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Retour de l’armée malienne à Kidal : « Ce retour peut favoriser l’accalmie sur le terrain », selon Serge Daniel, correspondant de RFI au Mali

Le 13 février 2020, l’armée malienne reconstituée a fait son retour à Kidal, bastion de la rébellion touarègue. Ce retour, fort en symboles, permet d’affirmer que l’accord pour la paix et la réconciliation issu du Processus d’Alger est marche. Pour cerner les enjeux de ce retour à Kidal, Lefaso.net est allé à la rencontre de Serge Daniel, journaliste et écrivain, correspondant de Radio France internationale (RFI) au Mali.

Lefaso.net : Le retour de l’armée malienne à Kidal est-elle une source d’espoir dans la stabilisation de la région du Sahel ?

Serge Daniel : L’arrivée de l’armée malienne reconstituée à Kidal est un petit pas vers la paix. Et la symbolique est assez forte. En 2014, suite à une visite assez mouvementée d’un Premier ministre malien sur place, l’armée malienne a été défaite lourdement et les rebelles se sont installés. Alors, le retour de l’armée malienne sur Kidal est caractérisé par trois symboles. Le premier symbole est que l’armée malienne reconstituée est composée d’un tiers de soldats progouvernementaux, d’un tiers d’élément de groupements armés et un tiers de soldats ex-rebelles qui contrôlaient essentiellement Kidal.

Le deuxième symbole est que c’est le représentant de l’exécutif, à savoir le gouverneur de la région, qui a reçu l’armée reconstituée à Kidal. Le dernier symbole, et pas des moindres, est que l’armée a pris position dans le camp traditionnel qu’elle occupait en temps normal. Il faut signaler que la mission de l’ONU a favorisé le déplacement et la sécurisation. Donc c’est un petit pas qui prouve que si chacun met du sien, on peut sortir de la crise.

Peut-on dire que c’est le chemin tracé par les accords d’Alger qui est en marche ?

Le chemin de l’accord de la paix d’Alger est en marche, c’est un petit pas vers la paix. L’accord d’Alger, vous savez, a été signé dans des conditions où le gouvernement malien n’est pas en position de force. Aujourd’hui, il y a des articles issus de ces accords qui ne passent pas, mais c’est quand même important de revoir l’armée malienne revenir à Kidal. Elle est même allée à Tombouctou, à Gao et dans d’autres localités. Cela ne fait pas autant de bruit que l’arrivée de l’armée reconstituée à Kidal. Ce qui prouve que c’est un grand pas assez important.

Ce retour peut-il être un facteur d’apaisement concernant les attaques au Mali et dans les pays voisins ?

C’est évident que cela peut contribuer, mais pas dans l’immédiat. Et c’est une erreur de penser que toutes les attaques ne viennent que de Kidal. Par exemple, Iyad Ag Ghali, l’Etat islamique ou encore Amadou Kouffa au centre, ce ne sont plus des gens qui tiennent leurs réunions à dix. Ils savent qu’ils sont surveillés, que des drones peuvent venir les anéantir ; donc c’est une erreur de penser que c’est Kidal seul qui constitue la menace.

Il y a des microgroupes qui ont été formés et qui reçoivent des instructions d’un peu partout pour mener des attaques. Oui, l’armée malienne reconstituée à Kidal peut permettre probablement moins d’attaques venant de cette région ; parce que souvent, des attaques viennent de cette région administrative du Mali. Cela ne va pas suffire. Il ne faut pas dormir sur ses lauriers et dire que nous allons avoir moins de menaces.

Mais selon certains acteurs, tout part de Kidal…

Certains pensent que tout part de Kidal, mais les mêmes acteurs, que ce soit au Mali ou dans les pays voisins, viennent à Kidal négocier certaines libérations d’otages. Ainsi, tout ce monde estime que Kidal est incontournable. Le président du Niger Mahamadou Issoufou, il y a quelques mois, avait déclaré que les attaques venaient de Kidal. Il estimait que certains acteurs à Kidal avaient des liens avec les terroristes. Quelques semaines après, il les a reçus officiellement à Niamey. Il vaut mieux discuter avec ceux qui sont soupçonnés à tort ou à raison. En rappel, dans la région de Kidal, Il n’y a pas que des terroristes. Il y a aussi des gens qui ne sont pas complices des terroristes.

Ce retour n’est-il pas un piège pour l’armée malienne ?

