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Réflexion: IBK peut-il rebondir ?

Dans une contribution qu’il nous a fait parvenir, Maître Cheick Oumar Konaré, avocat à la Cour et observateur politique, analyse le bilan et les perspectives politiques d’IBK.

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Un an après l’accession d’IBK à la magistrature suprême, un sentiment de déception anime la majorité des Maliens. Nos compatriotes n’ont vu ni leur niveau de vie s’élever, ni de nouvelles infrastructures publiques sortir de terre. En fait, qu’un dirigeant déçoive ses électeurs est plutôt courant en démocratie. Élus triomphalement, des monstres politiques comme François Hollande et Barack Obama ne hantent-ils pas aujourd’hui les abysses de l’impopularité ? Avant eux, n’en fut-il pas de même pour Nicolas Sarkozy et George W. Bush ?

 

En vérité, IBK ne pouvait que décevoir.

D’abord parce qu’à moins d’user de la lampe magique d’Aladin, il ne pouvait satisfaire à bref délai les immenses attentes populaires en termes de revenus, de sécurité et de fierté. Ensuite parce que l’indigence de l’Etat malien ne permettait nullement de tenir rapidement des mirifiques promesses de campagne. Enfin et surtout, parce que la faiblesse militaire du pays et la chape internationale qui l’étouffe interdisaient ce dont les Maliens rêvaient : reconquérir le nord par la force et prouver que les bandes armées qui l’occupaient ne devaient leur prospérité qu’au laxisme de l’ancien président ATT. Mais le pire n’est pas de décevoir dans l’abord : il faut seulement savoir rebondir. IBK le peut-il ? Nous croyons que oui. A condition qu’il diagnostique ses insuffisances de gestion et révise sa méthode de gouvernement.

 

 

ATT, dont tout le monde reconnaît l’excellent bilan socio-économique, chantait à tout venant qu’il n’était « ni grammairien ni juriste », laissant ainsi entendre qu’il ne revendiquait pas un haut niveau académique.

Alors, comment fit pour réussir ? La réponse saute aux yeux: il cultivait l’humilité, acceptait de déléguer l’autorité, possédait une forte capacité d’écoute et le sens du partage. A travers sa plus brillante invention – le consensus politique, que nous appelions à l’époque « consensus de la marmite »– il a su rassembler une classe politique émiettée par dix ans de pouvoir ADEMA, évitant, du coup, toute contestation politico-sociale durant son mandat et, par conséquent, tout retard dans la mise en œuvre de ses chantiers de développement. IBK devrait s’inspirer de cet exemple. Il devrait comprendre que nul ne gère efficacement un pays pauvre en abandonnant à quai la moitié de la classe politique. Ce n’est sûrement pas l’astrophysicien Cheick Modibo Diarra qui nous démentira : pour avoir trop cru en ses « pleins pouvoirs » et voulu cheminer sans les politiciens traditionnels, qu’il considérait comme « corrompus« , le Premier Ministre de la Transition a vu sa belle navette exploser en plein ciel. IBK semble, depuis peu, avoir compris la leçon. Lui qui, au lendemain de son élection, claironnait qu’il n’y avait « pas de gâteau à partager » a fini par faire appel à ses anciens concurrents du CNID et de la CODEM pour élargir sa base sociale. Lui qui, depuis son installation à Koulouba, ignorait royalement les demandes d’audience des politiciens, multiplie, depuis la cinglante défaite de l’armée à Kidal, les effusions avec les chefs de partis en qui il voit de moins en moins des « hasidis » (envieux), des gibiers de potence. Il devrait prolonger cet élan de rassemblement en ouvrant son gouvernement aux principales forces adverses (URD, PARENA, FARE, PDES) et rassurer, par un statut protecteur, la frange de l’opposition qui déciderait d’y rester. Etant rappelé que le réflexe naturel de tout politicien africain consiste à tenter de renverser la table dont on lui interdit l’accès.

 

 

On ne peut dénier à IBK la volonté de bien faire. Elle se lit déjà dans le choix de ses Premiers Ministres : Oumar Tatam Ly, le premier, et Moussa Mara, l’actuel, ont en commun la jeunesse, la technicité, un patriotisme ombrageux, une intégrité personnelle reconnue, une ardeur peu commune à la tâche et leur non-appartenance au parti majoritaire. Qu’ils montent au pinacle primatorial aux dépens du RPM indique à suffisance le désir du chef de l’Etat de sortir le pays de la sclérose bureaucratique et partisane. Le hic, c’est qu’IBK, peut-être habité par le souvenir des trahisons qui ont sillonné sa carrière, ne parvient pas à laisser assez de pouvoir à ses chefs de gouvernement. Au contraire, il les écrase de tout le poids de la présidence de la République. Aussi a-t-on assisté, avec amertume, à la démission de Ly, sacrifié au profit des prédateurs – mais précieux alliés du président – dont il exigeait le départ du gouvernement. Moussa Mara lui-même ne serait qu’en sursis, journellement court-circuité par des ministres qui se sentent assez d’autorité pour s’adresser au président sans témoin. Mieux, IBK ne rate aucune occasion d’agiter le doigt sous le nez de ses Premiers Ministres, leur annonçant publiquement qu’il les tiendrait pour « personnellement responsables » de telle ou telle mission. Il va jusqu’à se prononcer sur le transport des ordures domestiques et à répondre à de banals articles de presse! Résultat: les Premiers Ministres passent pour de simples plantons au point que les moindres marchands ou syndicalistes mécontents préfèrent se rendre chez IBK que d’aller perdre leur temps à la primature. Et au lieu que le Premier Ministre serve de paravent ou, au besoin, de fusible comme le voudrait le jeu institutionnel, c’est IBK qui prend personnellement tous les coups. L’attestent l’affaire de l’avion présidentiel, celle du marché d’armement et celle de la suspension des aides des institutions internationales où le du chef de l’Etat fut sévèrement pris à parti alors qu’on ne reprocha à Mara que son obstination à nier l’existence des documents d’achat du Boeing 737 incriminé. Il y a donc lieu, pour le président, de s’élever au-dessus des querelles de ménagères pour préserver son rôle d’arbitre, de recours. Déléguer davantage d’autorité aux premiers ministres et aux ministres les conduirait, à notre sens, à déployer leur esprit d’initiative au lieu de passer le plus clair du temps à défendre, en grelottant de peur, leur fauteuil. Quant aux conseillers du président, ils oseraient, s’ils se sentaient moins écrasés, parler vrai à leur chef au lieu de se muer, pour sauvegarder leur croûte, en justificateurs zélés de ses erreurs les plus patentes.

