L’application de cette mesure de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) est un travail d’équipe qui impose l’implication de tous les acteurs et à tous les niveaux.
Pour trouver une solution à l’épineux problème d’extrême surcharge des véhicules de transport de marchandises qui engendrent, à leur tour, la dégradation des routes, les autorités de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) ont adopté le Règlement n°14/2005/CM/UEMOA à Bamako, le 16 décembre 2005. Depuis, la mise en application de cette mesure communautaire pose problème. Quelles en sont les raisons ? Où en est-on avec sa mise en œuvre ? Quelles sont les mesures d’accompagnement dans le processus d’application du Règlement 14 ?
Le Règlement n°14/2005/CM/UEMOA est relatif à l’harmonisation des normes et procédures de contrôle du gabarit, du poids et de la charge à l’essieu des véhicules lourds de transport de marchandises dans les Etats membres de l’UEMOA, du Ghana et de la Guinée. Le Directeur national des transports, Mamadou Koné, que nous avons approché et qui est aussi le point focal du Comité de suivi de la mise en œuvre du Règlement 14 au Mali, explique que l’extrême surcharge des routes et les contraintes liées à l’application du Règlement communautaire sont un sujet assez préoccupant pour l’espace UEMOA. Pourquoi ? Parce qu’on a constaté qu’autrefois, après construction, les routes avaient une longévité de 16 voire 17 ans alors que de nos jours, « à peine la construction finie, la route se dégrade, d’où l’adoption du présent règlement». La mesure demande de respecter les dimensions des véhicules qui sont édictés, le poids total en charge et la charge à l’essieu. L’essieu est l’axe qui lie 2 roues ou 4 roues. C’est son effet qui dégrade la route et c’est pour limiter la dégradation que les Etats ont adopté le règlement 14.
En effet, lorsqu’on limite les charges, on réduit les dégradations de la route qui, à son tour, va durer le plus longtemps possible aussi bien que le véhicule. Il fixe les limites et la base fondamentale pour la charge à l’essieu à 11,5 tonnes, la longueur et la largeur des véhicules de transport de marchandises uniquement à savoir : les citernes, les véhicules transportant le sable, les frets liquide et solide, les camions de 10 tonnes, les ensembles semi-remorques ou les trains routiers.
Pourtant, malgré l’existence d’un tel règlement, les bailleurs de fonds, qui soutiennent les gros investissements comme les routes, ont sonné l’alerte par rapport à la dégradation continue des routes. Ce qui signifie donc que le règlement 14 n’est pas correctement appliqué. « C’est ainsi que de 2009 à 2018, plusieurs réunions des ministres des Transports de l’UEMOA se sont tenues en vue de son application », a fait savoir le point focal. Poursuivant, il attirera l’attention sur le fait que la difficulté d’application du texte communautaire réside dans le fait que les Etats avaient convenu d’une approche d’application directe. Le règlement, selon lui, est comme un décret de l’UEMOA ou une loi qui s’applique intégralement, sans possibilité pour un pays d’y changer quelque chose. « Il n’est possible de le changer que si l’ensemble des Etats décide de le faire ou d’adopter un autre règlement. Il est différent d’une directive en ce sens qu’il est intégral alors qu’une directive peut être adaptée aux réalités d’un pays », a expliqué Mamadou Koné.
APPLICATION PROGRESSIVE ET CONCOMITANTE – D’autre part, il faut noter que les Etats se sont, en réalité, rendu compte qu’un pays, à lui seul, en appliquant ce règlement, ne peut pas résoudre le problème de la dégradation des routes. Un moment, par exemple, aux frontières malienne et sénégalaise, au moins 3000 camions maliens et sénégalais étaient bloqués en raison de la surcharge. «Les camions sont chargés en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Donc, il faut une chaine d’application. Les marchandises sont chargées au port et si le port n’applique pas ? D’où l’idée d’une application progressive et concomitante. Autrement dit, tous les Etats membres doivent être au même niveau d’application et en même temps ».
Les ports, les plates-formes, notamment les usines qui produisent du ciment ou d’autres matériaux doivent, eux aussi, appliquer le règlement 14. En plus, aux entrées des pays ou des grandes villes de l’espace UEMOA, il doit y avoir des pèse-essieu et des ponts bascules. « Donc où que tu charges, tu as à faire avec une pesée pour sortir. En même temps les transporteurs doivent appliquer, mais on a remarqué qu’ils sont pris en otages par les propriétaires de marchandises ». Le premier port à appliquer est celui de Lomé tandis que les ports d’Abidjan et du Sénégal hésitaient à le faire. «Au début, les transporteurs n’avaient pas compris malgré les campagnes de sensibilisation, mais aujourd’hui, eux- mêmes sont contre l’extrême surcharge», a dit le directeur national des routes.