C’est n’est pas un piège mais en même temps, il faut faire attention parce que l’armée malienne n’avait pas, à elle seule, les moyens de quitter Gao pour aller à Kidal. Dans le cadre de l’accord de paix d’Alger, il a été clairement dit que c’étaient les Casques bleus de l’ONU qui allaient assurer l’accompagnement. Donc l’armée malienne n’est pas prisonnière de la mission de l’ONU. L’armée malienne a respecté les accords. Moi j’ai suivi les négociations et il y avait des autorités maliennes qui avaient souhaité, dans un premier temps, que l’armée malienne cohabite avec la Minusma dans leur camp à Kidal.

La Minusma a dit non. Que si l’armée malienne vient cohabiter chez eux, c’est comme si on l’empêchait de se mouvoir. Ce n’est pas parce que les Casques bleus accompagnent la mission qu’il faut dire que c’est un piège. Mais ce qui est en revanche important, c’est ce qui va se passer dans les jours à venir. Une armée n’est pas faite pour rester dans un camp militaire, elle est surtout faite pour bouger en faisant des patrouilles à Kidal et dans ses environs. Est-ce que l’administration va revenir ?

C’est tout ça les enjeux. Et c’est un symbole qui annonce le retour de l’Etat malien à Kidal, bien que ce retour ne soit pas généralisé. Je pense plutôt que c’est une bonne manière de revenir parce que les Kidalois pensaient, dans le passé, qu’on voulait de Kidal sans les Kidalois. Mais avec ce retour, ils estiment que c’est le règlement du conflit. L’armée revient à Kidal pour sécuriser les populations, l’administration et les biens des personnes. Et c’est ce que prévoit l’accord de paix d’Alger.

Des pays comme le Burkina et le Niger pourront-ils souffler si Kidal est contrôlé par l’autorité malienne ?

C’est possible. Mais vous savez, au Mali, on peut dire que Kidal était l’endroit où on envoyait les otages et certains demandaient à Bamako de négocier. Mais la menace a évolué au Nord et s’est propagée dans les pays voisins comme le Burkina et le Niger. Mais le constat est que le véritable problème au Burkina, et je l’ai dit bien avant tout le monde, c’est l’Etat islamique de Abou Walid al-Sahraoui, l’ancien Mujao basé à l’époque à Gao, et qui sévissait dans les trois frontières.

Quand on les cherche au Niger, ils sont à la frontière du Mali ou du Niger. Mais à partir du moment où l’armée reconstituée revient à Kidal, des pays comme le Burkina ou le Niger seront épargnés du terrorisme parce que Kidal était le réservoir des groupes terroristes. Vous avez, à la frontière du Mali, du Burkina et du Niger, des groupes terroristes très mobiles comme l’Etat islamique. Ce retour peut favoriser l’accalmie des attaques sur le terrain mais cela ne veut pas dire que les attaques vont cesser. Et en plus de cette situation, les pays connaissent des questions de gouvernance. Ils ne mutualisent pas assez leurs forces dans la lutte. Par exemple le matériel.

Est-ce que ce n’est pas une erreur de concentrer la lutte contre le terrorisme sur le plan militaire ?

L’accord d’Alger a deux volets : il y a un volet militaire et un volet institutionnel et économique. Mais on n’insiste pas trop assez sur le second volet. Vous avez par exemple 60 millions d’habitants dont la plupart sont des jeunes. Sans développement, ces jeunes vont aller grossir les rangs des terroristes. Dans ce cadre, il faut un développement transversal entre ces pays pour résorber le chômage.

Est-ce la fin des blocages dans cet accord d’Alger ?

On ne peut pas dire que c’est la fin des blocages mais c’est un premier pas important. Aujourd’hui, il y a, à Bamako, au sein même de la mouvance présidentielle, quelques réactions sur trois articles assez contestés de l’accord de paix d’Alger. Et un article très important qui dit que le chef de l’Assemblée régionale aura plus de pouvoir que le gouverneur qui est le représentant de l’exécutif. Cet article par exemple ne passe pas chez certains acteurs de la mouvance présidentielle. Donc, il y a une volonté de relecture de l’accord de paix d’Alger afin de revoir cette disposition. A Kidal, il faut renforcer l’armée pour éviter les attaques ; parce que s’il y a une attaque, cela peut freiner un peu le processus de paix.

Propos recueillis par Issoufou Ouédraogo
Lefaso.net

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