Les médias occidentaux ont martyrisé nos tympans entre mercredi et vendredi (15-17 avril 2020) avec leurs commentaires sur un allègement de la dette des pays pauvres par le G20. Et cela afin de leur permettre de faire face au COVID-19.
Et pourtant, il n’y a pas de quoi se réjouir d’une telle décision parce que la dette est une question scandaleuse car contractée et utilisée aux dépens des peuples, notamment en Afrique. Sans compter qu’un allègement est juste une fuite en avant puisqu’il faudra saigner nos économies pour payer des intérêts cumulés. Et pour une fois, la meilleure solution pour nous autres Africains ont été proposée par Emmanuel Macron de la France : l’annulation pure et simple de la dette !
« L’essentiel dans la vie est quand même d’abord de ne point mourir » ! C’est l’adage rappelé par Tidjane Thiam qui était l’invité de RFI dans la matinée du jeudi 16 avril 2020. Face à la pandémie du coronavirus, l’Union africaine (UA) cherche donc à aider les Etats membres à mieux protéger leurs citoyens. Et à défaut de ressources propres à allouer comme appuis, elle a mené le plaidoyer et le lobbying auprès des créanciers des pays africains à réaménager leurs dettes afin de leur avoir un fonds de trésorerie pour faire face à la prise en charge des malades et aux conséquences dramatiques de cette pandémie qui fait trembler le monde entier.
C’est ainsi que le président en exercice de l’UA, le Sud-Africain Cyril Ramaphosa, a nommé « quatre mousquetaires » pour négocier un réaménagement de la dette africaine auprès des grandes puissances. Ancien ministre ivoirien du Plan, ancien Directeur général de l’assureur britannique Prudential, puis du Crédit suisse, Tidjane Thiam est l’un de ses mousquetaires.
C’est ainsi que le G20 a annoncé mercredi dernier (15 avril 2020) la suspension du paiement de la dette des pays les plus pauvres. Ce que certains spécialistes de la finance publique analysent comme « un premier répit bienvenu pour les bénéficiaires… une première étape pour alléger le fardeau de la dette ». Un avis partagé par Tidjane Thiam sur les ondes de RFI. « Cette année quelque chose comme 44 milliards d’intérêts et une grosse partie va être reportée. Ce sont des sommes très significatives et à la mesure du choc économique que subissent les économies africaines », a rappelé cette grande figure de la finance internationale.
Sur les 44 milliards que les pays débiteurs auraient à payer cette année 2020, selon certaines estimations, les bénéficiaires de cette mesure feraient l’économie de 12 milliards.
Une dette reste un engagement à honorer
Sauf que pour nous autres Africains, il n’y a pas de quoi se réjouir. D’abord parce que, avec cette mesure, les remboursements attendus en 2020 seront toujours dus en 2021. Ils seront même majorés des intérêts accumulés sur la période. C’est dire que, l’année prochaine le fardeau de la dette sera insoutenable.
Comme l’a si bien dénoncé la Plateforme d’ONG « Dette et Développement », ces dettes ne sont pas annulées. Et du coup les remboursements attendus en 2020 seront toujours dus en 2021. Ils seront même majorés des intérêts accumulés sur la période et la dette, l’année prochaine sera autant plus insoutenable. Un moratoire permet juste de reculer l’échéance en accumulant les intérêts souvent faramineux.
« Le moratoire signifie pour l’instant on suspend le paiement, mais vous devez cette dette dans un proche avenir. Ce qui veut dire que le fardeau sera toujours là. Et ce n’est pas évident que dans un proche avenir, dans deux ou trois ans, que les pays africains aient les moyens de payer cette dette. Et surtout que pour certains créanciers, ce moratoire risque d’être accompagné de pénalités », a confié à RFI Moussa Demba Dembélé, économiste et chercheur sénégalais.
Et de rappeler, « le président Macky Sall avait demandé l’annulation pure et simple de la dette. C’est une mesure qui est à la fois pressante et légitime pour permettre aux pays africains d’utiliser les ressources qui devraient aller au service de cette dette pour lutter contre cette pandémie. Un sentiment partagé par de nombreux acteurs de la société civile ».
