Le chef d’Etat-major particulier du Président de la République, le Général de division Yamoussa Camara, a été placé hier sous mandat de dépôt par le juge d’instruction du 2ième Cabinet du Tribunal de la Commune 3 pour complicité d’assassinat. Il serait reproché à l’ancien ministre de la défense sous la transition « d’avoir signé une décision affectant des éléments, dont de nombreux bérets rouges, à l’opération Badinko, sachant parfaitement que ces derniers ont été exécutés après les affrontements qui les avaient opposés à des bérets verts ». L’inculpation et la mise sous mandat de dépôt de Monsieur CAMARA posent la question de la responsabilité d’un ministre pour les crimes et délits commis pendant ses fonctions.
Analyse
1-Concordance de temps
Le 24 Avril 2012, Monsieur Cheik Modibo DIARRA a formé son gouvernement de 24 membres dont 3 militaires à savoir le Colonel Major Yamoussa CAMARA, Ministre de la défense, le Colonel Major Moussa Sinko COULIBALY, le Général Tiéfing KONATE, à la protection civile.
Du 30 avril au 1er Mai 2012, affrontements entre bérets rouges et bérets verts.
Monsieur Yamoussa CAMARA était donc Ministre de la défense à l’époque des faits pour lesquels il est mis en cause.
2- Que disent les textes ?
-La Constitution
Parmi les dispositions qui traitent de la responsabilité pénale des membres du gouvernement, la disposition la plus importante est l’’article 95 de la Constitution du 25 février 1992 qui stipule :
« La Haute Cour de Justice est compétente pour juger le Président de la République et les Ministres mis en accusation devant elle par l’Assemblée Nationale pour haute trahison ou en raison des faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions ainsi que leurs complices en cas de complot contre la sûreté de l’Etat. La mise en accusation est votée par scrutin public à la majorité des 2/3 des députés composant l’Assemblée Nationale.
La Haute Cour de Justice est liée par la définition des crimes et délits et par la détermination de peines résultantes des lois pénales en vigueur à l’époque des faits compris dans la poursuite ».
Le but du Constituant n’était pas de mettre les membres du gouvernement «au-dessus de la loi» mais d’«empêcher que des poursuites intempestives ou vexatoires intentées par de simples citoyens n’entravent la marche des affaires publiques».
-L’application des textes constitutionnels
Dans cette affaire, Monsieur CAMARA est poursuivi selon les règles du droit commun. Alors que la loi n°01/97-001 du 13 janvier 1997 fixant la composition et les règles de fonctionnement de la haute Cour de justice ainsi que la procédure suivie devant elle en son article 15-2 stipule : « Lorsqu’un ministre est susceptible d’être inculpé à raison de faits qualifiés crimes ou délits commis dans l’exercice de ses fonctions , le Procureur de la République compétent , transmet le dossier au Procureur General près la Cour suprême , chargé de l’acheminer au Président de l’Assemblée Nationale ».
Les faits reprochés à Monsieur CAMARA auraient été commis lors de ses fonctions ministérielles. A priori, il est passible de la Haute Cour de Justice.
Comment expliquer la compétence du tribunal de la commune 3 ?
Deux tentatives de justification de l’option du droit commun.
A- Première tentative : La théorie de l’emprunt de criminalité.
Les juridictions Maliennes ont l’habitude de poursuivre sur le fondement de la théorie de l’emprunt de criminalité certaines personnes qui par leur couverture statutaire dérogent au droit commun. Certains juristes estiment qu’il en a été ainsi dans l’affaire dénommée « la maitresse du président » ; en effet, le journaliste qui a publié l’article étant soumis à un droit dérogatoire, le tribunal de la Commune 3 ne pouvait pas le poursuivre sur la base du droit commun, l’astuce juridique trouvée à l’époque c’était de poursuivre comme auteur principal l’enseignant qui a donné le sujet et le journaliste comme complice.
Ce raisonnement ne résiste pas à l’analyse car selon la théorie de « l’emprunt de criminalité », le complice emprunte sa criminalité à l’auteur principal. Cela signifie qu’il encourt les mêmes peines que s’il avait commis personnellement l’infraction. Cette théorie ne peut pas justifier l’évitement d’un droit spécial, elle se contente simplement de procéder à une assimilation de l’acte du complice et de l’auteur principal pour l’administration de la peine.
La théorie de l’emprunt de criminalité est inopérante.
B- Seconde tentative : Le cadre de réalisation des faits reprochés
En matière de responsabilité des membres du gouvernement, on fait parfois une distinction entre les actes qui se rattachent à l’exercice des fonctions et les actes qui ont été commis à l’occasion des fonctions.
– L’intérêt de la distinction
La distinction entre les actes qui se rattachent à l’exercice des fonctions et les actes qui y sont étrangers ne présente un intérêt réel que dans deux hypothèses. (1)La première de ces circonstances se présente lorsqu’il s’agit d’intenter une action civile contre un ministre en fonction.
