Chère madame,
Comme beaucoup de nos compatriotes, j’ai lu avec un vif intérêt mais aussi et surtout -je l’avoue sans fard- avec une profonde indignation, la désormais célèbre lettre ouverte que vous avez adressée il y a quelques jours au Président de la République du Mali, via certains journaux de la presse et Internet.
Vous aimez faire état, madame, dans vos écrits comme dans vos propos, de certaines valeurs quasiment considérées comme consubstantielles à la culture et à l’histoire millénaires de la nation malienne. Il s’agit entre autres des valeurs de respect, de tolérance et d’acceptation de l’autre ; de celles de partage, d’humilité, de retenue, de sagesse et de convivialité, toutes choses dont nos compatriotes sont, à juste titre, très fiers.
Mais en lisant et en relisant votre épître enflammée adressée au Président Ibrahim Boubacar Keita, je n’ai retrouvé nulle trace, nulle réminiscence de ces valeurs que vous magnifiez pourtant si souvent. Ces valeurs, madame, y sont cruellement absentes même si, au détour de quelques phrases convenues, vous en faites le rappel. Hélas, ce rappel sonne comme une banale clause de style et n’a rien de l’expression d’une conviction profondément ancrée. Ni la tonalité, ni le fond de votre lettre ouverte ne sont en effet imprégnés de ces valeurs cardinales auxquelles notre peuple reste si viscéralement attaché, de Kayes à Kidal, dans les plaines comme dans les montagnes, au sud comme au nord.
Jugez-en vous-même : d’appels comminatoires en insinuations désobligeantes, vous ordonnez proprement, à travers votre fameuse lettre, au Chef de l’Etat du Mali, la conduite et les propos à tenir, avec une désinvolture à nulle autre pareille, d’un sans-gêne confondant ! Et au passage vous traitez de flagorneurs, de matamores les milliers de nos compatriotes qui soutiennent l’initiative du Président de la République de réviser notre constitution afin de l’adapter aux défis de l’heure. Est- ce, madame, faire preuve de retenue, de tolérance, de respect que de jeter l’opprobre sur un chef de l’Etat et d’honnêtes citoyens qui n’ont que le tort de n’avoir pas la même opinion que vous sur un sujet d’intérêt national ?
Madame, vous qui êtes unanimement considérée dans notre pays comme une femme de culture, une référence intellectuelle, vous devriez être bien placée pour savoir que la prise de parole publique suppose d’abord et avant tout la légitimité de celui ou de celle qui s’y risque et que parfois le silence est véritablement d’or.
Je pense en effet que vous êtes disqualifiée désormais et ce, depuis fort longtemps, pour prendre la posture du donneur de leçons, pour tout ce qui concerne le sort et l’avenir du Mali. Qui ne se rappelle pas votre silence assourdissant et celui de votre époux lorsqu’en 2012, face à l’invasion rebelle, aux conséquences du coup d’Etat, le bateau Mali menaçait de sombrer à jamais et que le pays était sur le point de s’effondrer littéralement ?
Pendant que dans tout le pays et à l’étranger des Maliens, de tous bords politiques, de toutes obédiences et de toutes confessions religieuses se battaient pour sortir le pays de l’ornière et éviter que l’Etat ne s’effondre, vous étiez lotie aux abonnés absents et nul ne vous a entendu prononcer le moindre mot ou marquer la moindre compassion envers nos compatriotes. En cette période cruciale, vous vous étiez courageusement mise à l’abri à l’extérieur, toujours en compagnie de votre époux, pour ne pas avoir à pâtir de la dégradation de la situation et des dangers qui y étaient inhérents.
En ces moments critiques, madame, les vrais démocrates et les vrais patriotes se battaient au Mali, et parfois ailleurs, partout où ils pouvaient être utiles, pour éviter l’irréparable. Pour restaurer la démocratie et l’Etat de Droit, recouvrer l’intégrité du territoire national. Je saisis l’opportunité que vous m’offrez pour saluer le travail acharné fait par nombre de nos compatriotes sous la Transition pour que le Mali reprenne la place qui est la sienne dans le concert des nations.