D’ailleurs, plusieurs pays africains ont plaidé d’emblée pour un répit de deux ans. Et cela d’autant plus que même si la crise sanitaire venait à être surmontée rapidement les gouvernements auront ensuite besoin de dépenser davantage pour la relance de leur économie et pour la santé. Déjà, certains gouvernements sont au bord du gouffre.
Macron sur la bonne logique
Sans compter que cet allègement du G20 ne porte que sur à peine la moitié de la dette générale de l’Afrique. En Afrique subsaharienne, par exemple, la moitié du service de la dette due au titre de 2020 reviendra à des créanciers privés qui ne se sont pas encore exprimés sur la question.
Et pour une fois, le président français Emmanuel Macron, nous surprend par sa volonté d’aller plus loin que ce moratoire. Il propose une annulation massive de la dette africaine. « Il va falloir envisager des remises ou des annulations de dettes. Ce plan-là, le président Macron a soulevé un problème qui est réel et auquel il va falloir s’attaquer dans les mois qui viennent. Mais au moins on s’est donné là le ballon d’oxygène qui permet de regarder tout cela, pays par pays, et de trouver de bonnes solutions, des solutions adaptées à chaque pays parce que la situation dans chaque pays africain est différente », a souligné Tidjane Thiam.
L’annulation pure et simple est la solution la plus juste à l’égard des peuples africains qui doivent déverser toute la sueur de leur corps pour rembourser une dette qui ne leur profite presque pas.
A ce titre, la dette est un scandale pour les pays pauvres, l’Afrique notamment. Tout comme son allègement. Et cela d’autant plus que les peuples profitent peu des investissements supposés dont elle servirait à réaliser. Et rien ne prouve que le magot lié à son allègement servira réellement à amortir les conséquences sociales et économiques de la lutte préventive du coronavirus. Dans tous les cas, tout est surfacturation et détournement dans nos Etats où la lutte contre la corruption et la délinquance financière est comme, pour paraphraser un responsable d’un des nombreux services de contrôle au Mali, « convaincre une prostituée à mener une vie vertueuse » !
Aucun gage de l’utilisation judicieuse de la manne financière
Donc difficile, voire très compliqué, surtout avec l’impunité qui couvre ces crimes. C’est pourquoi dans des Etats du Sahel comme le Mali et le Niger, malgré que l’on soit conscient de la fragilité de l’outil de défense face à la menace terroriste, on pousse la malhonnêteté à surfacturer ou à livrer des équipements obsolètes aux Forces armées et de sécurité.
Rien ne garantit que les montants dégagés suite à l’allègement de la dette de nos pays ne suivent pas le même sort. Qui peut jurer aujourd’hui dans un pays comme le nôtre que les fonds mobilisés ici et là vont échapper à la cupidité vorace de la mafia politique et les cols blancs qui la nourrissent car déguisés en opérateurs économiques ?
Certes Tidjane Thiam pense pouvoir nous assurer par des « garanties » avancées sur RFI dont il était l’invité (Invité d’Afrique) dans la matinée du jeudi 16 avril 2020. Il faut être naïf pour croire aux chefs d’État africains (à quelques exceptions près) qui auraient « tous exprimé, sans ambiguïté, leur engagement à s’assurer que le geste qui est fait là par la communauté internationale soit mis à profit par l’Afrique ».
Il mise aussi sur la technologie. « Quand nous regardons un certain nombre de pays, on voit comment on peut utiliser la technologie pour distribuer des fonds aux populations », a préconisé M. Thiam. Et de souligner l’exemple du Kenya où les paiements pourraient se faire par téléphone mobile. Et le gouvernement kenyan a déjà fait passer « une loi pour annuler les frais des taxes sur les transferts mobiles. Ce qui va permettre de mettre tout cela en œuvre ».
En tout cas, le mieux que l’on puisse faire si l’on veut réellement aider l’Afrique, c’est non seulement annuler sa dette, mais aussi et surtout rééquilibrer les relations partenariales entre nos Etats et les pays riches. Ils ont l’argent et nous avons les richesses !
Hamady Tamba
Source: Le Combat