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Sahel, « France, go home »

Parcourant l’Afrique depuis 50 ans, ancien directeur des opérations de l’Agence française de Développement (AFD) et de la Banque mondiale, actuellement à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), Serge Michailof a livr& à Franceinfo son inquiétude sur la situation au Sahel, à quelques jours du sommet qui doit réunir à Pau les présidents Emmanuel Macron et les chefs d’état du G5-Sahel.

Franceinfo Afrique : l’armée française peut-elle quitter le Mali ? Pourra-t-elle tenir encore quinze ans comme le demandent certains généraux ?

Serge Michailof : je pense sincèrement que si demain l’armée française quitte le Mali, le pays se transformera en Somalie, qu’il en sera de même du Burkina et que les pays côtiers, comme la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo, rencontreront de grandes difficultés au plan sécuritaire. En revanche, je ne la vois pas tenir quinze ans ni même trois ans sans changer radicalement de posture.

En premier, je crains que la France n’ait perdu la bataille de la communication sans l’avoir livrée. Habilement travaillées, les opinions publiques urbaines au Mali et au Burkina sont désormais très hostiles à la présence militaire de la France. C’est devenu un vrai problème. Des foules avaient acclamé les soldats de Serval, mais les véhicules de l’armée française sont désormais régulièrement caillassés au Mali. Le chanteur malien Sélif Keita a diffusé sur Youtube une délirante diatribe antifrançaise qui a été vue des millions de fois. Nous sommes confrontés au syndrome du US go home que nous avons connu en France dans les années 50. Quant à l’opinion rurale, l’échec de l’éducation publique et les financements, depuis quarante ans par l’Arabie saoudite, de milliers de mosquées et d’écoles coraniques ont réussi à convertir au salafisme une population qui pratiquait jusque-là un islam soufi modéré.

La position de l’armée de l’ancien colonisateur risque dans ce contexte de devenir politiquement très difficile. De toute manière, il lui faut engager une bataille de communication en se rappelant que seules des voix africaines seront entendues.

L’armée française doit-elle se mettre en retrait ?

Elle doit se mettre en deuxième ligne, en soutien des forces africaines. D’abord, parce qu’il est impossible d’imaginer au XXIe siècle qu’une force occidentale puisse stabiliser un pays africain en proie à une guerre civile. Car c’est une guerre qui se livre au Sahel. Le terme terroriste est absurde. Nous avons affaire à des ennemis qui ont un projet politique pour le Sahel et qui font preuve d’une grande intelligence pour tenter de le mettre en œuvre. Les armées africaines de la région doivent être en première ligne. Ce sont elles qui vont devoir reconquérir leur pays dont une bonne part est maintenant contrôlée par un ennemi. Evidemment, pour cela, elles doivent être équipées des mêmes standards que nos propres troupes et commandées par des officiers choisis sur la base du mérite. Il n’y a pas d’alternative.

Pour se mettre en retrait, il faut d’abord former les armées du Sahel ?

Le problème se pose essentiellement au Mali, où l’armée a depuis longtemps eu la réputation d’être une pétaudière, et au Burkina où les bérets rouges, garants du régime et force plus solide que l’armée, ont été licenciés après l’éviction du président Compaoré. Sans réintroduire dans leurs armées, comme c’est le cas au Sénégal, une gestion moderne des ressources humaines fondée sur une sélection au mérite et non sur les seuls liens familiaux, ethniques ou politiques, il est inutile d’espérer reconstruire ces armées.

Est-il possible de remettre de l’ordre dans l’armée malienne ?

C’est essentiellement un problème de volonté politique. Si ce n’est pas possible, nous avons perdu la guerre au Sahel. Dans l’immédiat, le problème est la démoralisation de l’armée malienne tant par suite de sa désorganisation que par ses défaites et ses pertes. Elle a perdu plus de 150 hommes en deux mois. A Indelimane, 49 de ses soldats ont été tués et le reste de la compagnie a été blessé ou a disparu dans un combat en plein jour. Ces soldats maliens mal armés et mal commandés affrontent de jeunes jihadistes très bien armés, galvanisés par la religion et encadrés par des combattants aguerris. Le risque est une débandade de cette armée.

Une première urgence est que les armées malienne et burkinabè cessent leurs exactions contre les populations civiles, et en particulier les Peuls. Ces exactions jettent les jeunes dans les bras des jihadistes. Les Peuls, c’est une population de 60 millions de personnes réparties sur une dizaine de pays. Veut-on partir en guerre contre ce peuple ?

Cela passe par une solution politique, mais laquelle ? La bonne gouvernance ne se décrète pas…

Au Burkina comme au Mali, le problème principal est l’absence de leadership, de rigueur et de sérieux à la tête de ces pays. C’est, je pense, un problème de génération. La difficulté est que la dégradation de la situation au Mali et au Burkina est si rapide qu’elle ne permet pas d’attendre quatre ou cinq ans une éventuelle relève politique. Le président malien vient d’être réélu et le président burkinabè Kaboré a toutes chances d’être réelu en 2020. Il reste à espérer qu’ils laissent une large délégation de pouvoir à des Premiers ministres de qualité. Mais le président malien IBK (Ibrahim Boubacar Keïta, NDLR) en a usé quatre lors de son premier mandat…

Et qu’en est il de la corruption ?

Dans ces pays qui, comme le Burkina et le Mali, ont longtemps été des enfants chéris des donateurs internationaux, ces derniers financent et surveillent la plupart des secteurs, qu’il s’agisse des secteurs sociaux ou économiques. Contrairement aux idées reçues, les possibilités de corruption sont assez limitées dans ces domaines car, lorsque les bailleurs sont sérieux, les marchés sont verrouillés.

Le secteur qui reste le plus intéressant, c’est le domaine de la sécurité où personne de l’extérieur n’ose venir mettre son nez. Le résultat est que les acquisitions de matériel sont souvent décidées en fonction du volume de certains « dessous de table », sans souci de la cohérence des acquisitions avec les besoins. Dans certains cas particulièrement visibles, comme l’achat, sur le budget de la défense malien peu après l’invasion jihadiste de 2013, d’un avion présidentiel, accompagné de la disparition d’un pourcentage du règlement, le FMI proteste. Dans les cas les plus graves, les soldats ne sont plus payés, car les officiers prélèvent directement l’argent de la paye dans le sac de billets qui parvient vide au bout de la chaîne de commandement.

Source: mondafrique

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