Enclenchée avec une première suspension des procédures foncières sitôt reconduite après expiration, la révolution foncière annoncée par le ministre bat son plein contre vents et marrées.
Au risque d’en rajouter aux nombreuses équations qui assaillent déjà les autorités, M. Bathily en a donné les couleurs et la réelle dimension en procédant, la semaine dernière, à l’annulation de nombreux titres fonciers enregistrés au nom de sociétés immobilières. Lesquelles ?
La mesure, qui était pressentie depuis belle lurette à travers les intentions déclarées du Garde des Sceaux à l’époque n’a concerné pour l’heure que près de 200 ha localisés dans la région de Koulikoro. Mais, il va sans dire que les retraits massifs ne sauraient se limiter à cette portion dérisoire, s’il faut en juger par l’étendue des terres concernées, par les motifs et raisons évoquées par le ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières. En effet, avec l’appui de la décision, il a été avancée toute une montagne d’arguments allant de l’absence de surfaces cultivables à l’enrichissement illicite ostentatoire de leurs acquéreurs, en passant par des moyens dolosifs pour l’obtention des titres concernés et l’inobservation des clauses de leur cession aux particulier. Il en découle, selon le ministre, un bradage du patrimoine foncier de l’Etat aux dépens des activités rurales, par le biais d’une subtile usurpation des compétences du Conseil des ministres, seul habilité à attribuer les terres au-delà de 5 ha.
Le seul sceau du ministre Bathily est-il pour autant assez solide pour annuler des propriétés foncières généralement encadrées par les garanties légales requises? La question fait grand bruit et se trouve sur toutes les lèvres dans le microcosme malien des affaires foncières. Approchés par Le Témoin, certains acteurs en la matière persistent et signent : il n’existe point de moyens d’expropriation en dehors de celles assujetties au droit des propriétaires fonciers à une mesure compensatoire. Et de renchérir qu’au demeurant «les ruraux sont leurs propres spoliateurs en tant que principaux spéculateurs du domaine foncier rural».
Un autre motif évoqué par le ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires concières, c’est que l’Etat malien ne tire de la pratique aucun bénéfice qui lui permette de réparer les préjudices causés par ses animateurs. Mohamed Bathily ne reconnaît pas, en effet, que les recettes domaniales procurent au trésor public la bagatelle de 70 milliards Fcfa environ.
Il est évident, en revanche, que l’ancien Garde des Sceaux -qui n’avait pas cillé en faisant arrêter et juger un huissier dans le contentieux domanial de Kalabanbougou– vient de lever un lièvre qui mérite bien la désignation de front du Sud tant la propriété est pour certains milieux d’affaires ce que représente l’Azawad pour les mouvements irrédentistes. Et, à défaut d’entrer en rébellion par les armes et le maquis, on peut s’attendre à une salve de pilonnages par les procédures judicaires que ne manqueront pas de susciter les mesures d’annulation déjà effectuées ou en voie de l’être. Un tel scénario est non seulement plausible, mais il est aussi propice avec un environnement judiciaire quasi-intégré où la possibilité est offerte aux justiciables de recourir à des instances sous-régionales, voire régionale pour entrer dans leurs droits. Quand on sait par ailleurs que la plupart des titres annulés constituent des garanties en banques, il y a lieu d’envisager déjà une «Médiation» pour la salve de conflits inhérents à une option aussi inédite.
Abdrahmane KÉÏTA
Le Témoin