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SECURITE & DEVELOPPEMENT : UNE STRATÉGIE COHÉRENTE DE L’UE POUR LE SAHEL-IV-

La région du Sahel constitue la frontière géopolitique méridionale de l’Europe. L’instabilité dans cette région finira par se propager aux pays voisins de l’Europe et au sein même de son territoire.

 

michel reveyrand menthon représentant spécial union européenne ue région sahélienne mali

 

Cette étude examine les principaux problèmes de la région et propose une évaluation critique de la «stratégie de l’Union européenne pour la sécurité et le développement au Sahel» adoptée en 2011. Cette stratégie pointe le manque de compétence des autorités et la pauvreté structurelle, qu’elle considère comme les problèmes principaux de la région et recommande, à juste titre, d’agir de manière concertée dans les domaines de la sécurité et du développement. Nous sommes plutôt d’accord avec cette analyse de la situation et avec les domaines d’action proposés. Cependant, nous soutenons que la stratégie de l’Union européenne au Sahel, deux ans après son adoption, n’a pas répondu aux attentes. En dépit des déclarations soutenant la nécessité d’appliquer une approche globale, les initiatives de l’Union européenne dans les domaines de la sécurité et du développement restent totalement déconnectées. Mais en fin de compte, ce sont les oppositions nationales qui constituent le plus grand frein à un déploiement plus politique de la stratégie pour le Sahel. Au nombre de ces freins, il y a la non-reconnaissance de l’importance stratégique de la région, le manque de volonté de collaboration avec l’Algérie,

et le refus d’intégrer l’aide militaire dans les instruments de l’Union européenne.

3. LA MISE EN ŒUVRE DE LA STRATEGIE POUR LE SAHEL

3.1.2 Mise en œuvre des projets

Depuis l’adoption de la stratégie pour le Sahel, plusieurs projets ont été élaborés, et d’autres projets dont la mise en œuvre a déjà commencé ont progressé. La présentation détaillée de ces projets serait hors du champ de cette étude, mais il est intéressant d’accorder une certaine attention à plusieurs «points saillants relatifs aux projets»

Plusieurs initiatives se déroulent à l’échelle régionale. Le programme de lutte contre le terrorisme au Sahel financé par le volet à long terme de l’instrument de stabilité (6,7 millions d’euros, période 2012-2014) vise à renforcer les capacités locales et à améliorer la coopération régionale en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Il prévoit la création d’un Collège virtuel de sécurité au Sahel semblable au Collège européen de police formant les intervenants de la justice et des services répressifs et assurant la promotion du partage d’informations et d’expertises. L’ouverture du Collège est prévue au printemps 2012 et les premiers cours (par exemple, les formations de formateurs) devraient commencer   en   septembre 2012.   Ce   programme   prévoit   également   l’apport   d’une   assistance personnalisée aux intervenants des services répressifs civils dans les trois pays concernés (Mali, Mauritanie et Niger). De manière implicite, il est toutefois prévu d’associer autant que possible des hauts gradés de l’armée, parce que leur exclusion pourrait être contreproductive. Un consortium conduit par CIVIPOL (une agence française) et comprenant des agences partenaires espagnoles, belges, italiennes et autrichiennes sera chargé de la mise en œuvre. L’instrument de stabilité finance également à  hauteur  de  2,2 millions  d’euros  un  autre  programme,  le  système  d’information  de  la  Police d’Afrique de l’Ouest (West African Police Information System ou WAPIS). Cette initiative vise à créer une plate-forme d’échange d’informations des services de police qui mettra en relation, dans une première phase, les outils de cinq pays (Bénin, Ghana, Mali, Mauritanie et Niger), de la Cedeao et d’INTERPOL. Le Fonds européen de développement accordera également des moyens financiers (41 millions d’euros entre 2012 et 2017) au projet en faveur de la paix et de la sécurité de la Cedeao, dont le double objectif est le renforcement de la capacité institutionnelle et l’application de certaines composantes thématiques des initiatives de prévention des conflits de la Cedeao. Le plan d’action pour la lutte contre le  trafic de  drogues et  la  criminalité de  la  Cedeao recevra, quant à lui, une enveloppe supplémentaire de 19,7 millions d’euros du Fonds européen de développement.

