53 soldats français sont morts au Mali depuis le début de notre engagement en 2013. Il y a eu des dizaines de blessés, des milliards d’euros engloutis. Aujourd’hui, on part du pays. On a envie de dire : tout ça pour ça ?
Effectivement. 53 morts, même 59 en tout, car certains ne sont pas morts au combat mais dans l’exercice de leurs fonctions. Il convient aussi d’ajouter les soldats africains tués et d’avoir une pensée pour la population malienne qui souffre. Après… Tout ça pour ça ? Je ne suis pas d’accord. Ce qui a été fait est énorme !
En 2013, la France est intervenue à la demande de l’État malien pour contrer une montée en puissance des groupes terroristes. Ils s’étaient soudés et descendaient, à vive allure, sur Bamako, en s’emparant des villes sur leur route. Notre intervention a permis de les stopper et d’empêcher la constitution d’un califat, à l’instar de celui au Levant. Ce n’est pas rien ! L’engagement de nos forces – 125 000 soldats français sont passés au Sahel – a aussi permis de faire monter l’armée malienne en puissance. En 2013, au début de notre intervention, elle comptait à peine 8 000 hommes. Aujourd’hui, elle en regroupe 40 000, formés à se battre. Tout ça, ce n’est pas rien !
On a l’impression d’avoir gagné la guerre en 2013 mais d’avoir perdu la paix en 2022 ?
Je rejette en bloc cette analyse. Depuis 2013, les choses ont évolué et on s’est adaptés. Au Mali, une junte a fait un coup d’État. Elle a dit qu’elle mettait en place un processus démocratique avant de revenir sur cet engagement. Pour consolider son pouvoir, elle a fait venir des mercenaires, payés par l’argent des Maliens, et multiplié les initiatives pour empêcher l’intervention des forces internationales. Sur un plan diplomatique, cette junte s’est totalement isolée. Comme ses homologues africains et européens, la France ne peut cautionner cela. Elle réadapte donc son dispositif. La guerre n’est pas finie. Le combat continue.
Ce qui se passe aujourd’hui était déjà dans le discours du président de la République lors du sommet de Pau (en janvier 2020, NDLR). La réactualisation du dispositif des forces internationales était prévue. Les groupes armés terroristes se sont déplacés vers le sud. Il fallait que l’on se réorganise aussi par rapport à cela.
Que des Français se fassent bouter d’un pays d’Afrique francophone qui leur avait demandé de l’aide par une junte soutenue par des Russes… Cela ressemble à un tournant géostratégique majeur ? C’est la fin du fameux « pré carré » ?
On ne peut pas penser comme des colonialistes ! Le président Macron le dit depuis le début : on ne raisonne plus dans un cadre postcolonial. Les pays africains sont souverains. S’ils veulent notre aide, on y va. S’ils n’en veulent plus, on part.
On ne peut pas dire non plus que nous partons à cause des Russes. Non ! La junte malienne a saisi l’opportunité de consolider ses pleins pouvoirs et sa posture de prédation de la société malienne en faisant appel à une société de mercenaires qui s’appellent Wagner…
Société largement soutenue par le Kremlin…
Oui mais cela ne revient pas à dire que c’est la faute des Russes si on part. C’est la junte malienne qui a choisi de faire intervenir cette société pour rester au pouvoir. C’est son choix, pas celui du Kremlin.
L’analogie a ses limites, mais il est difficile de ne pas établir un parallèle avec l’Afghanistan, au moins en termes d’échec de notre mode opératoire. En 2013, nous sommes intervenus au Mali en se disant qu’on en sortirait à l’issue d’un processus de transition démocratique, après avoir formé une armée et conquis les « cœurs et les esprits » de la population via du développement. Comme en Afghanistan, ce schéma qu’on applique toujours a de nouveau échoué. Il semble totalement dépassé ?