(2) La deuxième de ces circonstances se présente lorsqu’il s’agit d’intenter une action pénale contre un ancien ministre. C’est cette deuxième hypothèse qui nous intéresse.
La question qui se pose est de savoir si un ministre dont les fonctions ont pris fin doit encore bénéficier du régime dérogatoire pour des faits remontant à l’époque où il faisait partie du gouvernement.
La doctrine majoritaire, a estimé qu’il fallait établir une distinction selon que les faits reprochés à l’ancien ministre sont ou non en rapport avec ses anciennes fonctions ministérielles.
Les principes posés par l’article 95 de la Constitution du 25 février 1992 sont dictés par de hautes considérations d’intérêt général qui tiennent essentiellement à la nécessité de sauvegarder la liberté d’action des membres du gouvernement et de soumettre les accusations portées contre eux à la juridiction considérée par le Constituant comme offrant un maximum de garanties. Cette nécessité justifie qu’un ministre ne puisse être poursuivi et jugé que dans les conditions prévues à cet article lorsque, pendant le temps de ses fonctions, il est soupçonné d’avoir commis des infractions soit avant, soit pendant ce temps ou lorsque, après la cessation des fonctions, il est soupçonné d’avoir commis des infractions dans l’exercice de celles-ci.
En revanche, dans le cas où un ministre dont les fonctions ont pris fin est soupçonné d’avoir commis des infractions pendant le temps de ses fonctions mais hors l’exercice de celles-ci, l’ancien ministre est poursuivi selon les règles ordinaires de la procédure pénale devant les juridictions de droit commun.
En France, la plainte déposée par M. Patrick Buisson contre Mme Taubira, pour prise illégale d’intérêt, a été jugée recevable par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. La ministre de la justice devrait être prochainement entendue par un juge d’instruction.
Le problème juridique qui se posait dans cette affaire concernait la question de savoir si les juridictions de droit commun sont compétentes pour connaître d’une plainte déposée à l’encontre d’un ministre en exercice du fait des actes accomplis pendant son ministère. Plus précisément, existe-t-il des actes détachables de la fonction ministérielle qui seraient de la compétence des juridictions de droit commun ou bien la qualité de l’auteur de l’acte, en l’occurrence un ministre, détermine-t-elle automatiquement la compétence de la Cour de justice de la République, l’équivalent de la Haute Cour de Justice au Mali.
En l’espèce, le juge saisi de cette plainte s’était déclaré incompétent au motif que les faits reprochés à la ministre de la justice avaient été commis dans l’exercice de ses fonctions ministérielles. Ainsi, selon l’ordonnance d’incompétence (juill. 2013), seule la CJR pouvait se prononcer dans cette affaire. Mais, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 16 janvier 2014 vient d’en décider autrement. Elle estime que le communiqué de presse de Mme Taubira peut être analysé comme une mise au point, rendue publique, en réaction à une mise en cause dans les médias ; qu’il constitue « un acte détachable de la fonction de ministre de la justice » qui « n’a aucun lien avec la détermination de la conduite des affaires de l’État ».
En effet, la qualité de l’auteur de l’acte en cause ne détermine pas ab initio la compétence de la CJR mais l’existence ou non d’un lien direct entre l’acte reproché et les fonctions ministérielles exercées. Ainsi, pour retenir la compétence des juridictions de droit commun ou de la juridiction spéciale (CJR), le juge doit rechercher la nature de l’acte. La compétence de la CJR est uniquement retenue pour les membres du gouvernement pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis (Cass., ass. plén., 23 déc. 1999, n° 99-86.298, D. 2000. 26 ). Ces infractions doivent être en rapport avec la conduite des affaires de l’État, y compris lorsque le ministre s’exprime en tant que membre du gouvernement (Crim. 12 juin 1987, Bull. crim. n° 243). Les juridictions de droit commun sont compétentes lorsque des délits sont commis « à l’occasion des fonctions ministérielles » (et non « dans l’exercice » ; V., par ex., Crim. 16 févr. 2000, n° 99-86.307, D. 2001. 660 , note V. Bück ; RSC 2000. 840, obs. J.-F. Renucci ; 13 déc. 2000, n° 00-82.617, D. 2001. 744 ).
Il serait reproché à Mr CAMARA : « d’avoir signé une décision affectant des éléments, dont de nombreux bérets rouges, à l’opération Badinko, sachant parfaitement que ces derniers ont été exécutés après les affrontements qui les avaient opposés à des bérets verts ».
Cet acte est il détachable de l’exercice de la fonction de ministre s’il était destiné à couvrir des crimes ?
Cette question risque d’être un des points d’achoppement entre les différents avocats.
Si l’on considère que l’acte d’affectation n’est pas un simple acte administratif, mais plutôt un moyen de soustraction de certaines personnes à l’action de la justice, il tombe sous le coup des articles 24, 25, 199, 240 du Code pénal Malien. Par conséquent, cette affaire relève de la compétence des juridictions de droit commun. A l’inverse, elle relèvera de la compétence de la Haute Cour de Justice
Contribution de monsieur Abdourahamane TOURE, juriste
SOURCE / MALI-WEB