Comme cela est expliqué dans le document de stratégie pays (DSP) et le programme indicatif national (PIN) pour le Mali, «la faiblesse des infrastructures et les coûts de l’énergie et du transport constituent des freins essentiels au développement du pays», tandis que le niveau alarmant de pauvreté (touchant 73 % de la population rurale), d’accès aux soins de santé et d’éducation touche une grande partie de la population. Le 9e FED visait principalement à soutenir le développement des infrastructures routières entre le Nord et le Sud, la décentralisation et la mise en œuvre du Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté. Le 10e FED s’insère pleinement dans le Cadre stratégique de croissance et de réduction de la pauvreté du pays en répartissant sa dotation de 533 millions d’euros entre quatre principaux domaines d’intervention: la gouvernance (11 %), le développement économique du Nord et du delta du Niger (50 %), les réformes dans les secteurs de l’éducation, de la santé et des transports (28 %) et les autres programmes fournissant un appui aux secteurs productifs dans le cadre des accords de partenariat économique (11 %). Pour sa part, la stratégie pour le Sahel indique clairement que le PSPSDN est l’instrument prévu pour lutter contre l’insécurité et le terrorisme dans le Nord du Mali mais également pour lutter contre le trafic de stupéfiants. Le Mali affectera directement son «enveloppe pour le Sahel» d’un montant de 50 millions d’euros dans cinq secteurs principaux, en tenant compte des thématiques en matière d’administration et de sécurité de son PSPSDN: justice (20 Mio d’EUR); décentralisation (15 Mio  d’EUR);  sécurité  (8 Mio  d’EUR);  prévention/résolution  des  conflits  (6,5 Mio  d’EUR);  appui politique/diplomatique (0,5 Mio d’EUR). Il convient de noter que nombre de ces programmes sont actuellement en suspens en raison de la rébellion touareg.

Le DSP/PIN pour la Mauritanie prévoit d’affecter l’enveloppe de 156 millions du 10e  FED dans deux secteurs-clés: la gouvernance (47 Mio d’EUR) et l’intégration régionale et les transports (56 Mio d’EUR). Il est prévu d’affecter en supplément un appui budgétaire général en faveur de la lutte contre la pauvreté (40 Mio d’EUR) et des «actions hors secteurs de concentration» (13 Mio d’EUR). La stratégie nationale globale de lutte contre le terrorisme de la Mauritanie porte sur les cinq volets suivants: religieux et doctrinal; culturel et académique; communication; politique; justice, défense et sécurité. La Mauritanie  consacrera  son  «enveloppe  pour  le  Sahel»  de  8,4 millions  d’euros  à  ces  composantes internes, y compris, par exemple, un vaste projet de sécurité frontalière financé par le volet à court terme de l’instrument de stabilité.

Comme cela est détaillé dans le DSP/PIN pour le Niger, le 10e   FED vise à soutenir deux objectifs: appuyer les stratégies nationales de développement et de réduction de la pauvreté et la mise en œuvre concrète des principes d’appropriation, d’alignement, d’harmonisation et de gestion axée sur les résultats. En raison du fort déséquilibre entre sa croissance démographique et sa croissance économique brute, le Niger affectera ses 458 millions d’euros au soutien de la croissance rurale et à l’amélioration de l’intégration régionale et de la gouvernance. En ce qui concerne le Niger, la stratégie pour le Sahel mentionne le plan d’action actuel de réforme du système judiciaire (par la chambre spéciale chargée de traiter les questions de terrorisme et de trafic) et la nécessité de créer une stratégie spécifique pour lutter contre l’insécurité et le terrorisme. Le Niger affectera son «enveloppe pour le Sahel» d’un montant de 91,6 millions d’euros à des améliorations administratives (réformes judiciaires) et à l’atténuation de la crise alimentaire actuelle (en 2011, l’UE a débloqué 12 millions d’euros pour lutter contre la crise alimentaire). Une enveloppe supplémentaire (9,1 Mio d’EUR) relevant du volet à court  terme  de  l’instrument de  stabilité a  été  accordée au  Niger  pour  gérer  la  réintégration des «rapatriés» libyens.

 

3.1.3 Critiques

Il résulte de ce qui précède que l’engagement de l’UE dans la région du Sahel est important et en plein essor (cf. conclusions du Conseil sur la région du Sahel 2012). Il n’est dès lors pas surprenant que des avancées aient été constatées dans de nombreux domaines relevant de programmes particuliers. D’après les échanges avec de hauts responsables, plusieurs critiques peuvent également être formulées à l’égard de la fragmentation permanente des efforts associée à un manque de transparence et de la propension à sous-estimer l’importance des problèmes de sécurité alimentaire et des retombées du conflit libyen.