 

 

La méthode IBK pâtit aussi d’une étrange inversion des priorités.

Il s’est offert un Boeing à 20 milliards de FCFA, somme suffisante pour acheter quatre hélicoptères d’attaque susceptibles d’écarbouiller, en un instant, les groupes armés du nord. Au lieu de moyens aériens et blindés qui font cruellement défaut à l’armée, il a investi sans compter dans des uniformes d’apparat afin, explique-t-il, que l’armée sorte de ses guenilles à la veille du 20 janvier 2014. Alors que l’unique véhicule du poste de police de Sébénicoro tombe régulièrement en panne sèche et que 265 cambriolages se sont produits dans le quartier au dernier trimestre de 2013, le président a fait renouveler, à prix d’or, son escorte motorisée. Au lieu de rénover le palais, siège de la présidence dévasté par les putschistes du 22 mars 2012, il a préféré transformer sa résidence de Sébénicoro en ranch californien. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, il a ordonné la démolition du carrelage vitrifié et des meubles flambant neufs du secrétariat général de la présidence en vue de les remplacer par du marbre et des boiseries dignes de Louis IV. Comme si les cadres de Koulouba réfléchiraient mieux dans un bureau marbré que sur une surface carrelée! Loin de se rendre en Chine, l’un des rares pays où l’on trouve de l’argent, IBK promène journellement sa barque dans des contrées désolées comme le Rwanda dont le filiforme président, Paul Kagamé, présente, à vue d’oeil, de sérieux signes de malnutrition. Bien entendu, quiconque se plaint de ces dépenses somptuaires essuie aussitôt une bordée d’injures d’une compagnie de griots qui confondent allègrement communication et propagande. Les vives réactions du FMI et de l’opinion auront, nous l’espérons, permis à IBK de se rendre compte que de ses années de primature à nos jours, le peuple malien a mûri et ne se laisse plus mener comme un mouton de Panurge. D’autant que ses prédécesseurs, Alpha et ATT, n’ont jamais trahi l’apparence d’humilité qui les rapprochait des citoyens. En un mot comme en mille, IBK réussira s’il change de personnalité. Ou, à tout le moins, s’il affiche, même à son âme défendant, des apparences de modestie, de partage et d’écoute. Machiavel, que tout homme de culture a lu, a bien raison lorsqu’il professe qu’en politique, l’apparence compte plus que la réalité.

 

 

Bien entendu, tout espoir de rebondissement tomberait dans le lac si IBK commettait l’imprudence d’approuver l’accord que mijotent à Alger les groupes armés et leurs soutiens internationaux. En effet, le Mali ne s’est rendu qu’à Alger en rampant, pieds et mains liés, le couteau sous la gorge. Dépourvu d’armée efficiente et d’indépendance économique, il ne peut, en l’état, que subir le diktat de ses vainqueurs touaregs et arabes. Point n’est besoin d’être Nostradamus pour déviner que l’accord qui lui sera proposé à Alger ne préservera nullement ses intérêts supérieurs : ni l’intégrité territoriale, ni la laïcité de l’Etat, ni la souveraineté nationale n’échapperont aux coups de cisaille des groupes armés. Pour une raison élémentaire : toute négociation implique un rapport de forces où l’agneau se plie toujours aux quatre volontés du loup; de surcroît, les rebelles, maîtres du terrain, ne laisseront guère filer l’unique occasion qu’ils tiennent, depuis 54 ans, de concrétiser leurs ambitions séparatistes. IBK se tromperait donc fort lourdement s’il prenait le parti d’un signer un mauvais accord en espérant le remettre en cause une fois revenu en meilleure posture: l’accord d’Alger, contrairement à celui, provisoire, de Ouagadougou, aura pour garants la communauté internationale dont les principales composantes épouèsent les thèses rebelles. Il vaudrait, quitte à user de dilatoire, ne rien signer du tout que de se signer, sous la contrainte, un accord scélérat. Ce serait là troquer le choléra d’aujourd’hui contre la fièvre Ebola de demain. Ceux qui, au regard des pressions internationales, allèguent que l’Etat malien n’a d’autre choix que de signer seront assurément les premiers à condamner le président IBK dès qu’il aura quitté le pouvoir: ils oublient, au demeurant, que malgré leurs menaces et leurs hauts cris, la France, les Etats-Unis, la CEDEAO et l’ONU n’autoriseront jamais les groupes armés à envahir le sud du Mali, coeur de l’Afrique occidentale. Ni à instaurer, à la force du sabre, leur vision rétrograde de l’islam dans les deux tiers du Mali.

 

Maître Cheick Oumar Konaré

SOURCE: Procès Verbal  du   16 sept 2014.
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