 5 régions du pays sur 19 réunissaient des conditions minimales de sécurité. Alors qu’on sait que l’élection présidentielle de 2018 et les législatives de 2020 ont pu être tenues malgré des incidents. Certains politiques pensent que l’argument de la situation sécuritaire est brandi pour reporter l’organisation des élections. « On se demande si la situation sécuritaire ne fait pas partie d’une stratégie aux fins du report de la date des élections. Certes, il y a beaucoup de localités en insécurité, mais une conséquence de cela est la concentration de ceux qui votent dans les centres-villes et villes moyennes », déclarait à Journal du Mali en septembre dernier, Djiguiba Kéïta, Secrétaire général du PARENA.
Au même titre que plusieurs politiques du Cadre d’échanges des partis et regroupements politiques pour la réussite de la transition, il préconise d’organiser les élections là où c’est possible et de faire consensus pour accepter les résultats des urnes. Pour l’heure, la date des élections et les propositions de réformes de la défense nationale et de la sécurité seront, semble-t-il, connues et validées à l’issue des Assises nationales de la refondation.
Source : Journal du Mali