Il convient aussi de souligner que dans le processus de mise en œuvre enclenché, en septembre 2017, les Etats ont adopté un décret d’application progressive et concomitante à Abidjan. Pendant huit mois, tous les Etats membres ont pu, ainsi, constater une régression sensible de l’extrême surcharge. Dans ce cadre, le poids total autorisé en charge (PTAC) a été fixé à 40%. Au-delà de cette fourchette, une sanction de 60.000 Fcfa s’applique. En plus, en juin 2018, à Niamey (Niger), les ministres de l’UEMOA, du Ghana et de la Guinée ont pris des mesures pour l’application de la tolérance maximum de 20% ainsi que l’application du régime des sanctions et du délestage au-delà de 20%. Le délestage au-delà de 20% signifie que, quand on dépasse les 20%, le camion est déchargé et le propriétaire paye une amende de 60 000 FCFA.
Pour l’année 2019, l’UEMOA s’est fixé pour objectif l’application du PTAC à 15% sur la période allant de janvier à juin 2019. Il s’agit de l’application d’une tolérance maximum de 15% et de celle du régime des sanctions et du délestage au-delà de 15%. En perspective, à partir de juillet, l’UEMOA va procéder à une évaluation en vue de l’application intégrale du règlement 14. Quant au Comité de suivi, il effectue souvent des missions au niveau des plates-formes pour vérifier l’application du PTAC à 20%. Toute plateforme (cimenteries, carrières) qui ne sera pas en mesure de contrôler ses chargements ou émet plus de 200.000 tonnes par an, va non seulement payer 200.000 Fcfa par véhicule, mais aussi sera taxée à 50 millions de Fcfa, selon le règlement. Toutes les unités de production de ciment et autres matières ont été informées de la mesure.
Signalons que notre pays a moins de problème avec l’exportation, parce que le coton n’est pas lourd et, rarement, le chargement peut dépasser 30 tonnes.
Le comité mène un suivi permanent et entend maintenir la pression afin que la nouvelle fourchette soit appliquée par tous les Etats concernés. Par ailleurs, tous les trois mois, les stations de pesée envoient les données électroniques à l’UEMOA. Il y a une surveillance commune, et au cours du mois d’avril, une mission de l’UEMOA va évaluer l’application de cette fourchette de 15% à l’essieu. L’équipe de suivi a déjà effectué une première tournée entre février et mars au niveau des plateformes pour demander de régler les bascules à 15%. «Si l’équipe revient sans que cela ne soit fait, les sanctions s’appliqueront», a indiqué M. Koné.
Pour les pesées, les choses sont plus faciles avec la présence de l’Autorité routière, un service public dont la mission principale consiste à chercher de l’argent pour entretenir les routes. Tous les acteurs concernés vont régler leur pont bascule, leur pèse-essieu pour les adapter à 15%, Et pour les accompagner, nous avons un numéro vert que l’Union européenne a décidé de financer. A travers ce numéro, les transporteurs pourront communiquer leurs plaintes au niveau des postes de contrôle routier ou de pesage. Et dès que le message est saisi et validé, tous les ministres et directeurs concernés seront informés en temps réel.
Un moment, le Mali et la Côte d’Ivoire ont appliqué le PTAC plus 15%. Mais avec la pression des autres pays, il y a eu un recul. Les chauffeurs et les transporteurs n’en voulaient pas, car ce n’était pas rentable pour eux, mais aujourd’hui, il y a des groupes de transporteurs qui optent pour une application directe. Le système de réduction du poids des véhicules est bénéfique, par ce qu’on dépense moins. C’est la surcharge qui a détruit complètement la route Bamako-Kayes, et si l’on n’applique pas le règlement 14 avant l’ouverture de la nouvelle voie, qui est en construction, cette dernière ira également en fumée.
REDUCTION DES POSTES DE CONTROLE – Autre préoccupation : certains opérateurs disposent de parcs d’automobiles hors norme depuis longtemps. Des discussions ont été menées avec eux de 2010 à nos jours. L’on suppose que ces parcs ont amorti leurs dépenses et se sont acquittées de leurs dettes auprès des banques. «Nous continuons la sensibilisation au niveau de l’Autorité routière parce que c’est elle qui détient les stations de pesage et de péage. Au mois de décembre 2018, le Mali était à moins de 20%, mais il faut une adhésion globale avec les chargeurs et les transporteurs», estime le point focal.
Les mesures d’accompagnement, quant à elles, ont trait à la facilitation et passent par la réduction des postes de contrôle routier et l’amélioration du contrôle. En 2017, par exemple, il y avait au moins 7 postes de contrôle de Bamako à la frontière Mali-Sénégal. Aujourd’hui, il n’en reste que trois (Kati, la sortie de Kayes sur Diboli et à Diboli). Le gros poste routier de Ségou, qui était un véritable casse-tête, a été supprimé. Cette décision a été prise avec l’ensemble des acteurs. L’objectif, c’est la fluidité du trafic. « S’il n’y avait pas l’insécurité, on serait un pays sans poste routier, sauf au niveau des entrées des pays et des grandes villes », a ajouté M. Koné qui estime que l’application progressive et concomitante du Règlement 14 est un travail d’équipe.
Ainsi, l’implication de tous les acteurs et à tous les niveaux s’impose. Après l’application des 15%, les Etats vont se concerter pour fixer le poids définitif des véhicules à la charge.
Babba B. COULIBALY
L’Essor