Fermées le 17 mars 2020 suite à la pandémie de Covid-19, les universités s’apprêtent à rouvrir ce 14 septembre 2020. Alors que « les motifs qui ont conduit à la fermeture des classes sont toujours d’actualité », les effectifs pléthoriques dans cet ordre d’enseignement posent problème. À cela s’ajoutent les difficultés récurrentes, comme l’insuffisance en infrastructures pédagogiques, des années académiques non maîtrisées et des mouvements de grève imprévisibles.
« À Ségou, cela se présente comme ailleurs. Avec des effectifs pléthoriques, comment respecter la distanciation sociale ? », s’interroge le Docteur Mamoutou Karamoko Tounkara, chef de département de Sociologie de l’université de Ségou. La disponibilité des masques pour les enseignants et les étudiants, ainsi que l’application des autres mesures barrières, sont autant de questions auxquelles les établissements et le département en charge de l’Éducation doivent trouver des réponses avant le Jour J.
Une année perdue ?
Alors que certains étudiants s’apprêtent à poursuivre leur cursus, nombre d’entre eux attendent avec impatience leur premier cours. Admis au baccalauréat en 2019, ils sont nombreux à n’avoir suivi aucun cours durant cette période plutôt exceptionnelle, marquée par l’habituel chevauchement des années scolaires, les grèves et la crise sanitaire née de la pandémie de Covid-19. Même si depuis l’instauration du système LMD les cours sont semestriels ou modulaires, difficile de ne pas penser à une année blanche.
« Si on réfléchit en terme d’année, oui. Le problème est le chevauchement des années, parce qu’il n’y a jamais eu de reprise normale dans les universités. Mais, dans les grandes écoles, l’année académique est bien définie », relève le Docteur Bouréma Kansaye, Vice-recteur de l’université des Sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB).
Malheureusement, les universités qui reçoivent le plus grand nombre d’étudiants continuent de manquer cruellement d’infrastructures. Et le mois d’octobre, généralement prévu pour la rentrée, est souvent mis à profit pour terminer effectivement l’année précédente. Dans le meilleur des cas, la reprise des cours intervient en décembre ou janvier, après les phases d’inscription.
Autre problème, avec les mouvements de grève fréquents, la rentrée intervient souvent au mois de mars. Cette année, par exemple, à la faculté de Droit public et à la faculté des Sciences administratives et politiques de Bamako, les cours avaient pu débuter, au moins durant 3 semaines, avant la fermeture pour raison de Covid-19. Les étudiants vont donc reprendre les cours là où ils s’étaient arrêtés, mais ceux qui n’en avaient suivi aucun les reprendront dès le début, expliquent les autorités scolaires.
À la faculté de Sociologie de l’université de Ségou, on en était à « 1 module exécuté au moment de la fermeture des classes, au lieu de 4 ou 5 en temps normal », déplore le chef de département.
L’université, qui souhaite pourtant se démarquer en évitant les chevauchements d’années scolaires, a cependant connu un retard cette année, aggravé par une grève des étudiants. Conséquence : dans certaines facultés, il n’y a eu aucun module enseigné. D’où la suggestion de certains de faire table rase et de déclarer l’année blanche pour repartir à zéro.
Pas de calendrier académique
Le chevauchement des années scolaires et l’absence d’une définition claire du calendrier académique au niveau central est une problématique partagée dans le réseau d’excellence de l’enseignement supérieur en Afrique de l’ouest (REEAO). Et une rencontre sur le sujet a même été envisagée pour parvenir à une harmonisation au niveau de la zone.
Ces années qui s’entremêlent ne favorisent guère un apprentissage serein et peuvent même constituer une source de démotivation pour les apprenants et les enseignants. En effet, difficile même pour les acteurs de s’y retrouver, tant les années scolaires n’ont ni début ni fin. Il n y a « pas de vacances pour les enseignants, on enseigne en juin, juillet, août souvent en septembre », déplore le vice recteur de l’USJPB.