Malgré les promesses couramment exprimées de coordination de l’ensemble des instruments de l’UE, il reste beaucoup de chemin à parcourir pour mettre en œuvre une véritable approche globale. Ces insuffisances concernent plus particulièrement le partage des informations relatives à la façon dont les fonds d’aide au développement sont dépensés. Nos interlocuteurs des secteurs humanitaires et de la sécurité expliquent qu’ils ne sont pas tenus informés de la programmation de l’aide au développement, alors que l’approche globale de la stratégie recueille tous les éloges29. De plus, aucune synthèse détaillée de l’ensemble des engagements de l’UE dans les différents domaines d’action n’est disponible. Le plan d’action du SEAE fournit une présentation générale mais ne détaille pas clairement le lien existant entre les différentes étapes relevant des domaines d’action (par exemple «l’instauration progressive d’un climat de sûreté et de sécurité») et les actions concrètes permettant d’atteindre de manière réaliste les résultats visés. Pour ce qui a trait à l’ensemble des déclarations portant sur une approche intégrée, les priorités en matière de développement constituent le fondement de la stratégie pour le Sahel comme le prouvent les dotations budgétaires concernées.

D’après l’analyse des intervenants du secteur humanitaire, le problème fondamental est le maintien de la sécurité alimentaire. Il paraît étonnant à cet égard que la sécurité alimentaire ne soit traitée que de manière secondaire dans la présentation de l’aide financière de l’UE (un programme au Mali et un sous- programme au Niger). Les fonds supplémentaires affectés au titre de l’enveloppe B du FED fournissent sans doute des éléments de réponse concernant ce jugement défavorable, mais il n’en demeure pas moins que la part du lion de l’aide financière au développement est dépensée dans d’autres domaines. C’est pour cette raison qu’ECHO a engagé un appui financier important. Depuis 2007, ECHO a affecté plus de 250 millions d’euros à la lutte contre la malnutrition au Sahel. Rien qu’en 2012, elle a consacré 123,5 millions   d’euros   à   certaines   actions,   par   exemple   des   opérations   de   nutrition   et   de prépositionnement de stocks alimentaires (fiche-info ECHO 2012). Même si les plus hautes instances politiques soutiennent clairement la nécessité d’accorder un caractère d’urgence prioritaire à la sécurité alimentaire (cf.  les  conclusions  du  Conseil  sur  la  région  du  Sahel  de 2012  qui  font  état,  tout  en l’approuvant, de l’affectation d’un montant supplémentaire de 164,5 millions d’euros), il faut s’assurer d’un suivi rigoureux car l’aide humanitaire d’urgence ne peut remplacer le développement agricole à long terme.

Il est courant d’entendre que «des progrès ont été accomplis, mais il reste des défis à relever» pour décrire la situation dans de nombreuses zones de conflit, la situation dans certaines d’entre elles se détériorant manifestement. On peut affirmer que les répercussions régionales du conflit en Libye ont été gravement sous-estimées avant l’escalade spectaculaire de la violence au Mali en mars 2012. Même si certains interlocuteurs de l’UE gardent un ton résolument optimiste, d’autres sont plus critiques. Comme l’explique l’une des personnes que nous avons interrogées: «L’intérêt de la stratégie pour le Sahel était son aspect préventif, mais nous n’avons pas été assez rapides. Au fil des années, la situation s’est clairement détériorée et le stade de la prévention est dépassé»30. Certains pays non occidentaux affirment, pendant les débats du Conseil de sécurité des Nations unies, que la montée de l’instabilité au Sahel résulte directement de l’intervention des pays occidentaux en Libye, un avis que contestent la France et la Grande-Bretagne (cf. NU, 2012b). Du point de vue européen, il semble clair que ce lien de causalité n’a pas d’origine intentionnelle. Mais l’intervention en Libye a fortement perturbé les priorités européennes au Sahel puisqu’elle entraîne une attitude quelque peu schizophrénique sur le plan politique.

3.2 Renforcement de la capacité régionale grâce à la PSDC

La proposition d’intervention au Sahel au titre de la politique de sécurité et de défense commune existe depuis plus de deux ans (cf. Gros-Verheyde, 2010). D’une part, l’opération EUFOR Tchad/RCA constitue un précédent institutionnel important qui montre le gain de visibilité des différents instruments de l’UE apporté par la mise en œuvre de la PSDC. D’autre part, la détérioration de la situation en matière de sécurité, à laquelle s’ajoute une évolution de l’approche des structures et des États membres de l’UE ont entraîné un nouveau classement de cette intervention en tête des priorités. Par conséquent, il est utile d’examiner les fondements de cette proposition et d’évaluer les résultats qu’elle permettrait réellement d’atteindre.

