Alors que se tient le sommet du G5 Sahel à Pau, le 13 janvier, l’opération Barkhane suscite une crise de légitimité au sein de l’opinion publique des pays de la région. Si on assiste effectivement à une flambée des attaques depuis 2018, l’action de l’armée française reste en accord avec les objectifs assignés dès la fin de Serval, en 2014.
Barkhane est une opération de long terme. Son objectif est d’éviter le développement du terrorisme islamiste dans la bande sahélo-saharienne afin d’éviter un risque d’implantation territoriale, comme ce fût le cas au nord du Mali en 2013, contraignant la France à intervenir.
Barkhane est un théâtre d’opération compliqué, dont les dimensions courent de la Mauritanie au Tchad en passant par le Mali, le Burkina Faso et le Niger. C’est un territoire d’une taille similaire à celle de l’Europe, doublé d’un climat rigoureux et d’un peuplement complexe où s’entrecroisent et se heurtent des logiques autant ethniques que religieuses. L’enjeu de Barkhane réside alors autant dans la tenue militaire du terrain face à un adversaire très mobile et déterminé, que dans l’amélioration de la gouvernance des pays de la région et la montée en puissance de leur outil militaire.
Évolution de la nature des forces jihadistes
Afin de répondre à ces objectifs, l’opération Barkhane déploie à ce jour 4 500 soldats et 600 véhicules dont la moitié de blindés -, ainsi qu’une quarantaine d’aéronefs, dont 20 hélicoptères, sans compter l’ensemble des moyens de renseignements humains et spatiaux mobilisés. Si ces chiffres peuvent sembler modeste au regard de la taille du théâtre d’opération, il faut les mettre en relation avec les effectifs relativement limités des groupes armés terroristes, estimés à 4 000 combattants.
Or, à travers 120 opérations de combat et une centaine d’interventions aériennes hebdomadaires (renseignement, ravitaillement, transport, bombardement…), l’armée française obtient jusqu’ici des effets notables : aucune emprise territoriale, aucun sanctuaire jihadiste apte à mener des actions de prédation, de recrutement, de trafic (drogue, cigarettes…), voire de conquête, n’a pu se constituer. Depuis 2014, ce sont par ailleurs près de 700 jihadistes avec leurs matériels, munitions, véhicules et stocks de contrebande qui ont été neutralisés.
Les défis liés à la gouvernance apparaissent incontournables et sont aujourd’hui l’un des principaux obstacles à la résolution de la crise
On rétorquera les attaques des groupes armés terroristes se poursuivent toujours avec des revers parfois cuisants pour les armées ou les populations civiles du G5 Sahel. Mais les raisons ne proviennent pas tant de l’efficacité de Barkhane que de l’évolution de la nature des forces jihadistes. Depuis 2018 et l’arrivée progressive de vétérans endurcis de Syrie, ces forces sont en mesure de mener des attaques plus complexes et nombreuses.
Elles continuent en outre de profiter de l’instabilité qui caractérise les territoires de certains États du G5 Sahel, notamment le Mali et le Burkina Faso, et leur périphérie telle la Libye. Mais l’adversaire demeure dans une logique clandestine et non territoriale. L’armée française a d’ores et déjà su s’adapter et ses forces ont augmenté de près d’un tiers. Pour rappel, elles étaient composées de 3 000 soldats et 400 véhicules en 2014. Par ailleurs, les forces françaises conservent la supériorité aérienne malgré certaines rumeurs actuellement peu rigoureuses. Le rapport de force est donc toujours en faveur du G5 Sahel et de Barkhane.
Montée en puissance des armées du G5 Sahel
L’armée française est attentive aux enjeux de montée en puissance et de coopération des armées du G5 Sahel, seuls gages de stabilité régionale à long terme. Les réalisations sont encore inégales mais l’armée française a su former 11 700 soldats depuis 2014 et affecter 45 % de ses moyens de formations internationaux à l’Afrique de l’Ouest, preuve de son investissement dans la région.
Les résultats commencent à se faire sentir, l’armée française et les forces armées maliennes ayant mené très récemment des opérations conjointes dans le Liptako-Gourma avec pour effet la neutralisation de dizaines de jihadistes et l’affirmation de l’État malien dans la zone. De nombreux efforts restent à fournir mais les excellents résultats des armées tchadienne et mauritanienne permettent d’être optimiste.
Cette montée en puissance militaire est toutefois liée à l’amélioration de la gouvernance encore déficiente des pays de la région. Si ce point ne fait pas partie du cœur des actions de Barkhane, l’armée française au Sahel consacre toutefois une partie de ses ressources au développement local : projets d’adductions d’eau, d’agropastoralisme voire d’infrastructures (ponts, bacs, routes…).
En définitive, l’opération Barkhane répond aux objectifs qui lui sont assignés depuis 2014 malgré les défis qui s’imposent à elle dans une crise régionale protéiforme. Il est incontestable que la présence française empêche les groupes armés terroristes de constituer des emprises territoriales. Toutefois, les États du Sahel devront poursuivre leurs efforts, avec le soutien de Barkhane, afin de voir monter en puissance leurs forces armées, qui devront également apprendre à coopérer entre elles au sein d’une force G5 Sahel.
Les défis liés à la gouvernance apparaissent incontournables et sont aujourd’hui l’un des principaux obstacles à la résolution de la crise. C’est l’enjeu du sommet de Pau, le 13 janvier prochain, qui abordera frontalement ces points de gouvernance, reflétant l’engagement pragmatique de la France et de son président, Emmanuel Macron, dans la stabilisation de la région.
jeuneafrique