Plutôt que d’invectiver, vous devez avoir l’honnêteté de reconnaître que la tâche d’Ibrahim Boubacar Keita, que vous apostrophez dans votre lettre ouverte sans aucun égard pour ce qu’il est ou pour ce qu’il a été, n’est pas de tout repos. Ayant hérité d’une situation politique et sécuritaire profondément détériorée, élu qu’il a été à la tête d’un Etat démembré et affaibli jusque dans ses fondements, IBK mérite bien plus que le dénigrement auquel l’on assiste et auquel vous participez en toute connaissance de cause, le tout avec une jubilation qui frise l’indécence.
Ne vous en déplaise, madame, la révision constitutionnelle actuellement proposée au peuple malien ne procède d’aucune volonté d’accaparement du pouvoir par le Président IBK, mais simplement de la volonté d’adapter nos institutions aux réalités présentes et du souci de mettre le Mali en phase avec ses engagements nationaux et internationaux.
En réalité, malgré les efforts que vous déployez vainement dans votre lettre pour le dissimuler, nul n’est dupe du but que vous poursuivez et de l’intention qui vous anime. Il s’agit, pour vous et d’autres pêcheurs en eaux troubles, d’amplifier le mouvement de contestation qu’a suscité le projet de révision constitutionnelle, pour déstabiliser le régime en place et régler au passage vos comptes avec le Président IBK. C’est ce dessein abject qui explique votre sortie tonitruante, après plus d’une décennie de black-out dédaigneux sur le Mali.
Ne gaspillez pas votre talent et votre science, madame, à vouloir nuire et à verser dans la récupération politicienne. En votre qualité d’ancienne première dame et d’historienne confirmée, le Mali et ses fils attendent bien plus que cela de vous. Ils attendent de vous, sagesse et pondération, conseils avisés et mots d’apaisement.
Je vous le dis franchement et en toute amitié : vous avez intérêt à faire preuve de retenue tant la gestion des affaires publiques de votre cher époux a été jalonnée d’erreurs graves, de drames individuels et collectifs et de mauvaises décisions pour le pays.
Magnanime, le Président IBK n’a, pour sa part, jamais voulu se servir de l’Etat pour régler des comptes et c’est cette générosité de cœur et cet humanisme sincère qui font qu’il n’a jamais cherché à entraver la carrière de votre officier de fils tout en sachant pertinemment que celui- ci se trouve aujourd’hui au niveau où il est grâce à des passe-droits et des faveurs indues.
Vous vous plantez totalement, madame, lorsque vous sortez de votre réserve, en tentant d’abuser de la bonne foi des Maliens et en faisant de la situation politique actuelle une lecture erronée. La confrontation actuelle entre les camps du oui et du non participe d’un débat démocratique sain et normal ; elle est loin de mettre en cause la stabilité de notre pays et ses acquis démocratiques. La décision finale ne revient qu’au chef de l’Etat auquel, si vous étiez réellement de bonne foi, vous aviez tout le loisir de vous adresser personnellement et directement. Le Président de la République, le Mali entier l’aura compris, n’est pas le destinataire réel de votre lettre ouverte. Celle-ci est au fond une incitation à la révolte, un appel à l’insurrection populaire contre un chef de l’Etat élu démocratiquement et n’ayant fait qu’user de ses prérogatives constitutionnelles.
Les Maliens ne sont pas dupes des manœuvres que vous et votre époux êtes en train de mener. Le dessein machiavélique qui vous pousse imprudemment dans l’arène ne se réalisera pas car, en face, il se heurtera à une détermination sans faille qui demeurera inaccessible aux complots et aux coups bas. Veuillez agréer, madame, l’expression de ma considération distinguée.
Alpha Amadou Sow, Lafiabougou, Bamako