 

3.2.1 L’approche malienne

Lorsque l’application de la PSDC a été évoquée pour la première fois, cela concernait l’apport d’un soutien militaire de l’UE en faveur du redéploiement des forces de sécurité maliennes dans le Nord du pays. Il avait été déterminé que l’absence quasi totale de contrôle étatique au Nord du Mali était à la racine du problème. Il aurait été nécessaire de faire intervenir plusieurs centaines de conseillers militaires européens pour accompagner l’armée malienne dans sa mission de rétablissement d’une présence aux avant-postes. Cette proposition s’est heurtée à deux obstacles majeurs. Certains États membres se sont montrés très réticents lorsqu’une utilisation de moyens militaires était évoquée. Dans le même temps, le gouvernement malien a adopté une position quelque peu ambiguë quant à l’accueil qu’il réserverait à ce soutien ou quant à sa véritable volonté d’étendre son autorité dans le Nord du pays. Ces obstacles ont entraîné le retrait sans fracas de cette proposition. Dans ce contexte, on ne peut que se demander si la mise en œuvre du PSPSDN au Mali se serait mieux déroulée si un soutien financier et un accompagnement sur le terrain de la part de l’UE avaient été acceptés.

À l’automne 2011, les conditions du débat ont commencé à évoluer. L’arrivée des «rapatriés» et des combattants touaregs de Libye a entraîné un regain d’intérêt au niveau local en faveur d’une aide extérieure plus importante. Parallèlement, les structures de la PSDC ont fait évoluer la proposition sous forme de mission civile avec une dimension géographique axée sur le Niger. Comme ce pays était le plus coopératif, on espérait que le Niger pourrait «montrer la voie à suivre» et que les avancées allaient permettre de persuader les autres pays du Sahel à adopter la même approche. Le 1er décembre 2011, le Conseil des affaires étrangères a encouragé la Haute Représentante à faire avancer les travaux préparatoires portant sur «la PSDC visant à renforcer les moyens en matière de sécurité dans la région, en étroite coopération avec l’Union africaine».

 

3.2.2 L’approche nigérienne

Le 9 mars 2012, un projet de concept de gestion de crise a été présenté devant le Comité politique et de sécurité et a reçu étonnamment un bon accueil (cf. Gros-Verheyde, 2012a). La proposition de mission de la PSDC prévoyait l’apport de services de conseil, d’assistance et de formation à la gendarmerie et à d’autres services répressifs nigériens afin de rendre les équipements et l’infrastructure financés par l’UE et ses États membres opérationnels. L’objectif global est d’améliorer le contrôle des frontières et du territoire et de faciliter l’intervention des autorités lorsque cela est nécessaire, ce qui implique une forte coordination avec les partenaires régionaux et l’application de mesures d’accompagnement en matière d’équipements et d’infrastructures (par exemple, la création d’un système d’information conjoint incluant tous les acteurs des services répressifs). Concrètement, cette proposition consiste à compléter les programmes de financements existants de l’UE par une expertise humaine. La présence de quelques dizaines d’experts permettrait de renforcer la capacité de mise en œuvre des projets de la délégation de l’UE dans le domaine de la sécurité et d’assurer ainsi le suivi détaillé que les mesures de la Communauté peinent à assurer par elles-mêmes. Le 23 mars 2012, le Conseil des affaires étrangères a approuvé le concept de gestion de crise visant à lancer une mission civile PSDC de conseil, d’assistance et de formation au Sahel (conclusions du Conseil sur la région du Sahel 2012, cf. Gros-Verheyde, 2012b). Compte tenu de la nette détérioration de la situation au Mali dans les semaines qui ont suivi, le Comité politique et de sécurité a estimé unanimement, selon les informations disponibles, que cette mission revêtait un caractère d’urgence particulier, ce qui s’est traduit par des appels à un déploiement accéléré31. Une mission technique devrait se rendre dans la région en mai et le concept de l’opération devrait être prêt en juin, pour déployer le personnel de l’UE d’ici juillet.

On pourrait reprocher la faible probabilité de réussite de la proposition d’approche nigérienne, qui a été élaborée en fonction des contraintes politiques pour renverser la tendance de dégradation actuelle de la situation en matière de sécurité dans l’ensemble de la région. Même si les mesures proposées pourraient être efficaces individuellement, elles n’apportent pas de réponse claire à l’escalade de la violence des actes de rébellion au Mali et à la menace permanente que posent AQMI et les groupes criminels. Dès lors, il pourrait être nécessaire de renforcer la mission proposée à court et à moyen terme. L’extension géographique de la mission au Mali, en Mauritanie et éventuellement dans d’autres pays est déjà prévue, mais il n’est pas impossible qu’il soit nécessaire de renforcer la présence de l’UE (c’est-à- dire par une présence armée). Cette présence permettrait, par exemple, de garantir la présence d’une force de protection suffisante ou de fournir des moyens de transport aérien mobiles.

A SUIVRE
Source: Info-Matin

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