La situation est très différente de l’Afghanistan. D’abord parce que, nous, on reste. On ne quitte pas le pays dans la panique, en quelques jours, parce que celui-ci vient d’être brutalement conquis par ceux que l’on combat. Au Mali, ce n’est pas du tout ça. Nous nous redéployons, sur un format plus allégé, face à des groupes qui, contrairement aux Talibans, ne sont pas dans une logique de conquérir leur pays. Et puis, l’affinité historique n’est pas la même entre l’Afghanistan et la France et le Mali et la France.
Oui mais, comme en Afghanistan, notre stratégie au Mali s’est fondée sur une intervention militaire qui devait être suivie par un processus démocratique et la formation d’une armée nationale. De nouveau, ce schéma a échoué…
Pourtant, à mon avis, c’est le seul qui vaille… Néanmoins, pour que ça marche, il faut que l’on puisse travailler avec d’authentiques partenaires, qui font le travail jusqu’au bout. À l’heure actuelle, au Mali, cela n’est pas du tout le cas.
En 2020, vous avez produit un rapport d’information parlementaire « sur le continuum entre sécurité et développement ». Ce travail posait déjà certaines limites à ce type d’actions ?
Je n’étais déjà pas satisfait de la situation au Mali avant l’arrivée de la junte. De mon point de vue, les responsables maliens ne faisaient déjà pas le travail. Ils auraient dû être beaucoup plus hermétiques à la corruption.
Donc, vous avez pointé cela dans un rapport mais on est quand même resté, au risque de cautionner un État que l’on savait défaillant et corrompu.
L’idée n’était absolument pas de cautionner qui que ce soit mais d’essayer de faire évoluer un système tout en préservant sa souveraineté. Une position compliquée, c’est vrai. Mais nous avons choisi de laisser une chance au Mali. Derrière les gouvernements corrompus, il y a des peuples qui souffrent. Nous avons toujours cherché à trouver le juste milieu. Lors du sommet de Pau, le président Macron avait d’ailleurs commencé à hausser le ton en demandant aux Maliens de prendre leur juste part. Le désengagement et la réorganisation de nos troupes étaient déjà engagés avant l’arrivée de la junte. Le coup d’État de la junte et son comportement n’ont fait qu’accélérer cette manœuvre.
La France fustige beaucoup la junte malienne. Pourtant, dans cette région, elle soutient d’autres gouvernements où le processus démocratique est compliqué pour ne pas dire absent. C’est le cas du Tchad par exemple. La diplomatie de notre pays distingue-t-elle les bonnes et les mauvaises juntes ?
Non. La situation au Tchad est très différente. Les communautés africaine et internationale n’ont absolument pas condamné de la même façon le Tchad. Il ne faut pas tout mélanger.
Le désengagement va donc commencer. Sur le terrain, c’est une manœuvre longue, complexe et dangereuse. Comment voyez-vous les choses ?
Le désengagement va se faire dans le bon ordre. Je ne suis pas inquiet. J’ai toute confiance dans la capacité de nos chefs militaires à le gérer.
Pour quitter le Mali, il va néanmoins falloir traverser des pays où la France semble aussi avoir perdu la bataille de l’opinion… avec toute la complexité que cela peut générer sur le terrain. On l’a vu récemment au Burkina-Faso où des convois militaires français ont été bloqués par des manifestants.
On sait qu’une partie des populations de ces pays font l’objet de désinformation et de manipulation. Cela peut produire des mouvements de foule. Sans sous-estimer le problème, il convient de le relativiser. L’image d’un convoi français bloqué par des jeunes qui lui lancent des cailloux produit un effet médiatique très fort, c’est vrai. Sur un plan militaire, il faut néanmoins pondérer. Ce ne sont pas des missiles ou des chars qui nous barrent la route… Certes, ceux qui nous veulent du mal pourront toujours créer des événements sporadiques à fortes portées médiatiques. C’est désolant, OK, mais cela se gère. En ex-Yougoslavie, notamment, nos armées ont prouvé qu’elles savaient gérer des situations bien plus complexes que cela.
Source: letelegramme