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RDC : la diaspora en Afrique du Sud face aux urnes de la présidentielle

Derrière les murs orange vif du marché quotidien de Yeoville, au cœur de Johannesburg, il ne faut pas attendre longtemps avant d’entendre converser en lingala, l’une des langues les plus parlées en République démocratique du Congo (RDC). Ce quartier central de Johannesburg est l’épicentre des communautés africaines immigrées, et notamment des Congolais, qui surnomment d’ailleurs son marché « marché Gambela » comme celui de Kinshasa.

La joie de participer aux élections

Marceline Tshilobo-Sabwe, plus connue ici sous le nom de Mama Nene, est la présidente des Mama congolaises du marché. Derrière sa machine à coudre, elle se réjouit de la toute nouvelle possibilité pour les Congolais de l’étranger de participer aux élections générales. « C’est très important. Nous sommes nombreux à vivre à l’étranger. Si on peut aussi voter, ça va donner un poids. » Résidente en Afrique du Sud depuis 23 ans, la commerçante se sent, comme tous ses compatriotes ici, toujours très liée à son pays d’origine. « Même si vous êtes à l’extérieur, vous avez l’amour du pays », dit-elle.

Un peu plus loin, André Bampendi vend du lait en poudre. Il a aussi hâte de pouvoir aller voter. « C’est incroyable. Ça me rend tellement fier d’être congolais. » Le quadragénaire a quitté le Congo lorsqu’il avait 9 ans, mais il espère pouvoir bientôt rentrer au pays, où vivent la plupart de ses proches. « Je suis en train de mettre mes papiers en ordre. Je pense que la situation là-bas s’est améliorée. » Un sentiment partagé par beaucoup d’autres commerçants.

La nostalgie du pays de plus en plus forte

Fatigués de la xénophobie ambiante en Afrique du Sud, beaucoup guettent des signes d’amélioration en RDC. Ils ont aussi le mal du pays, après 10, 20, 30 ans passés loin des leurs. Au marché Gambela, ils sont nombreux à soutenir « le candidat numéro 20 » : l’actuel président, Félix Tshisekedi, en qui ils voient une promesse de stabilité. « Nous avons quitté notre pays il y a longtemps, on a perdu tout ce qu’on avait. Mais nous avons maintenant l’espoir que notre pays sera sauvé par l’actuel président », explique Bindingisha Milambwe en préparant son étal. Elle n’était pas au courant de la possibilité de voter cette année. « Je l’aurais fait si je savais. C’est le premier président qui nous rassure sur le fait qu’il y aura l’État de droit, qu’il y aura la sécurité… Nous voyons qu’il y a du changement », indique-t-elle.

Un enrôlement insuffisant

L’enthousiasme est là, mais le vote ne concernera qu’une petite partie des Congolais installés en Afrique du Sud. Leur nombre est difficile à évaluer, et l’ambassade elle-même affirme ignorer le nombre de ses ressortissants vivant dans le pays, mais les estimations vont de 300 000 à 1 million de personnes. C’est de loin la plus grande diaspora congolaise au monde. Pourtant, seuls 3 201 d’entre eux ont pu s’enrôler, selon la Ceni (Commission électorale nationale indépendante).

« Il y a un problème de logistique », explique Watshia Muyembi, activiste pour les droits humains. « Nous n’avons qu’un seul bureau qui représente le Congo en Afrique du Sud, qui est à Pretoria. La Ceni n’a pas pu pas se déplacer pour aller à Durban, Port-Elizabeth ou Durban, pour enrôler tous les Congolais qui sont là. » Outre la difficulté d’accès de l’unique bureau de vote, l’écueil majeur concerne l’éligibilité des Congolais d’Afrique du Sud.

Certains sont sans papiers, et 40 000 sont demandeurs d’asile ou réfugiés, un statut qui empêche l’accès au vote. D’autres ont été rebutés par les démarches à entreprendre, comme la création d’une carte consulaire, à défaut d’un passeport. Son coût a fait tourner les talons à Joseph et Dieumerci, employés dans une agence d’import-export, choqués d’avoir à payer quelque chose pour pouvoir voter. « Quand on a appris qu’on pouvait voter, personnellement, j’étais content, c’était important pour moi de voter, parce que j’avais mon candidat que j’avais choisi », explique Dieumerci.

Derrière lui, un maillot des Léopards, l’équipe nationale de football de la RDC, est accroché à un ventilateur. Une moto emballée dans du papier bulle côtoie des colis de diverses tailles et formes, prête à être envoyée au Congo. « Je refuse de devoir payer pour voter, maintenant je suis déçu. »

La crainte d’une élection jouée d’avance

Comme d’autres membres de la diaspora, il est aussi très sceptique quant au processus électoral. Pour un groupe de jeunes Congolais qui n’envisagent pas d’aller voter, l’élection est jouée d’avance, car ils craignent une manipulation de leur vote.

Pour Bruno Katumpa, businessman installé depuis 32 ans en Afrique du Sud, et secrétaire fédéral de l’UDPS, le parti présidentiel, le faible nombre d’électeurs enrôlés est à déplorer, mais ne doit pas occulter l’aspect historique de ce vote. « Une grande partie de la communauté congolaise est frustrée, car elle a été exclue. Mais c’est un projet pilote, comme nous l’a dit la Ceni lorsqu’elle est venue à la rencontre de la communauté. À l’avenir, on fera mieux. Mais cette élection redonne de l’espoir. On peut enfin se réconcilier avec notre pays. Nous perdions cette appartenance, c’est une chance, un grand événement de pouvoir renouer avec notre identité. »

« C’est une élection capitale, parce que c’est la première fois que les Congolais à l’étranger sont considérés », renchérit Richa Kamina Tshimbinda, entrepreneuse congolaise. « Jusqu’à maintenant, quand bien même nous avions l’esprit patriotique, nous nous sentions tenus à l’écart. Et même si nous autres ne pouvons pas voter, car nous avons le statut de réfugiés, cela nous encourage à prendre pour la prochaine fois les dispositions pour pouvoir voter. »

La diaspora attend beaucoup du gouvernement

Si ce pas en avant vers la diaspora est apprécié, ces Congolais attendent plus du gouvernement. « Il y a un énorme potentiel chez les Congolais d’ici qui ont été témoins de la transition démocratique sud-africaine », estime Bruno Katumpa. Parmi les mesures souhaitées, autoriser la possession d’une double nationalité vient en tête, explique Dieumerci Kalombo, informaticien et lui aussi membre de l’UDPS.

« Si la loi sur la double nationalité est mise en place, elle va ouvrir de gros potentiels aux Congolais partout dans le monde. Ils ne vont pas perdre leurs acquis dans leurs pays d’accueil et vont aussi pouvoir plus facilement apporter leurs capitaux, leur expertise au Congo. Nous voulons que ceux qui se présenteront au parlement comprennent l’importance de la diaspora.

Celle en Afrique du Sud en particulier est compétente et désintéressée. C’est ici qu’il y a le plus grand réservoir de diaspora congolaise, anglophone et francophone. Et elle a de l’expérience africaine. » Les Congolais d’Afrique du Sud, votants ou non, scruteront avec attention le déroulement de ces élections.

Si elles se déroulent sans accroc, on pourrait assister à une nouvelle vague de retours au pays, comme après les élections de 2018.

lepoint

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