L’objectif est de pouvoir maîtriser les mouvements de grève des enseignants et des étudiants en anticipant sur les difficultés pour parvenir d’ici 2 à 3 ans à trouver un équilibre, espère t-il. « Parce que le LMD ne s’accommode pas du tout avec les grèves qui sont devenues la règle et l’exception est plutôt d’être en cours ».
Si l’acuité des questions varie en fonction des spécificités de chaque université, cette rentrée s’annonce dans un contexte particulier pour toutes. Parmi les mesures préconisées qui doivent être mises en place, c’est la distanciation sociale qui posera problème en raison de l’effectif des classes et des capacités d’accueil.
Par exemple pour des classes qui comptent 600 étudiants pour un amphithéâtre de 500 places, « faut-il éclater les classes pour respecter la distanciation et gonfler les budgets des heures supplémentaires », s’interroge le docteur Tounkara de l’université de Ségou. Des « questions sanitaires et économiques » qu’il faut trancher en mettant l’accent sur la sécurité pour permettre aux uns et autres de se protéger.
Regarder vers le futur
La période d’arrêt consécutive à la pandémie aurait pu servir à l’opérationnalisation du volet enseignement à distance du Programme d’appui au développement de l’enseignement supérieur (PADES), si le projet n’était pas « mort-né », regrette le Dr Tounkara. En effet, les moyens pour sa mise en œuvre n’existaient pas. « Parce que rares sont les universités dotées d’une connexion Internet efficace, où les étudiants disposent chacun d’ordinateurs et où les enseignants peuvent préparer et mettre en ligne tout un semestre de cours », précise-t-il.
Cette éventualité posait aussi d’autres questions, notamment celle des droits d’auteurs, parce qu’il était question de demander à chaque professeur de fournir les cours et d’en faire une synthèse validée qui aurait été mise à la disposition du ministère. Certains y ont même vu une manœuvre des autorités pour anticiper les grèves des enseignants, durant lesquelles elles auraient pu mettre à la disposition des étudiants les modules déjà prêts.
Pourtant, « on va inéluctablement vers ce système », assure le Dr Tounkara. Par exemple, pour l’université de Ségou, très tributaire des compétences externes, venues de Bamako ou de l’extérieur, la mise en place de ce système pourrait permettre d’alléger le budget, en permettant aux étudiants de suivre le cours, via visioconférence d’un professeur basé à Paris. Et on économiserait ainsi des frais de déplacement et de séjour
À l’université de Ségou, on veut anticiper et la faculté des Sciences sociales locale envisage « un maillage partenarial avec des universités européennes, pour aller vers ce type d’enseignement ». Dans ce cadre pourraient se tenir des visioconférences entre étudiants et d’autres entre professeurs, pour plus d’échanges interuniversitaires.
Mais, avant les nouvelles technologies, le minimum pour une université c’est une bibliothèque, parce qu’aucune formation adéquate n’est possible sans documents. L’alternative des bibliothèques virtuelles existe à cet effet. Il faudrait donc accélérer de tels processus, malheureusement pas encore intégrés par certains. En outre, cette solution serait plus économique et plus pratique qu’une bibliothèque physique, avec des ressources en ligne plus nombreuses et toujours disponibles.
Le PADES a mis en place une plateforme et certains enseignants ont participé à une formation pour pouvoir mettre en ligne leurs cours. Dans ce cadre, 41 cours sont disponibles à l’USJPB. Ils doivent encore être validés par le projet. L’université a même postulé pour un projet de mise en place d’une plateforme, l’actuelle étant hébergée par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui a aidé à former une vingtaine d’enseignants. Le « processus enclenché connaît des difficultés, mais dans un futur proche des cours hybrides, en ligne et en présentiel », devraient voir le jour, annoncent les responsables de l’université.
Fatoumata Maguiraga
Repères
12 468 : Nombre d’étudiants de l’USJPB
5 000 : Nombre d’étudiants de l’université de Ségou
14 semaines : Durée moyenne d’un semestre (USJPB)
Journal du Mali